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Full text of "Un Cri de détresse ou la Prusse rhénane et sa représentation légale"

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UN CRI DE DETRESSE 



LA PRUSSE RHÉNANE 












BIBLIOTHEQUE 
SAINTE | 

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Bruxelles. — Inip. H.-D. Reynders, rue du Marais, 'il. 






UN CRI DE DÉTRESSE 



OU LA 



PRUSSE RHENANE 



ET SA 



REPRÉSENTATION LÉGALE 



l'Ut 



ENAN 




BRUXELLES 
Chez tous les libraires 

1871 



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INTRODUCTION 






i 

I. (Écrite en 1868). En adoptant pour notre humble opus- 
cule le titre de Cri de détresse, nous ne faisons que suivre 
la Nouvelle Gazette de Prusse qui, lors de la publication 
du premier chapitre, daignait le qualifier ainsi en appelant en 
même temps sur noua les foudres du gouvernement. 

De même que ce titre, nous acceptons franchement la qua- 
lité de mandataire que cet organe de la cour nous attribuait 
lorsqu'il disait : " Un Rhénan qui parle sans façon au nom 
de toute la province. " Seulement, retranchons ce mot " sans 
façon " et disons simplement : Un Rhénan qui parle au nom 
de toute la province, mais en ne parlant que d'après des pièces 
officielles et ne racontant que les hauts faits de la représenta- 
tion légale de cette province. 

Disons enfin que ces lignes ne sont pas écrites pour le moment 
actuel, mais qu'elles datent de ce même automne de l'an 1865 






I 



— VI — 

* 

où M. Bismark séjournait à Biarritz, et qu'elles étaient tout 
particulièrement destinées à lui rendre agréable son séjour pro- 
longé dans ce bain si salutaire pour la Prusse. Nous parvîmes 
alors de faire publier les trois premiers chapitres. Des inci- 
dents, dont le lecteur devra pour quelque temps encore 
ignorer la nature et les causes, empêchaient qu'il en fût ainsi 
des autres. 

Mais le diable n'y perd rien : un petit corollaire en guise 
de confirmation et voilà l'œuvre refaite, pour être sans doute 
lue aujourd'hui avec le même intérêt qu alors. 

II. (Écrite en 1870). Ce second essai, fait en 1868, pour par- 
venir à la publication de ces lignes ayant échoué aussi, nous 
croyons de notre devoir de les publier aujourd'hui, après 
l'événement, telles qu'elles furent composées originairement, 
sans en changer un seul mot. 

Le lecteur y touvera donc encore certaines expressions rap- 
lant le gouvernement impérial. 

L'auteur a cru ne pas les devoir retrancher non plus. Il 
pense qu'il se rendrait coupable d'une lâcheté s'il supprimait 
même un seul mot de son manuscrit. 

En s'adressant en 1865 et 1868 au gouvernement alorsétabli, 
en rappelant au chef de ce gouvernement ses promesses, il a 
cru remplir le premier devoir d'une nation opprimée, d'autant 
plus qu'après tout, pour nous autres malheureux Rhénans, 
malmenés par une presse prussienne, le troisième Napoléon a 
dû paraître le successeur du premier. Personne d'ailleurs ne 
le prendra en mal à un Rhénan d'avoir eu de la vénération 
pour Napolépn-le-Grand et pour son successeur, en tant qu'il 
semblait marcher sur ses traces. Si les œuvres de Napoléon III 
n'ont pas toujours répondu à ses paroles, tant pis pour lui 
(malheureusement en ce moment aussi pour la France). 

Il n'est donc pas besoin de protester ici qu'en publiant cet 
écrit (qui, comme on verra, a aussi son historique à lui) tel 



— VII — 

qu'il devait être publié d'abord, l'auteur ne prétend en au- 
cune façon faire propagande pour un gouvernement quel- 
conque (tout gouvernement nous est sympathique pourvu 
qu'il nous débarrasse des Prussiens) et le moins du monde 
pour le gouvernement déchu, attendu que l'empêchement de 
la publication des cinq derniers chapitres, en 1865, n'était dû 
qu'à l'intervention particulière de M. le marquis de Lavalette, 
alors ministre de l'intérieur, lequel ministre français jugeait 
utile de supprimer ces lignes dans un temps où toute la 
France était inondée d'écrits soldés par S. M. le roi de 
Prusse. 

Il est vrai que l'organe intime de la cour brandebourgeoise, 
la Nouvelle Gazette de Prusse, lui avait donné à entendre 
que cette suppression était bien le moins que Sa Majesté 
prussienne attendait de lui. (Voir son numéro du 18 octobre 
1865.) 



CHAPITRE PREMIER 

Le droit public dans la Prusse rhénane 

t 

(Article publié par le journal la Liberté, de Paris, du 16 octobre 1865.) 



Le droit public dans notre province repose sur les Patentes (lois 
provinciales fondamentales) des 5 avril et 22 mai 1815, qui nous ga- 
rantissent la liberté des cultes et le droit de voter les impôts. Ils 
nous promettaient, en outre, une Constitution et une Diète avec pou- 
voir législatif. 

Malgré la promesse bien formelle du Patent du 5 avril 1815, les 
lois prussiennes sur les impôts furent introduites dans notre pro- 
vince, en 1819, par simple ordonnance royale. Le mécontentement 
toujours croissant , qu'excita cette mesure arbitraire , força le 
gouvernement de penser sérieusement à la publication de la Consti- 
tution promise, qui fut promulguée le 5 juin 1823 et qui portait 
(art. 3) et textuellement : « que toutes les lois sans distinction, vala- 
bles pour la province seulement, et toutes autres qui concerneraient 
les personnes, les propriétés et les impôts, seraient soumises à la 
délibération de la Diète. » 

Exposons les travaux de cette Diète, tableau vivant des sentiments 
de notre province, et qui, de son ouverture en 1826 jusqu'à sa dis- 
solution en 1847, a tenu huit sessions : 

1" session, de 1826. — Rejet d'une proposition du gouvernement, 
tendant à introduire les Codes prussiens civil, pénal et de commerce. 

Rejet de toutes les autres propositions spéciales et subsidiaires du 
gouvernement, tendant à modifier les lois françaises, notamment 
celles sur les successions, les procédures, la justice volontaire. 



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— 6 — 

Protestation contre les lois sur les impôts, introduites en 1819, sans 
le concours de la province, garanti par le patent du 5 avril 1815. 

ï' session, de 1828. — Proteslation réitérée contre ces lois et de- 
mandes en remédure. 

Ces protestations et ces demandes,en partie satisfaites par l'ordon- 
nance royale du 1" décembre 1828, furent encore renouvelées dans 
les sessions subséquentes. 

Rejet de toutes propositions nouvelles du gouvernement, tendant 
à introduire les lois prussiennes ou à modifier les lois françaises. 

Protestations contre diverses ordonnances royales et règlements 
d'administration portant atteinte aux lois administratives françaises. 

3 e session, de 1830. — Protestation réitérée contre ces ordonnances 
et règlements, et remontrances contre les charges générales impo- 
sées aux communes par voie administrative. 

Protestation contre diverses ordonnances royales établissant le ré- 
gime de police prussien. 

Protestation solennelle contre toute atteinte aux lois existantes 
sans le concours de la Diète. 

4 e session, de 1833.— Rejet réitéré de toutes les propositionsdu gou- 
vernement, tendant à introduire des lois prussiennes ou à modifier 
les lois françaises. 

Protestation contre la rétraction, par voie administrative, des 
donations faites aux départements, arrondissements et communes, 
par les décrets impériaux des 9 et 23 avril 1811. 

5* session, de 1837. — Protestation solennelle contre l'ordonnance 
royale du 21 janvier 1837, qui autorisait les pères et mères nobles 
de déroger aux lois sur les successions en faveur de leurs aines. 

Plaintes conlre les lois prussiennes sur l'instruction publique. 

Rejet du Code hypothécaire de la Prusse. 

Rejet d'une proposition du gouvernement, tendant à abolir le ma- 
riage civil. 

Rejet réitéré de toutes lesautres propositions du gouvernement, ten- 
dant à introduire des lois prussiennes, ou à modifier le Code pénal. 
Protestation solennelle contre les atteintes y apportées par plusieurs 
ordonnances royales, notamment celles des 25 avril et 17 août 1835, qui 
établirent des cours spéciales et prévotales pour les crimes et délits 
politiques, refusèrent des défenseurs aux accusés, etc., etc., etc. 

Demande solennelle de reconnaître les principes du statut du 
a juin 1823. « 

Sur celle protestation solennelle est survenue l'irritation générale 
par suite de la détention des digues archevêques de Cologne et de 
Posmanie.Le gouvernement jugea à proposde lâcher bride, du moins 



.— «* 



en apparence, el le roi Frédéric-Guillaume déclara dans son mes- 
sage du 26 mai 1839 : « Qu'il entendait seulement faire réviser le 
Code pénal prussien sur les principales bases du Code français et de 
soumettre ce nouveau Code, qui devait faire disparaître les ordon- 
nances, objets de la protestation, à la délibération de la Diète. » 

Cependant, il se garda bien de convoquer cette année la Diète el 
laissa subsister ces ordonnances, qui furent l'objet de nouvelles pro- 
testations de la Diète en 1S41, 1843 et 1845. 

Mais si la Diète s'opposait de toutes ses forces à toute proposition 
tendant à infuser dans nos lois les principes des lois prussiennes, elle 
sut bien apprécier les réformes qui y furent apportées par la nouvelle 
législation de la France; elle proposa en conséquence : 

Dans sa session de 1830, la réunion des lois forestières dans un 
seul Code, à l'instar du Code français du 31 juillet 1829; un Code sur 
la pèche fluviale, sur les bases du Code français du 15 avril 1829 ; 

Dans sa session de 1833, une loi municipale, sur les bases de la loi 
française du 21 mars 1831 ; 

Dans celle de 1837, une loi sur les chemins vicinaux, analogue à 
la loi française du 21 mai 1836, et dans sa 6 e session, en 1841, une 
loi sur la compétence des juges de paix, sur les bases de la loi fran- 
çaise du 25 mai 1838, etc., etc. D'autres résultats de cette session 
furent : 

Rejet d'une proposition du gouvernement tendant à restreindre la 
faculté d'aliéner les biens-fonds. 

Pétition pour le rétablissement du système métrique. 

Protestations conire plusieurs mesures arbitraires du gouverne- 
ment, telles que de faire cesser tout enseignement du droit français à 
l'école de droit de Bonn, la seule où il est enseigné, de laisser vaquer 
les places dans la magistrature rhénane.ou de les conférer à des juges 
assesseurs, naturels de la vieille Prusse, n'ayant fait le cours ni subi 
aucun examen spécial du droit français, d'y exclure les nationaux, 
élèves d'écoles é:rangèrcs, etc., etc. 

T sessioir, de 1843. — Protestations réitérées contre ces abus. 

Rejet du Code pénal prussien révisé, mais présentation, de la pari 
de la Diète, d'un projet de Code pénal rhénan, basé sur le Code français, 
et qui avait égard, autant que possible, aux exigences du gouverne- 
menl, avec déclaration solennelle de n'enlrer en discussion d'aucun 
projet qui ne s.oit pas entièrement basé sur le Code français. 

Plaintes nouvelles contre les lois prussiennes sur l'instruction 
publique. 

Protestations contre le retrait des pensions accordées aux membres 
de la Légion d'honneur. 



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8 



• 8« et dernière session, de 1845. — Protestation réitérée contre le 
retrait de ces pensions, qu'elle prétendait être à la charge du gou- 
vernement, en verlu de l'art. 26 du traité du 31 mai 1814. 

Protestation contre les lois du 29 mai et du 7 juin 1844, portant 
atteinte à l'indépendance de la magistrature et du barreau. 

Protestation contre plusieurs mesures administratives et ordon- 
nances royales portant atteinte à la liberté des cultes, garantie par 
le [latent du 5 avril 1815, notamment contre l'ordonnance royale du 
9 avril 1838, qui ordonnait la détention, sans procès préalable, de 
quiconque, prêtre ou laïque, divulgerait les édils de la cour de Rome 
et des évéques détenus. 

C'était son chant de cygne. Las de la résistance invincible de la 
Diète rhénane et de la Diète polonaise, le gouvernement avisa à d'au- 
tres moyens. Au lieu d'assembler, en 1847, chaque Diète de province 
séparément, il les convoqua toutes à Berlin, dans une assemblée 
générale, dite « Diètes réunies. » Il crut ainsi étouffer les Diètes 
récalcitrantes dans les étreintes des autres, et sut, en même temps, 
enthousiasmer pour ce projet le parti libéral de la vieille Prusse, qui, 
avec plus de raison, voyait dans le concours des membres éclairés 
et aguerris du Rhin un puissant auxiliaire à ses efforts; car, pour 
bien juger la situation singulière de ce pays, véritable chef-d'œuvre 
du Congrès de Vienne, il faut savoir que plusieurs projets de loi, 
rejetés par la Diète rhénane comme des horreurs, étaient, pour les 
vieilles provinces de Prusse, un véritable progrès. Mais, si ce 
parti y trouva son compte, le gouvernement, qui avait compté sans 
ses hôtes, ne le trouva pas : la Diète, entraînée par de puissants ora- 
teurs, révoltée surtout du discours d'ouverture qui ne lui attribuait 
que le seul vote des impôts et des emprunts, laissant au gré du gou- 
vernement sa convocation, et réservant à son bureau, qui devait 
s'assembler tous les quatre ans, les autres attributions législatives 
des diverses Diètes de province, protestait vivement et demandait à 
grands cris une Charte. Aussi fut-elle promplement congédiée et 
apprit-elle par son congé, conçu en des termes peu amicaux, que 
« le roi, étant lui-même la meilleure des Constitutions, n'aimait nul- 
lement qu'une feuille de papier se fourrât entre lui et son peuple. » 

Survinrent les événements de 1848. Immédiatement après la révo- 
lution de février, les principaux membres de la Diète rhénane, se 
réunissant en députalion, se mirent en marche pour Berlin, où lis 
arrivèrent précisément spectateurs de la révolution de mars. Ils 
obtinrentdonctoutcequ'ilsdemandèrentet plus encore: leroi, voyant 
des fusils entre lui et son peuple, n'éprouvait plus la même aversion 
pour les feuilles de papier. En conséquence, une ordonnance royale 



du 15 avril 1848, révoquant toutes les ordonnances royales, objets des 
diverses protestations de la Diète rhénane, rétablit en entier nos 
Codes. 

Mais la joie ne dura pas longtemps. Vint la période de réaction, et 
avec elle le système des ordonnances royales ; celles des 10 et 11 juil- 
let 1849 ôtèrenl à la magistrature la dernière trace de son indépen- 
dance. Les Chambres prussiennes les convertirent promptement en 
lois et votèrent, sans s'arrêter le moins du monde aux observations 
des députés rhénans et polonais, toutes les propositions du gouver- 
ment; entre autres : 

Une nouvelle loi sur les impôts du 1" mai 1851, qui. révoquait 
l'ordonnance royale du 1 er décembre 1 828, émise, comme nous l'avons 
dit, sur les instances de la Diète rhénane, en 1826 et 1828 ; 

Un nouveau Code pénal prussien, le même que la Diète rhénane 
avait rejeté en 1843; 

Une loi du 17 mars 1852, convertissant notre Cour de cassation en 
simple section de la cour de cassation de Prusse ; 

Une loi du 25 avril 1853, rétablissant la Cour spéciale pour les 
délits politiques, objet de la protestation de notre Diète en 1837 ; 

Une loi du 13 février 1854, sur la discipline des fonctionnaires pu- 
blics; 

Une loi municipale du 15 mai 1856, abolissant la dernière trace de 
nos lois administratives françaises, etc., etc. 

Au moyen de ces lois et des mesures administratives dont nous 
avons vu l'essai dans les délibérations de notre Dicte en 1841, le 
gouvernement parvint à purifier promptement le personnel de l'ad- 
ministration et de la magistralure, de sorte qu'il se trouve à présent 
composé, à peu près, moiiié de naturels de la vieille Prusse, moitié 
de la descendance de ces Prussiens ; et à se créer une presse dévouée, 
unique dans son genre; presse qui se dit rhénane quoiqu'elle soit 
desservie par des journalistes, naturels de la vieille Prusse; presse 
vierge, ou à peu près, de toute saisie ou condamnation, quoique 
régie par des lois de la dernière rigueur, et, tandis que dans la vieille 
Prusse et dans le grand-duche de Berg, les condamnations y tombent 
par milliers; presse sachant admirablement occuper les esprits des 
affaires des autres; presse gorgée des calomnies les plus atroces sur 
la France et son gouvernement, mais débitées assez plausiblement et 
d'une manière toute particulière ù elle; presse qui déterre avec avi- 
dité la moindre tâche de l'administration française, de sorte qu'il ne 
se passe pas la moindre fau'e de maire ou de garde-champêtre dans 
le moindre village de la France sans qu'elle en fasse grandement et 
le rapport et le commentaire; mais qui ne parle jamais de ce qui se 









— IO — 

passe en ce genre chez nous, el qui, avec tout cela, proteste toujours 
ne pas être vendue au gouvernement. 

Puis le gouvernement revint à la Diète rhénane, qu'il n'avait plus 
convoquée depuis 1845, et qu'il avisa de faire revivre, objet de risée 
générale. En conséquence, une loi du 44 mars 1851 l'ayant abolie, et 
institué à sa place une sorte de Conseil général, ne fut pas exécutée, 
puis suspendue en 1852, et enfin révoquée en 1853 ; et la Dièle réta- 
blie^sous son ancien nom, dans son antique composition (en trois 
États), avec son vénérable mode d'élection (d'après 1ô système de 
M. Sièyes), avec ses anciennes lois réglementaires, mais bornée dans 
ses attributions, au seul droit de pétitionner dans l'intérêt local el 
au règlement des comptes des roules départementales, des petites 
maisons, maisons de mendicité, etc., etc. (Car il faut bien se garder 
de penser que le vote des dépenses départementales et le règlement 
des comptes d'administration, comme on l'entend en France, lui ait 
jamais appartenu; cela a toujours été dans les attributions du seul 
gouvernement.) 

Vu celte composition, ce mode d'élection, ces attributions surtout, 
en présence des exigences des temps modernes, on concevra aisé- 
ment qu'il devait ètrecliosi: facile au gouvernement de se créer une 
Dièle à son goût. Aussi, ne s'étonnera-l-on pas de trouver à présent, à la 
place d'une Dièle qui naguère fil trembler la monarchie prussienne 
jusque dans ses fondements, une Dièle composée, à quelques excep- 
tions près, de créatures du gouvernement, une Diète qui vole de 
grand cœur toute proposition que le gouvernement daigne lui sou- 
mettre. 

Reste peu de choses à dire encore ; car il n'est vraiment pas besoin 
de démontrer longuement qu'aucune assemblée législative en Prusse, 
survenue depuis, n'a pu a voir un litre pour déroger aux droits accor- 
dés par un roi, alors absolu, aux seuls Rhénans lors de la prise en 
possession en 1815, et reconnus et confirmés depuis toujours, en des 
temps de péril, en 1839 et en 1818 ; il suffit de dire que la Diète elle- 
même ne fut pour rien dans tous ces changements; il suffit de con- 
stater qu'elle fut tour à tour suspendue, volée de ses attributions, 
aboliejaissée veuve de toute attribution sérieuse, sans même avoir été 
entendue; que jamais on n'a prétendu que la Diète ou le peuple 
rhénan, quoique défendant vaillamment ses droits, soit jamais sorti 
des limites de la légalité, qu'aucun besoin impérieux d'Etat ait légi- 
timé ou seulement excusé ces mesures; que le droit public est 
foulé aux pieds sur les bords du Rhin, comme il l'est à l'Eider, 
sur la Vistule. 

A l'heure qu'il est, le dernier reste de nos inslilutions, l'immortel 






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— Il — 

Code civil et ceux de procédure sont sérieusement menacés. Le Gode 
de commerce a déjà disparu (1862). Mais nous sommes tranquilles et 
confiants dans l'avenir : L'histoire ne dira pas que la dernière trace 
de la civilisation dans les départements de la Roër, du Rhin, de la 
Moselle et de la Sarre, ait disparu sous le règne de Napoléon III. 
Écrit pour l'anniversaire de la journée d'Iéna, le 14 octobre 1865. 









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CHAPITRE II 



L'instruction publique dans la Prnsse rhénane 



(Article public par le journal la Liberté, de Paris, du 26 octobre 1865.) 



L'instruction publique en Prusse, objet des plaintes de notre Diète 
en 1837 et .1843, est citée par les journaux de ce pays comme un 
bienfait dont le gouvernement a bien voulu nous gratifier. Exami- 
nons ce bienfait; et,comme rien ne pourra être plus propre à le faire 
apprécier que sa description, nous allons l'essayer en commençant 
par l'enseignement privé. 

L'enseignement privé est réglé par l'ordonnance royale du 
10 juin 1834, développée par le règlement d'administration publique 
du 31 décembre 1839, lequel règlement, actuellement encore en toute 
vigueur, porte textuellement : 

Article premier. — Ecoles et pensions privées ne seront permises 
que lorsqu'un besoin reconnu et réel les nécessiter.!, c'est-à-dire, 
seulement en des lieux t où il n'est pas suffisamment pourvu à l'in- 
struction publique. » 

Art. 2, 14, 19, 21. — Tout directeur ou directrice d'école ou de 
pension, tout instituteur, aide ou surveillant y employé, tout institu- 
teur domestique ou aux cachels, toute institutrice ou gouvernante, 
toute personne, enfin, qui voudra se vouer à l'enseignement, ou bien 
le continuer, se prémunira d'un brevet du préfet, qui ne sera délivré 
qu'après avoir pleinement justifié de ses capacités de la même manière 
que les instituteurs publics, et, de plus, de quelques années d'exer- 
cice et d'une conduite morale et « politique » sans tache. 

Art. 35. — Les brevets seront de tout temps révocables ; ils devront 









— 13 — 

(art. 17) toujours être révoqués, s'il s'élève seulement • des soup- 
çons • sur la conduite religieuse ou politique du breveté. 

Art. 6, 15, 22. — Aucun brevet ne sera jamais accordé à des étu- 
diants qui auraient pris part à des sociétés d'éludianls Allemands 
(Burschenschaften), déjà exclus de l'instruction publique, aussi bien 
que de toute fonction ou emploi public. 

Qu'on veuille bien remarquer ici qu'il nes'agit riullemenldesociétés 
secrètes, mais de simples réunions où l'on discutait seulement, et en 
toute publicité, les lois et les institutions du pays. (Ordonnance royale 
du 5 décembre 1838, art. 5, § 2. ) 

Art. 7. — Les écoles privées sont soumises à la même surveillance 
que les écoles publiques. Celte surveillance ne se bornera pas seule- 
ment au maintien de la discipline et aux résultats de l'enseignement, 
mais aura encore pour objet la confection des plans d'enseignement 
et de leçons, le choix des livres de classe, etc., etc. 

Art. 8.— Les professeurs.le's suppléants, les instituteurs d'établisse- 
ments privés, etc., se conformeront à toutes les dispositions légales et 
administratives qui seront données pour lesécoles publiques; ils sont, 
soumis à la même discipline administrative que les instituteurs pu- 
blics et pourront être punis, par voie administrative, d'amendes 
jusqu'à 75 francs. 

L'article H soumet les écoles de garde (crèches) à la même surveil- 
lance et à la même permission. 

II nous parait bon de nous arrêter ici, pour constater que nous 
avons rapporté et que nous rapporterons textuellement tous les pas- 
sages de lois et de règlements. 

Mais peut-être dira-t-on : Soit, qu'il existe de ces ordonnances, mais 
seraient-elles exécutées? Comment, surtout en vue de l'article pre- 
mier, peut donc exister une seule école privée? Nous répondrons par 
des faits; un seul exemple suflira.' 

Un curé attaché à la paroisse d'Eupen, ville de 13,000 habitants, 
ayant satisfait à toutes les conditions requises avait obtenu enfin du 
préfet d'Aix la permission d'établir une école préparatoire pour les 
classes d'un lycée. Celte école florissait, Celle du gouvernement lan- 
guissait. Alors le ministre des cultes déterra je ne sais quelle ordon- 
nance ou instruction qui demandait encore un certificat de capacité 
délivré par une université. Le vicaire en offrit un d'une université 
étrangère; cela fut refusé. Alors il en offrit un d'une université 
prussienne; nouveau refus, sous prétexte qu'il eut dû y faire aussi 
son cours. Encore le vicaire juslifia-t-il y avoir fait son cours de 
théologie; en vain, il eut dû encore y faire son cours de philologie. 









- 14 — 

Par ordre du ministre, l'école fut fermée l'été dernier, avec injonc- 
tion de fermer toutes écoles semblables. On n'en a pas fermé d'autres, 
parla bonne raison qu'il n'en existait plus. 

Voilà assez pour l'enseignement privé, passons à l'inslruction 
publique. 

Elle est basée sur les ordonnances royales du 1 4 mai 1825 et du 
20 juin 1835, suivies de plusieurs règlements d'administration pu- 
blique ; nous continuons à ciler textuellement. 

Art. premier de celte loi. — On enseignera encore dans les écoles 
primaires élémentaires : le chant religieux et « national, » les élé- 
ments de la géographie et de l'histoire t nationale » (et quelle his- 
toire! le R. P. Loriquet, à côté d'elle, est un apôtre de vérité!) les 
ouvrages manuels aux filles, et, aux garçons, des exercices gymnas- 
tiques, qui, cependant, ne consisteront (arrêté du préfet d'Âix, du 
7 novembre 1 861) qu'en des dévolutions militaires, » et dont les leçons 
seront données, à défaut de l'instituteur, par quelque ancien capo- 
ral de l'armée. 

Art. 2. — L'instruction religieuse est obligatoire. 

Nous devons supposer comme la fameuse ordonnance royale du 
17 avril 1825, concernant l'éducation des enfants issus de mariages 
mixtes, qui sema des troubles dans mille familles et qui a amené la 
détention de noire archevêque Clément-Auguste, de glorieuse mé- 
moire; laquelle ordonnance subsiste encore dans toute sa vigueur. 
D'ailleurs, il faut rendre cette justice au gouvernement qu'il n'en- 
trave en rien l'instruction religieuse des enfants nés de père et mère 
catholiques ; seulement il se réserve le choix des livres d'instruction, 
catéchismes, elc. 

Art. 7. —Au lieu de la discipline du tribunal civil, celle du préfet, 
après que celui-ci aura pris l'avis, selon les cas, de l'un, de plusieurs 
ou de lous ses chefs de bureau. (Voilà le simulacre de notre glorieuse 
institution des Conseils de préfecture.) 

Art. 8.— Les écoles publiques seront entrelenues des deniers com- 
munaux.sansquecependanl les Conseilsmunicipauxen aient la moindre 
disposition, si ce n'est pour augmenter les traitements fixés par le 
préfet. 

Art. 9.— Les écoles publiques sont multipliées à l'infini, par suite du 
grand nombre des élèves ; tous les élèves de l'âge de cinq à quatorze 
ans, et ceux plus âgés encore, s'ils ne sont pas reconnus assez 
instruits, étant sujets à l'instruction obligatoire. Encore le gouver- 
nement exige-til, en tout endroit où il y a une douz iine d'enfants 
de fonctionnaires (presque tous, comme nous l'avons dit, originaires 






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— is — 

de la vieille Prusse et, par conséquanl, protestants), une école pro- 
testante, mais entretenue des fonds de communes foutes catholi- 
ques. 

Un partisan juré de l'instruction obiigaloire devra reconnaître si 
ces charges sont ou non trop pesantes pour les communes; mais qui- 
conque'voudra s'arrêter un moment pour penser, reconnaîlra encore, 
dans l'institution de ces écoles protestantes, un trait caractéristique 
de la haute finesse prussienne. 11 va sans dire que dans ces écoles, 
fréquentées de si peu d'élèves et dirigées par des instituteurs habiles, 
l'éducalion est plus soignée; encore cela est-il, comme on a vu par 
notre desci iption de l'enseignement privé, presque le seul moyen 
d'extraire les enfant- de la foule. Il ne peut donc manquer que ces 
écoles attirent toujours quelques élèves calholiques bien nés. Rien 
n'est plus du goût du gouvernement, qui espère, par ce contact, 
concilier les deux races; niais il doit être dit, à l'éternel honneur de 
notre clergé qu'il n'est rien aussi à quoi il s'oppose autant que 
contre cet abus. C'est surtout par ces petits moyens que le gou- 
vernement opère, et opère tant et si bien, qu'il venait infailliblement 
à bout de toute tribu qui n'espérait pas en la France; quiconque les 
ignore jugerait fort mal les choses : toute l'histoire de nos persécu- 
tions religieuses, toute l'histoire delà caplivilé de notre Clément- 
Auguste ne serait pas assez comprise par qui ne serait pas dans le 
secret de ces petits moyens et finesses prussiens. A ceux qui vou- 
draient s'en instruire, nous devons recommanderl'excellent ouvrage 
de M. A. Dumas : Voyage sur les bords du Rhin, où ce célèbre 
auteur et illustre voyageur marque en si peu de mots toutset la 
vraie situation des choses. 

Art. 12. — Les traitements fixés par le préfet. Entière dépendance 
des instituteurs, qui sont soumis au gouvernement au même point 
et degré que tous les autres fonctionnaires publics. (Arrêté du préfet 
d'Aix-la-Chapelle, du 28 mai 1850.) 

Art. 13. — Pas de subventions, pas de secours et d'encourage- 
ments de la part de l'Étal. (Message royal du 31 décembre 1843.) 

La somme, d'ailleurs assez minime, qui figure sous le titre : « Be- 
soins de l'instruction publique » dans le budget de l'État, sert prin- 
cipalement à salarier les inspecteurs royaux. 

L'emploi arbitraire que fait le gouvernement de certains fonds 
appartenant à quelques parties du territoire de notre province, et 
destinés aux besoins de l'instruction publique, fut l'objet de plaintes 
amères de notre Diète en 1841 et 1843. 

Art. 17. — Les membres du Comité local à la nomination de sous- 
préfet. 



— i6 — 

Art. IH -21. — Pas de comité d'arrondissement; ses attributions 
dévolues au seul préfet; par conséquent : 

Art. 22. — Pas de délégués pour l'inspection des écoles, mais des 
inspecteurs royaux, nommés et salariés par le gouvernement. 

Art. 23. — Les instituteurs nommés, et la discipline exercé par 
le seul préfet. 

Consignons encore l'ordonnance royale du 20 juin 1835, développée 
par le règlement d'administration publique du 6 février 1845, qui 
punit les père et mère, dont les enfanls négligeraient l'instruction 
publique, d'amendes jusqu'à 4 francs, ou d'emprisoimement jusqu'à 
24 heures; lesquelles peines (art. 3) seront prononcées de mois en 
mois, ou même, en cas de récidive (art. 16) par quinzaine ou hui- 
taine, de sorte que, pour la négligence d'un seul enfant, et dans le 
cours d'une seule et même année, les peines peuvent monter à ISOfr. 
d'amende ou six semaines d'emprisonnement. Disons encore que ce 
règlement (arl. 3) en instituant le maire (fonctionnaire richement 
salarie et nommé par le gouvernement) juge, le soumet en cette 
qualUé encore (art. 17) à la discipline du sous-préfet, qui peut dé- 
cerner contre lui des amendes jusqu'à 20 francs; et que ce même 
règlement (art. 5), tout en conférant à ce singulier juge (à Aix-la- 
Chapelle ces fonctions sont exercées par un commissaire de police, 
ancien caporal de l'armée — arrêté du ministre des cultes, du 6 juin 
1862,) le droit de punir, lui ôte (art. 7) celui d'absoudre, ce qu'il ne 
pourra que sous l'approbation spéciale du sous-préfet. 

Reste encore à parler de l'instruction supérieure. 

Il ne saurait entrer dans nos intentions d'en faire une description 
détaillée; un tel travail serait Irop étendu pour les colonnes d'une 
feuille périodique. D'ailleurs, vu son organisation toute différente 
de l'organisation française, ceserait chose difficile de la faire connaître 
au grand public. Dans cette organisation, tout est réglé d'une manière 
minutieuse jusqu'au ridicule, mais loujoursen des termes peu clairs, 
souvant équivoques. Aussi, le gouvernement se moque-t-il, en plein 
jour, de ces règlements, en tout et pour tout ce qui lui sert; il les 
fait exécuter à la lettre, en tout et pour tout, ce dont il craint quelque 
inconvénient ou opposition ; le ridicule se change alors en un sérieux 
écrasant. De cette dernière hypothèse, nous avons vu l'exemple écla- 
tant dans le traitement de l'école du vicaire d'Eupen; de la pre- 
mière, nous l'avons vu dans les délibérations de notre Diète 
en 1843. 

Au reste, celte partie de l'instruction prussienne n'est pas trop 
inconnue en France. 

Il suffit de dire que les règlements qui la régissent sont connus 



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- 17 — 

dans la vieille Prusse même sous le nom de « Règlements fameux 
du ministre de Raumer » ; il suffit de dire qu'on enseigne dans ses 
auditoires une histoire, une philosophie, une jurisprudence, un droit 
public, des principes, tout prussiens, aussi inconnus qu'abhorrés 
à l'étranger et dans le reste de l'Allemagne môme, principes dont les 
fruits, percent pariout; principes qui autorisent tous les manèges et 
finesses du gouvernement, qui autorisent l'oppression et la destruc- 
tion (Germanùirung) des nationalités; principes qui autorisent toutes 
ces actions de force brut. de et de pouvoir arbitraire, dont nous 
sommes les témoins; principes qui autorisent les horre 1rs com- 
mises, dans les champs de bataille, sur nos malheureux blessés, le 
meurtre des fidèles Saxons en 1815, les horreurs dans la Posmanie 
en 1846 et 1848, dans le Danemark en 1864, principes qui autorisent 
enfin, des atrocités comme l'assassinat de l'infortuné Ott. 

Voilà l'éducation de la jeunesse autour des berceaux de Charle- 
magne et de Ney, dans les auditoires des Albert-le-Grand (Albertus 
Magnus), des Duns Scotus, des Thomas d'Aquin. 

Encore nous ne devons pas taire que tout avenir, des allégements 
dans le service militaire, l'exercice de plusieurs professions même, 
dépendent de la fréquentation de ces écoles Du moindre surnumé- 
raire pour les places subalternes dans les régies jusqu'au fonctionnaire 
le plus haut placé, chacun doit justifier de tant et tant d'années de 
fréquentation d'écoles super eures prussiennes; tous les ecclésiasti- 
ques, médecins, etc., etc., y sont tenuségalement(ordonnance rovale 
du 30 juin 1841), sans quoi ils ne peuvent obtenir aucune permis- 
sion d'exercer leur état ou profession. La fréquentation des écoles 
étrangères fut souvent interdite, non seulement sous peine d'être 
exclu de toute fonction ou emploi public, mais encore aux simples 
particuliers qui ne demandent jamais rien à l'État. 

Une ordonnance royale du 21 mai 1824 défendit ainsi la fréquen- 
tation de plusieurs universités allemandes, encore sous des « peines 
pécuniaires arbitraires contre les père et mère et tuleurs. » (Nous 
devons encore répéter que nous rapportons les passages textuelle- 
ment.) La défense de fréquenter certaines écoles étrangères subsiste 
encore dans toute sa vigueur. 

Marquer le degré et l'étendue des sciences réelles que l'on reçoit 
dans les écoles, c'est toujours chose difficile; mais nous avons une 
échelle assez sûre en ce que, pour être reçu surnuméraire dans l'ad- 
ministration ou dans les régies, un senice militaire, de douze ans, 
dont neuf comme caporal, équivaut toujours à la fréquentation de 




— ï8 — 

six classes inférieurs, et souvent de toutes les huit classes d'un lycée. 
(Ordonnance royale du 21 oclobrc 1827.) 

Pour ce qui regarde spécialement les écoles élémentaires, nous 
avons un excellent moyen de marquer ce degré de l'enseignement 
en laissant parler seulement «le règlement pourles écoles normales» 
du i" octobre 1854, dont voici les articles y relatifs : 

Titre III. — Enseignement de la lecture et de la langue allemande . 

« Pendant tout le cours de l'instruction, la jeunesse sera assidù- 

» ment exercée dans une saine lecture, telle que nous la présentent 

> la Bible, l'Ami des enfants, e,t le Livre des cantiques. 

» Uu enseignement spécial de la grammaire n'aura pris lieu; l'in- 
» slituteur primaire sera réputé cipable d'enseigner s'il sait manier 
• habilement ["abécédaire et le lin-e de lecture. » (Wenn erdie Bibel 
» unddas Lesebuch richlig zu behandeln versleht). 

Titre IV. — Enseignement de l'histoire et de la géographie. 

« Ces deux parties de l'instruction auront pour centre commun 
» notre patrie prussienne. 

» Des observations et recherches soigneuses ont prouvé surabon- 
» damment qu'il n'est d'aucune utilité d'enseigner, dans les écoles 
. normales, l'histoire universelle « puisque cela ne sert qu'à -faire 
» naître des idées peu claires et à propager les idées subversives. » 
» ("Wei! dies nur Unklarheit und Verbildung erzeugt). 

,< Défeise est donc faite d'enseigner dorénavant cette parlie de 
. l'histoire dans les écoles normales (dans les écoles normales, bien 
» entendu!); mais on prendra soin de lier à la Bible et à l'histoire 
» allemande les dates historiques absolument nécessaires à savoir. 
» (Allgemeine Weltgeschichte kann als ein besonderes Unlerricht- 
» sfach in den Seminarien fernerhin nicht betrieben werden ; es 
» sindvielmehrdieunentbehrlichsten Miltheilungen aus ihr theils 
i an die biblische, theils an die deutsche Geschichte anzureihen.) 

> Cet-enseignement de l'histoire allemande ne se fera qu'avec une 
» considération toute particulière de l'histoire brandenbourgo-prus- 
» sienne et seulement de la sorle que par l'enseignement de cette 
. histoire ne seront propagées que les idées prussiennes et la con- 
« naissance de nos institutions et relations prussiennes. On ne s'y oc- 
» cupe.ra surtout que des personnes qui ont joué un rôle dans l'his- 
» toire prussienne et de la description des hauts faits prussiens. 
» (Es tel in den Seminarien zuniichst die deutsche Geschichte mit 

> vorzugsweiser Berûcksichtigùng der preussischen in der Art zu 
» belreiben, d'ass durch Me mimentlich kenntniss und verstàndniss 
» unserer valerldndischen Einrïch fange n, Zustande, der in ihnen 






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— 19 — 

» hervortretenden Personen und i/jrer thaten erzielt wïrd.) (Voilà ce 

> qu'appellent certains rêveurs allemands : « das aufgehen Preussens 
» in Deutschland! » « l'assimilation de la Prusse à l'Allemagne. 1) 

» Il doit èlre la tache principale de tout instituteur de répandre, 
» et non seulement dans la génération naissante mais dans tout son 
» entourage, une connaissance exacte des institutions et fastes 
» prussiens et des personnes qui ont joué et qui jouent encore un 
« rôle dans l'histoire prussienne, et de faire naître ainsi les senti- 
» ments d'une respectueuse obéissance et d'un sincère amour pour 
» le roi et toute la maison royale. 

» Puis il fera fêter convenablement, par la jeunesse, les fêtes du 
» roi, des princes, etc., et les jours anniversaires des victoires prus- 
» siennes (die vaterlaendischen Gedenck-und Erinnerungstage) et 
» aura surtout soin de faire connaître à la jeunesse les meilleures 

> œuvres des poètes nationaux. 

» Pour le dire en un mot : L'enseignement de la langue allemande 
« et du chant doit èlre mis entièrement au service de l'enseignement 
» de l'histoire nationale. (Das Unterricht in der deutsehen Sprache 
» und ims Gesang Iritt hierbei in unmillelbarem Dienst des vater- 
» laendischen Geschichte-Unterrichts., » 

Bien que nous l'avons déjà repété maintes fois que nous donnons 
tous les passages de loi textuellement, nous avons jugé bon de 
donner ici aussi le texte allemand; nous avions vraiment peur, que, 
vu l'ignorance des Français, sciemment et Irop longterhps entretenue 
par un gouvernement corrompu, sur les affaires de l'Allemagne, on 
ne nous croirait, pas autrement. 

« Art. 10. Les exercices gymnasliques dans les écoles n'auront 
» pas seulement pour but de fortifier le corps et d'augmenter l'agi- 
» lilé corporelle, mais encore et surtout « d'habituer l'écolier à 
» la précision, à la subordination et à une obéissance passive. 
» (Gewôhnung an Praecision, Unterordnung und Gehorsam an's 
» WorJ.) » 

Après cela, chacun peut aisément se figurer les premiers et inévi- 
tables résulhits de celte instruction. L'extermination de tout ensei- 
gnement privé, l'entière dépendance de l'instruction publique, la 
destruction de l'influence paternelle, une science toute prussienne 
enfin. 

Heureusement les résultats ultérieurs, la corruption générale qui 
devait en résulter, ne s'est pas fait encore trop sentir dans notre 
province. Noire peuple est encore tout digne de recevoir ses frères 
libérateurs. Nous devons cela, d'abord au tout petit nombre de jeunes 
gens (bien entendu que nous parlons des seuls nationaux) qui fré- 



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— 20 — 

quenlent ces écoles supérieures, tandis que la presque totalité se 
destine au commerce et reçoit ?on éducation ultérieure dans les 
maisons et écoles de commerce étrangères. Nous le devons à notre 
vénérable clergé, qui, aussi fidèle à la religion qu'au pays, soutint 
parlout le corps des instituteurs qui, eux, ne débitent ces principes 
et histoire prussiens que conlraints et malgré eux. Nous le devons 
surtout à nos femmes, à une soigneuse éducation maternelle; presque 
toutes les jeunes filles des hautes et moyennes classes ont reçu leur 
éducation dans les pensionnats de la France, de la Hollande et 
surtout de la Belgique, et transmettent fidèlement celte éducation à 
leurs enfants. Nous le devons enfin, quant au peuple, à ce qu'il oublie 
promptement l'histoire d'école, qu'il nomme dans son langage naïf : 
i l'histoire d'ours » (d'après le nom d'un margrave de Brandebourg, 
Albrecht, surnommé « l'ours, » qui y joue un rôle), pour s'occuper 
de celle dont Béranger parle dans ses Souvenirs du peuple : 



« On parlera de sa gloire 
» Sous le chaume bien longtemps, 
a L'humble toit, dans cinquante ans, 
» Ne connaîtra plus d'autre histoire. 






CHAPITRE III 



L'Administration publique dans la Prusse rhénane 



(Article publié par le journal la Liberté, de Paris, novembre 186S.) 



Ce n'est pas une tache facile, le lecteur peut bien nous croire, que 
de décrire l'administration publique de ce pays. C'est un rouage 
un peu compliqué que cette administration prussienne! Aussi, de- 
vrons-nous être un peu long; mais que le lecteur se rassure : plus 
ce récit sera long, plus il sera intéressant, bien entendu intéressant 
seulement à cause des choses intéressants qu'il lui présentera. 

Comme de raison, commençons par les fondements, bien que ce 
ne soient pas les véritables bases de cet édifice, avec les Conseils 
communaux enfin. 

Ces Conseils sont formés, il est vrai, par scrutin, mais par* scrutin 
public (à haute voix ; art. Il de la loi dite « la nouvelle » (l'annexe 
du 15 mai 1856) sur une liste où les électeurs, soumis à un haut 
cens, sont divisés en trois classes d'après leurs contributions di- 
rectes; ils sont renouvelés tous les trois ans par moitié. Les con- 
seillers élus sont soumis à la confirmation du sous-préfet (art. 58 de 
la loi du 23 juillet 1845). 

Indépendamment et à côté de ces Conseils communaux, il existe 
des Conseils de mairie (ordinairement une mairie est composée de 
plusieurs communes). Leurs membres sont élus par les conseillers 
communaux et dans leur sein. Bien que, ainsi que nous l'avons dit, con- 
firmés déjà une fois par le sous préfet, ils doivent être confirmés, en 
cette qualité encore, une seconde fois par ledit sous-prefet (art. 110 de 
ladite loi). Déduction faite des affaires purement communales dans le 



■■■■■■ 



22 



sens le plus restreint, les fonctions de ces deux Conseils sont toutes 
les mêmes et l'on ne concevra pas pourquoi ils existent si ce n'est 
que l'un soit particulièrement destiné à voler tout de suite ce que 
l'autre hésiterait peut-être à voler. 

Avec cela il faut encore considérer qu'avec les votes el les délibé- 
rations de ces deux corps, i! y ait une singulière destinée et que 
l'art. 86 de ladite loi porte que partout où il s'agissait des obliga- 
tions des communes — et obligations sont presque tous les articles 
du budget — leurs délibérations ne sont regardées que comme 
« des avis. » C'est ainsi qu'on entend sous obligations de com- 
munes, tout ce qui regarde la police, les secours aux pauvres, les 
travaux publics, la voierie, les affaires d'école el des cultes, les 
salaires, la culture des biens communaux, la construction et l'entre- 
tion des prisons, les prestations militaires de toute sorte, l'entretien 
et rétablissement des garnisaires et autres officiers et caporaux de 
l'armée ayant douze années de service, enfin toutes les dépenses 
cantonales, départementales et provinciales, et mille et mille autres 
dépenses et prestations pour affaires générales de l'Etat. Dans toules 
ces affaires, les délibérations de ces corps n'ont que la valeur de 
« simples avis, » et il n'y a pas même grand inconvénient si les Con- 
seils ne délibèrent du tout ou en nombre insuffisant, puisque, en ce 
cas, la décision du sous-préfel'« complète» la délibération (art. U) 
tandis qu'en même temps le préfet (art. 87), en ordonnant les pres- 
tations, met les dépenses à la charge des communes, en les portant 
simplement sur le budget annuel. 

Si la situation de ces Conseils laisse donc à cet égard beaucoup à 
désirer, on ne doit méconnaître pourtant qu'en échange ils ont 
d'autres bénéfices et prérogatives propres à les consoler. C'est qu'on 
a su procurer à leurs membres des appointements et rémunérations 
de toute sorte, non en leur qualilé de membre du Conseil, mais à 
titre « d'adjoints, chefs de village, expéditeurs des lettres, agents- 
voyers, rendants et contrôleurs des caisses d'épargne, receveurs des 
droits de passe, etc., etc., » voir même à titre « d'électeurs pour les 
élections politiques, » et qu'on a donné à ces Conseils une prérogative 
dont certes ne jouit pas d'autre Conseil municipal sur le reste de ce 
globe, la prérogative de devoir délibérer aussi sur des affaires autres 
que communales ; seulement (art 61) ces affaires leur doivent élre 
adressées, à tout Conseil séparément et chaque fois particulièrement 
par arrêt spécial du préfet. 

Ces détails suffiront, je pense, pourpeindre la situation exacle de ces 
Conseils, bien que nous eussions encore à parler de beaucoup d'autres 
choses bien amusantes, par exemple de certaines précautions contre 



— ?3 — 

la non-signature des délibérations (où — ail. 17 de la nouvelle — la 
signature de trois membres su(ïit), des précautions contre la non- 
acceptation des mandats (où — art. 27 ibidem — il y a lieu à des 
amendes p.ononcées administrativemenl), bien que nous eussions à 
parler encore des amendes et autres rectilica lions — jusqu'à l'exclu- 
sion même — encourues par les membres qui n'obéissent parfaite- 
ment aux rappels et ordres du maire (art. Ai et 18 des lois du 
5 mai 1856) ainsi que de la suppression de conseils entiers (art. 86 cl 
28 ibidem). Mais passons aux fonctionnaires, qui sont mis à la tête de 
ces communes, aux maires enfin. 

Gomme on le pense bien, pas plus que la situation des conseillers 
municipaux, celle des maires devra être appelée une situation digne 
de respect. D'abord, il doit être non seulement le serviteur humble 
du préfet et sous-préfet, ses supérieurs directs, mais le serviteur 
également obéissant de toutes les autres administrations civiles et 
militaires, régies et autres institutions du service public et des mille 
fondations et institutions dites < patriotiques > (Nationaldank, Vic- 
toriastiftung, Kronprinzsliilung, Bibel und Fraelat-Gesellphaften, 
Kinder, « und Judcn » — Bckchrungs-Gesellschaften, etc., etc.,) aux- 
quelles toutes il doit « la même obéissance passive et ponctuelle, tout 
éclaircissement, les mêmes révérences et une assistance prompte et. 
énergique. » (Art. 57 et 108 ibidem.) 

Voici quelques détails de ses fonctions qui expliqueront sa position 
mieux que la plus longue description : 

Il a, entre autres, l'obligation de requérir, sur l'ordre des maîtres 
des postes, les chevaux des particuliers, qui, aux termes de la loi 
postale, sont obligés de les mettre à la disposition des bureaux 
de poste ; 

Puis, l'obligation de procurer un logement, même par billets de 
quartier, aux présidents, commissaires et employés de l'assiette des 
contributions directes (ordonnance ministérielle du 16 août 1861) ; 

Puis l'obligation àe faire des quêtes et collectes en faveur de la fon- 
dation Malizewsky pour les garnisaires prussiens (ordonnance mi- 
nistérielle du 5 janvier 1855) ; 

Puis, de recueillir des souscriptions sur des calendriers, brochures, 
bustes et portraits du roi, du prince royal et de tous les princes et 
princesses de la maison royale, au profit de ladite fondation Ma- 
lizewsky (Nationaldank fur invalide kirieger); 

Puis, la même obligation de faire des collectes annuelles en faveur 
de l'Association pour la dislribution de bibles protestantes (Bibel 
« und Fraclat-Gesellschaft (ordonnance royale du 11 novembre 18U) 
et autres fondations protestantes, entre autres de l'Association pour 






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- 24 — 

la conversion des enfants juifs et autres (Verein zur Bekehrung der 
Juden, Kinder-Rettungs-Anstall de Recke); » 

Puis il a, en sa qualité d'agent né de « l'Association potsdamoise 
pour l'épuration de la langue allemande » (Potsdamner Sprach-Reini- 
gungs-Verein), non seulement à s'abstenir de toute expression fran- 
çaise ou latine, mais à se servir en tout, dans ses relations publiques 
aussi bien que privées, du plus pur jargon prussien ; 

Il a le droit d'annuler l'exécution des délibérations, même en ma- 
tière purement communale, des Conseils municipaux, seulement il 
ne doit pas exercer ce droit que sous l'assentiment du sous-préfet; 
mais il a l'obligation, sur la demande du préfet et sous-préfet, d'an- 
nuler toute délibération désignée par l'un d'eux, sans différence que 
lui-même il approuve la délibération ou non; 

Puis encore, il est responsable du succès de toutes les élections 
politiques; il est vrai que pour cela il a à sa disposition toules les 
ressources de l'arsenal de police et l'aide de tous les fonctionnaires, 
employés privilégiés, pensionnés et candidats de toute sorte, sans 
parler même du moyen déjà signalé des rémunérations pécuniaires 
pour les électeurs. 

En échange de ces sales occupalions, il lui reste un salaire plus que 
surabondant, salaire non limité et ne dépendant que de la fixation du 
seul préfet, salaire qui, dans de simples mairies rurales, égale sou- 
vent le traitement d'un sous-préfet français et puis une pension, cal- 
culée sur ce salaire, sans que, en tout cela, les communes aient 
autre chose à dire ou à faire que de payer (art. 24 et 18 des lois du 
15 mai 1856). Comme on le voit, on ne travaille déjà plus pour rien 
pour le roi de Prusse. 

Puis, il porte le bâton haut. 

Une ordonnance du 24 décembre 1841, concernant la police des 
hôtelleries, lui accorde le pouvoir d'interdire aux personnes adon- 
nées aux boissons spiritueuses, non seulement de prendre ces bois- 
sons, mais la fréquentation des cafés, hôtelleites et autres lieux 
publics, tout cela sous peine, pour l'hôtelier, de perdre immédiate- 
ment la permission. 

Voici un exemple comment ce pouvoir s'exerce : 

Le maire d'Iserlohn, en vertu des pouvoirs qui lui sont accordes par 
cetteordonnance, interdisait decette sorte toute fréquentation de lieux 
publics à un homme dont il était constaté qu'il ne buvait que de l'eau 
sucrée; seulement cet homme était chef du parti dit « du progrès ; » 
il est vrai que ce parti est regardé dans la vieille Prusse comme l'égal 
des jacobins. Iserlohn est une ville de 20,000 âmes. Qu'on en juge 
après cela de ce qui se passe dans les campagnes ! 



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— 25 - 

Une autre ordonnance du 120 juillet 1818, pour assurer la prompte 
exécution de ses ordres et arrêts, lui accorde le droit de rendre 
des arrêts pénals ( Execulions-und Strafbefehle) prononçant des 
peines jusqu'à 375 fr. d'amende ou un mois de prison, arrêts exécu- 
toires sur le champ et sans aucun recours en justice. (Voir pour cette 
matière le chapitre sur l'Ordre judiciaire.) 

Encore une ordonnance du 12 janvier 1839 le charge, concurrem- 
ment avec les commis d'octroi, du maintien du soi-disant contrôle 
des allants et venants (Passcontrole), institution pour la fltl ris- 
sure de laquelle notre Diète (7 e cl 8 e session) déclarait ne pas savoir 
trouver des mots assez forts, institution qui assujettit même des 
personnes qui n'ont jamais été punies, des personnes « soupçonnées» 
seulement d'un commerce interlope, à la surveillance de police, à une 
surveillance plus étroite et plus outrageuse que cellu sur les voleurs 
et receleurs mis juridiquement sous la surveillance delà police; 

Puis encore il est tout spécialement chargé des razzias annuelles 
de mendiants et de vagabonds, les soi-disantes « visitalions cam- 
pagnardes ; « bref, il est, en un mot, le vrai et véritable « bedelvogd » 
(chasse-coquin), tel que l'appelle à si juste titre noire' Marseillaise rhé- 
nane (car nous avons déjà une Marseillaise à nous autres malheu- 
reux Rhénans; elle est, si je ne m'abuse, composée par M. Freiligrath 
et a pour sujet le président de police à Dùsseldorf, M. de Faldera, 
grand mangeur de Rhénans, qui, inculpé de malversations de toute 
sorte, fut déclaré fou et employé, dit-on, sous un nom emprunté 
dans la vieille Prusse; ses complices furent punis). 

Ce qui caractérise surtout la situation avilie de ces fonctionnaires, 
c'est qu'on ne se gène nullement de leur enlever, par simple rescrit 
préfectoral, le peu de droits et pouvoirs que leur laisse la loi, entre 
autres le droit de permissionner les cafés, de rendre des règlements de 
police, etc., etc. Les pouvoirs qui leur sont accordés par les lois des 
7 février 1835 et 11 mars 1850 leur furent retirés, c'est-à-dire soumis 
à une approbation préalable du sous-préfet, par simple rescrit du 
préfet. Ce fut le député, M. Contzen, maire d'Aix-la-Chapelle, qui 
portait ces détails, peu connus jusqu'alors, à la tribune. 

11 va sans dire que les personnes répondent aux choses et qu'on 
ne choisit pour ces postes que des hommes dressés et disciplinés 
des hommes tournés et virés, comme on dit ici, des hommes enfin 
auxquels ces conditions ne sauraient répugner, dont on n'a pas à 
craindre la moindre opposition, pas même un regard indiscret dans 
la machinerie administrative, tels que lieutenants et caporaux de 
l'armée et du « landwehr, » anciens commissaires de police, secré- 
taires du sous-préfet, surnuméraires des administrations, etc., etc. 














— 26 - 

lin effet, toutes les places de maire se trouvent remplies de ces indi- 
vidus, véritables piliers de caserne el machines de bureau, tous gens 
sans éducation autre que celle que donne « le règlement, » qui n'ont 
aucune intelligence d'une administralion régulière, aucune idée de 
ce que c'est que la loi, qui ne connaissent même pas ce mot et dont 
tout le savoir se résume dans celte phrase sacramentelle » ordonné 
par rescrit de la régence royale très-louable et très-eslimable. » — A 
propos de surnuméraires, nous avons déjà dit, dans le chapitre sur 
l'instruction primaire, que pour eux un service militaire de douze 
ans, dont neuf comme caporal, équivaut toujours à la fréquentation 
de six el souvent de, loutes les hujt classes d'un licée. (Ordonnance 
royale du 21 octobre 1827.) 

Avant de monter l'échelle de gradation de la hiérarchie bureau- 
cratique, il faut faire observer ici que les villes proprement dites 
sont gouvernées par une autre loi ou pour mieux dire par une loi 
d'une autre date (Staedte-Ordining), du 15 mai 1856, qui, dans une 
autre phraséologie, dit absolument la même chose (Gemeinde- 
Ordnung) du 23 juin 18-iîi, suivie de la « nouvelle » (annexe) du 
15 mai 1856). 

La différence entre ces deux lois dont on fait le plus grand cas est 
dans l'article sur la nomination des maires, laquelle, dans les petites 
villes et dans les campagnes s'exerce par le seul préfet, tandis que, 
dans les grandes villes, ce pouvoir lui appartient également, mais 
après deux comédies d'élection jouées par le Conseil municipal. 

L'insignifiance de ces farces est démontrée déjà par les termes 
propres de la loi qui (art. 32) réserve toujours au roi ou au préfet 
l'approbation et, dans le cas où il fut élu, des personnes non agréées 
par le gouvernement, la nomination directe et sans phrase; mais 
elle se montre surtout dans la pratique où nous trouvons qu'un seul 
qui doive sa nomination de la vraie élection d'un Conseil municipal : 
M. Contzen, maire d'Aix-la-Chapelle, homme auquel, lors de sa 
réélection (il fonctionnait déjà avant la loi de 1856) le gouvernement 
ne savait faire le moindre reproche, bien que, comme Rhénan naturel 
du pays et homme droit et loyal, il était une double épine dans la 
chair des Prussiens. Mais il faut dire aussi qu'il eût. été difficile de 
l'éloigner et de mauvaises langues prétendent môme que son appro- 
bation n'était dû qu'à ce que le gouvernement, en dépit de loutes ses 
peines données, n'avait réussi à trouver un Prussien qui eût eu le 
courage de vouloir remplacer un tel homme dans une ville telle 
qu'Aix-la-Chapelle. (Aix et Coblence passent sans contredit pour être 
les perles du pays Rhénan dans le sens national.) 

Cette méthode, ainsi que nous venons de dire, appelée « à la guise 






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— 27 — 

de Cologne, » doit ce surnom, on le pense bien, à ce qu'elle y fût 
mise à l'œuvre la première. La place de maire de cette ville étant 
venue à vaquer et le tenancier actuel, M. Stupp, s'étant rendu im- 
possible aux yeux des Prussiens, en prononçant à la tribune de la 
Chambre des seigneurs prussienne le fameux : Jamais! jamais! 
jamais ! (quand, dans cette Chambre, fut ventilée la question d'abolir 
ici le Code Napoléon, il avait osé s'écrier « qu'il n'y aurait jamais 
lieu de délibérer sur ce point et que jamais ces nains (t) ne ver- 
raient-ils son abolition !»), les libéraux prussiens (c'est-à-dire les 
fonctionnaires, fils de fonctionnaires, candidats-fonctionnaires, con- 
cessionnaires, juifs de finance, etc., elc, le parti libéral proprement 
dit est appelé ici « parti du progrès t) se hâtèrent d'ébruiter que leur 
chef, M. de Bockum-Dolffs, l'un des vice-présidents de la Chambre 
des députés, conseiller inlimede Sa Majesté, serait irrévocablement 
destiné à remplacer M. Slupp. Qu'on se figure la consternation dans 
la ville et dans le Conseil municipal (fort soupçonne d'ailleurs du 
népotisme) sur cette nouvelle malheureusement trop avérée. Enfin, 
au plus haut de l'agitation, le préfet fit sous la main savoir aux 
membres du Conseil municipal qu'il y avait moyen de tout concilier, 
en assurant la confirmation royale pour un certain M. Bachem, 
catholique et ancien maire de Coblence, relégué de ses fonctions, si 
le Conseil voulait montrer de la prévenance en faisant tomber l'élec- 
tion sur celui-ci, mais que, en cas contraire, M. de Bockum-Dolffs 
serait nommé sur le champ. Il va sans dire que le Conseil acceptait 
promplement celte offre et M. Bachem fut élu unanimement. Aussi 
l'élection a satisfait, sinon la ville, du moins le Conseil municipal 
qui voit les fils, beaux-fils, neveux et alliés de ses membres continuer 
à se partager fraternellement dans les emplois et faveurs commu- 
nales, mais surtout le gouvernement : M. Bachem ayant répondu 
pleinement aux attentes de la Nouvelle Gazette de Prusse qui, lors 
de sa nomination, lui fit remettre en mémoire que de sa geslion 
antérieure il aurait beaucoup à s'amender; » au fait, il s'est amendé 
plus qu'on ne l'espérait. 

Pour ceux qui croiraient de telles choses impossibles dans une 
gi ande ville, nous devons faire remarquer qu'aucune ville n'est plus 
propre à ces sortes d'intrigues que précisément Cologne, où la moitié 
(bien entendu la moitié!) de la population se compose de Prussiens 
qui s'y sont introduits de toute manière : par exemple toute l'armée 
de fonctionnaires, fils de fonctionnaires, employés des chemins de 






(1) << Nain, signifiant en allemand « Junkcr » ou littéralement » pauvre-hère > 
est le surnom généralement adopté des membres de cette Chambre. 




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28 



fer et des sociétés en actions, les familles de troupes, les pensionnes, 
les concessionnaires (hôteliers, libraires, médecins, pharmaciens, 
architectes, géomètres, etc., etc.,) et une foule de commerçants, 
fabricants, artisans et ouvriers de toute sorte que le gouvernement 
y sait attirer par toutes sortes de promesses, — et où les fonction- 
naires et leur suite ont reçu Tordre express de fraterniser avec tous 
les partis, même les plus avancés, partout où il peut servir à sup- 
planter l'élément national et à porter en avant les Prussiens, et cela 
surtout dans les élections communales. Il parait que c'est seulement 
en France où l'on ignore que c'est précisément le parti soi-disant 
libéral, composé, nous ne saurions assez le répéter, seul et unique- 
ment de fonctionnaires, fils de fonctionnaires, candidats-fonction- 
naires, concessionnaires, juifs de finance et gens de la même trempe, 
parti reconnu ici et dans le reste de l'Allemagne que sous le nom 
bien caractéristique de « parti des gueux » (littéralement « parti des 
ayants-faim, » — Haugerleider parte), que c'est précisément, disons- 
nous, ce parti que le Rhénan abhorre la plus, tandis qu'il rend vo- 
lontiers au parti conservateur la justice qu'il lui laisse du moins sa 
nationalité en daignant le qualifier de « demi-Français i (expression 
textuelle de la Nouvelle Gazette de Prusse) et de traiter son pays en 
province conquise simplement. Mais il est de notre devoir de con- 
stater aussi que le vrai bourgeois de Cologne, toute la population 
indigène, est restée toujours étrangère à toutes ces intrigues, qu'elle 
n'a presque jamais paru sur la scène ou seulement s'il s'agissait 
expressément de montrer à la canaille étrangère (« dem fremden 
Paell, » ainsi que s'exprime le bourgeois de Cologne), co qu'on pen- 
sait d'elle, et nous devons assurer, en notre à me et conscience, 
qu'après l'expulsion prochaine de toute cette bande étrangère, 
Cologne sera toujours digne d'être le chef-lieu du département de 
l'Elft, sera toujours digne d'être appelée comme autrefois « une des 
bonnes villes île l'empire. « 

Pour revenir des fonctionnaires aux Conseils qui l'accompagnent, 
disons qu'au lieu des Conseils d'arrondissement, il y a des Conseils de 
cercle. Nous devons remarquer ici que, lors de la première organi- 
sation déjà, les Prussiens, par un coup hardi, surent joindre adroite- 
ment un changement notable au système d'administration avec une 
lésion bien sensible de l'organisation judiciaire par une nouvelle 
circonscription des arrondissements communaux. Au lieu des arron- 
dissements existants, arrondissements correspondants aux ressorts 
des tribunaux, ils formèrent par l'assemblage de deux ou trois can- 
tons, en les groupant autour d'un chef-lieu convenable, des Cercles, 
à la tète desquels ils placèrent un sous-préfet (Landrecth) dont les 



- 29 - 

fonctions répondent à peu près à ceux de nos sous-préfels et lesquels 
Cercles remplaçaient dune définitivement les anciens arrondisse- 
ments. En resserrant ainsi le territoire de leur activité, le gouverne- 
ment pouvait raisonnablement demander d'eux des soins plus 
assidus pour le détail et une surveillance plus active sur le personnel 
de l'administration, et établir ainsi la direction raide, la discipline 
sévère et le système de curatelle mesquine qui font le propre de 
l'administration prussienne, tandis que d'autre pari cela lui permit 
plus tard (13 janvier 1819) de supprimer d'un trait de plume sept 
tribunaux de première instance, restés sans cohérence avec la cir- 
conscription administrative, et de porter par cela à l'organisation 
judiciaire un coup dont nous ferons connaître les conséquences 
funestes dans le chapitre respectif. 

En ce qui regarde les Conseils de Cercles, nous n'avoHs, quant à 
leur organisation et composition, qu'à laisser parler notre Diète qui, 
dans sa quatrième session, s'exprimait sur leur compte ainsi qu'il 
suit : 

« Des expériences constantes ont prouvé surabondamment que 
» les intentions bienveillantes de Sa Majesté, en instituant les Conseils 
» de Cercles n'ont pas eu le résultat espéré et cela surtout parce que, 
» d'après une ordonnance ministérielle du 6 septembre 1828, les 
» membres de ces Conseils doivent être élus par et dans le sein de 
» collèges électoraux composés seulement du maire.de ses adjoints 
» et des membres des Conseils communaux. Il en est résulté que les 
» maires, à cause de l'influence qui leur est donnée déjà par leur 
» position, ont su se faire nommer eux-mêmes et qu'ainsi plu- 
» sieurs de ces Conseils ne sont composés que de ces fonctionnaires, 
> qui, pour la plupart, n'étant pas naturels du pays et ne possédant 
» pas de fortune, sont tout entièrement sous la dépendance du gou- 
» vernement. La conséquence en a été que ces Conseils sont bien 
» loin de représenter les intérêts du pays, ainsi que la loi le veut el 
» que la population le désire. » 

Pour nous, ajoutons seulement que toutes les délibérations, sans 
exception aucune, de ces Conseils singuliers, sont sujets à l'approba- 
tion du préfet (art. 23 de la loi du 13 juillet 1827) el qu'en lout ce 
que regarde les charges, contributions, centimes additionnels et 
prestalions imposés aux Cercles, ses délibérations ne sont regardées 
que comme « des avis » (art. 3 de ladite loi). On trouvera com- 
préhensible que la Diète ne pouvait jamais parvenir à avoir une. 
opinion meilleure de ces Conseils et qu'elle s'opposait (6 e session) de 
toutes ses forces à la proposition du gouvernement tendant à leur 




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— 30 — 

rendre la faculté de voler aussi des centimes additionnels facultatifs, 
du moins tant que cette singulière composition durerait. 

Malgré cela, cette faculté leur fut donnée, après la suppression de 
la Diète, par une ordonnance royale du 9 avril 1846, laquelle ordon- 
nance, ainsi que toutes les aulres contestées par la Diète (voir le cha- 
pitre sur le Droit public) fut retirée après la révolution de février, 
mais rétablie dans la période de réaction (24 mai 1853), dès quel 
temps on se sert de ces Conseils, composés maintenant de maire 
salariés, surtout pour faire voter de temps à temps certains dons 
patriotiques dont on fait tant parade vis-à-vis de l'étranger comme 
des épanchements du sens patriolique du peuple rhénan. 

Une faculté particulièrement singulière de ces Conseils sans exem- 
ple, c'est de devoir proposer trois candidats pour la place de sous- 
préfet, il va sans dire (art. 14) que h' gouvernement n'est nullement 
tenu à nommer un de ces candidats qui, par surcroît de précau- 
tion, doivent encore être des candidats chefs de bureau du préfet 
ou des personnes examinées et agrées auparavant par le préfet (art. 6 
du règlement du 17 mars 1828). D'après l'art. 4 de ce règlement, ces 
candidats devraient posséder quelque fortune en biens-fonds, dispo- 
sition qui ne fut jamais observée mais éludée toujours parce que les 
candidats désignés par le préfet achetèrent çà et là sans payer et à 
condition de rémérer quelques biens-fonds pour les revendre immé- 
diatement après l'élection, tour d'adresse assez facile mais qui, en 
mettant ainsi Irpp au jour l'extrême pauvreté de ces fonctionnaires 
n'était fait à les faire respecter et, tandis qu'elle leur rapportait de la 
part du peuple le surnom de « choubiac » (ce qui signifie « pocbe- 
vide ») fut de la part de notre Diète le sujet d'une protestation 
énergique, dans laquelle elle demandait que les biens-fonds devraient 
être possédés au moins cinq ans avant l'élection. Contre toute attente, 
le roi daignait accéder à cette demande par un message royal du 
26 mars 1839 : seulement il se réservait des dispensations de cette 
disposition, lesquelles dispensations sont devenues si nombreuses 
qu'à l'heure qu'il est, sur qinrante sous-préfe!s fonctionnant dans 
notre province, il n'y en a pas moins de trente-cinq Prussiens, tandis 
que le reste vaut bien les autres. 

Quant à l'administration de ces fonctionnaires, il n'est pas besoin 
de nous y arrêter, d'autant moins qu'il suffit de dire que déjà dans 
la vieille Prusse, où cependant on ne peut leur reprocher la qualité 
d'intrus, ils sont haïs et abhorrés au plus haut point, de sorte que là 
même on ne savait la Chambre, qui de 1849 à 1856 nous gratifiait 
de toutes les belles lois que nous avons fait connaître dans le chapitre 
sur le Droit public, mieux qualifier que de « Chambre de sous- 



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— 3i — 

préfets » (Landrathskammer), dénomination qui lui est restée. 

Deux moyens fort efficaces, mais absolument ignorés à l'étranger, 
sont surtout faits à stimuler le zèle de ces fonctionnaires :Iessoi- 
disants « commissaires » et les rémunérations personnelles. 

On se sert du premier moyen, surtout en affaires de contributions 
directes, de sorte que les fonctions y relatives (art. 17 de la loi du 
31 mai 1861) leur sont conférées non comme partie intégrante de 
leurs fonctions, mais sous le litre spécial de « commissaire ou pré- 
sident de l'assiette des tailles », el moyennant un salaire particulier 
(rescrit du 17 mai 1851); ce qui permet ainsi de remplacer en ces 
fonctions importantes les plus anciens et ceux d'entre eux qui n'au- 
raient plus la Vigueur nécessaire pour bien manier le « Steuer- 
schraube » (mot intraduisible et seulement connu et compréhensible 
pour ceux qui ont eu le bonheur de vivre dans les États de S. M. 
prussienne) par des hommes plus énergiques et plus dures. Tandis 
que donc ce moyen exerce d'un côté une pression bien sensible sur 
tout le personnel de l'administration et garantit ainsi une bonne 
conduite, il donne en même temps une colle fameuse à l'étranger en 
affublant les fonctionnaires de titres et qualifications propres à lais- 
ser présumer que les fonctions respectives seraient remplies par des 
particuliers. 

Le second moyen ne s'emploie, ainsi que nous l'apprennent les 
délibérations de notre Diète, non seulement chez les sous-préfets et 
autres fonctionnaires de l'ordre administratif, mais encore dans la 
magistrature, pour mieux faire goûter labeautédes lois prussiennes 
et, mais avec un succès peu satisfaisant, envers le clergé, pour 
exciter, si possib'e, un zèle pour l'insiruction prussienne. (Message 
royal du 3 mars 1835, rescrit ministériel du 1" octobre 1851.) Pour 
les maires il y a, outre ces gratifications, un jouet tout particulier : 
la conféralion de la « chaîne d'or» (qui cependant doit être fournie 
à frais de commune) et du titre de « maire-en-chef. » 

Il est ici le lieu de faire remarquer que ce n'est pas seulement dans 
ces petits moyens, mais dans tous ses actes que le gouvernement 
tâche de faire des dupes : tous ses règlements, lois, écrits, etc., etc., 
portent toujours une fausse étiquette. Si, par exemple, dans les mo- 
tifs d'une loi, elle est dit donnée « pour satisfaire à une nécessité 
reconnue », pour accomplir un désir déjà longtemps exprimé, » ou 
« pour abolir un inconvénient marqué, » on peut être sûr qu'il s'agit 
toujours d'introduire un nouvel abus, de supprimer une institution 
populaire ou d'abolir un droit existant. 

Entre mille exemples citons un seul : la loi sur les raisons com- 
merciales proposée à notre première Diète, laquelle loi, d'après l'ex- 







- 32 — 

posé des motifs, ne prétendait que d'abolir certains abus dans le 
choix des raisons commerciales, et devait surtout empêcher de se 
servir pour ces raisons de noms empruntés; ce qui donnait à notre 
Diète l'occasion de prouver à l'évidence que les abus allégués n'a- 
vaient jamais existé dans notre province, mais que, dans le fait, ils 
devraient précisément être introduits par la loi en question et qu'il 
ne s'agissait, dans toute la proposition, que d'introduire, par voie 
détournée, les lois prussiennes sur ces matières. 

Que le cas n'élait pas isolé, cela nous prouvent tous les actes de 
notre Dièîe, où presque sur toutes les pages nous rencontrons, à 
propos des propositions royales, des expressions telles que voici : 
« Que les dispositions matérielles élaient en contradictions ouvertes 
avec les motifs, que le but proposé ne serait jamais atteint, que le 
gouvernement se trompait dans ses raisonnements, que les résul- 
tats ne répoudraient aux attentes, que l'inconvénient cité n'avait 
jamais existé ou ne pourrai! être aboli de la sorle, etc., etc. » 

Tout particulièrement celte duperie se montre dans la rédaction 
des actes de notre Diète elle-même, qui jusqu'en 1840 était confiée à 
un commissaire royal (Landtagsmarschall) où la falsification fut 
poussée si loin que souvent on n'apprit le vrai contenu des remon- 
trances de la Diète que par le message royal qui y répondait. Les 
protocoles de la première session, puis de la seconde ( B. 15), de la 
quatrième (B. 22), de la cinquième (B. 11), en donnent la preuve 
incontestable. Comment on procédait plus tard, où la rédaction fut 
confiée à une Commission spéciale, présidée par ledit commissaire 
royal, cela nous apprend une protestation de la septième ses- 
sion (1842) qui se plaint simplement de la suppression des procès- 
verbaux de séances entières. Aujourd'hui, où la Dièle, ce censeur 
incommode des actes du gouvernement, n'existe plus, on fait dans 
la rédaction des textes de loi le possible, de sorle que, à l'étranger et 
même dans le reste de l'Allemagne, il y a impossibilité absolue de 
saisir le fin mot d'une loi prussienne et, à plus forte raison, d'en 
mesurer sa porlée. 

Citons, pour revenir en même temps sur les affaires administra- 
tives, un seul exemple extrait de la loi communale. Il y est dit 
(art. 103) textuellement : « On prendra, dans la nomination des 
maires, soin de ne nommer que des propriétaires ou d'autres per- 
sonnes jouissant d'une considération générale; » malheureusement 
l'article se termine par dire « si d'ailleurs ils sont capables pour la 
place. » Moyennant ce post-scrit et en ne voulant point trouver dans 
les communes « des personnes capables pour la place, » les préfets 
ont pris la liberté de ne nommer partout que d'anciens officiers 



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— 33 - 

et des commis de bureaux, n'ayant jamais eu ni domicile ou rési- 
dence dans les lieux respectifs. — 11 est vrai que, dans le sens des 
Prussiens, ils ont suffi à la loi; car, le lecteur, que croirait-il que 
le gouvernement prussien comprend sous l'expression « des 
hommes considérés? » Disons-le lout de suite, puisque autrement il 
ne viendrait jamais à le deviner : Sous « hommes considérés » ou, 
pour parler avec la Nouvelle Gazette de PftttM, sous « l'élile de la na- 
tion » le gouvernement prussien (que le lecteur ne veuille pas rire, 
mais lire plutôt le rapport de ladite gazette sur une certaine fête du 
15 mai 1863) comprend — «les fonctionnaires et fils de fonction- 
naires prussiens stationnant en notre province. « 

Ce fut précisément ledit 15 mai que tous les fonctionnaires, du 
préfet jusqu'au garde-champêtre, tous les fils de fonctionnaires, 
aspirans, officiers et caporaux prussiens, fêtèrent les beaux jours 
qu'ils avaient, cinquante ans durant, vécu dans les États de leur gra- 
cieuse Majesté, et surtout dans ses belles provinces du Rhin. Et de 
cette fête, à laquelle n'avaient participe que les fonctionnaires et 
troupiers prussiens, à laquelle le roi même avait eu la faiblesse d'as- 
sister pour voir comme on devait retenir le peuple par la force armée 
pour l'empêcher d'exprimer ses sentiments à lui — de cette fête, 
disons-nous, ledit organe de la cour avait eu le front de dire : que 
c'était « l'élite du peuple » qui l'avait arrangée. Il est vrai que le 
peuple désigne toute cette bande de « pack » ; peut-êlre les mots 
« pack » et « élite » sont ils synonymes dans le vocabulaire prus- 
sien. 

El ce n'est vraiment pas un, petit corps que ce corps de fonction- 
naires prussiens : il forme déjà une quote-part assez considérable 
de la population. Qu'on regarde seulement les parties exclusivement 
françaises de noire province, les parties détachées des départements 
de la Moselle et de l'Ourlhe, et données au partage général du butin 
à l'insatiabie Prussien. Dans ces contrées, où jamais aucun son alle- 
mand n'a retenti, on voit déjà s'élever de nombreux temples, écoles 
et presbytères allemands prolestants, n'étant destinés que pour les 
fonctionnaires prussiens et leur descendance, mais tous bâtis et entre- 
tenus aux dépens des communes toutes catholiques. Comme on 
procède dans ces contrées, auxquelles on a pris leurs tribunaux et 
autres institutions, prouve mieux que toute autre chose le fait sui- 
vant qui s'est passé tout récemment. Un propriétaire des environs 
d'Aix-la-Chapelle fut cité comme jury devant la Cour d'assises de 
celte ville II obéit promptement à la citation, mais déclarait en même 
temps que, ne sachant pas l'allemand et le débat se faisant dans 
cette langue, il lui était impossible d'y assister. Cette excuse ne fut 







— 34 — 

pas admise et, comme il persistait dans son relus, il fut condamné à 
500 francs d'amende, laquelle sentence fut confirmée encore à 
l'appel. 

Semblable imposture à l'adresse de l'étranger que celles mention- 
nées déjà ci-contre, est dans la nomination des autorités départemen- 
tales, auxquelles on a laissé le litre de « régence » (Uegierung), 
dénomination faisant supposer qu'il s'agit d'une autorité collective, 
bien que le peu de collectif qu'il y en avait eu soit disparu déjà long- 
temps par l'ordonnance royale du 13 février 1825. Le fait est que le 
président (que, pour nous mieux faire comprendre en France, nous 
avons toujours designé sous le nom de « préfet >•), en sa personne ou 
remplacé par l'un de ses deux chefs de division (pour l'administra- 
tion proprement dite et pour les contributions), exerce outre un 
droit pénal fort étendu, entièrement inconnu en France et dont nous 
parlerons dans le chapitre sur VOrdre. judiciaire, non seulement 
toutes les fonctions de nos préfels, mais encore toutes celles de nos 
Conseils de préfecture, quelques-unes de ces dernières cependant 
« après avoir pris l'avis de l'un ou de plusieurs de ses chefs de 
bureau. > La circonstance, que l'on donne à ces chefs de bureau le 
titre de « conseiller,» ajoute encore à raffermir la fausse opinion de 
l'étranger bien que, en cela du moins, il n'y ait pas de tromperie 
intentionnée, puisque dans ce pays d'ordres et litres (la Prusse n'en 
compte pas moins que 95 ordres et médailles), on confère le titre de 
conseiller non seulement à des fonctionnaires de tout grade jusqu'aux 
percepteurs des contributions et simples copistes (anciens caporaux 
de l'armée) mais à des médecins, architectes, géomètres, etc., voire 
même à des commerçants. Entendons ce que dit à cet égard un des 
auteurs les plus rénommés de l'Allemagne du Sud, M. Schmitt : 

« Mannersen (auteur d'un livre d'histoire pour les écoles prus- 
siennes), dans son histoire des Romains, ne sait mieux peindre les 
qualités et talents du grand Pompée qu'en le comparant à un caporal 
prussien. Si cela ne peut plus blesser le grand Pompée, il y a de 
quoi flatter le caporal prussien. Quoi qu'il en soit, il est certain qu'en 
Prusse le caporal n'est pas seulement beaucoup, mais tout. 

» Dans aucun pays du monde le caporal se fourre davantage dans 
les affaires civiles qu'en Prusse. Où l'on voit et regarde, toujours et 
partout la figure rébarbative, la ligure roide et ajustée, la figure si 
admirablement dressée du caporal prussien, dans les plus hautes 
aussi bien que dans les plus basses régions, dans toutes les adminis- 
trations, régies et exploitations. 

i Toute la Prusse, de haut en bas, est parsemée de caporaux qui 
fournissent le matériel le plus utile et le plus applicable de fonction- 



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— 35 — 

naires et qui forment le vrai el véritable noyau de la hiérarchie 
bureaucratique de la Prusse. C'est de leurs rangs que sorlent les con- 
seillers intimes et non intimes, conseillers de la cour, conseillers- 
chancelliers, conseillers-comptables, conseillers-régistrateurs, les 
directeurs, inspecteurs, contrôleurs, percepteurs, régisseurs, les 
calculateurs et toutes les diverses catégories d'employés jusqu'aux 
veilleurs de nuit et piqueurs des chemins de fer. contre l'un des- 
quels une injure quelconque est toujours réprimée de la manière la 
plus sévère. 

» Le caractère du caporal prussien est donc en tout le caractère de 
la bureaucratie prussienne : la promptitude, l'obéissance, le dévoue- 
ment pour le « service du roi, » une ponctualité scrupuleuse, une 
brièveté militaire pour l'expédition des affaires : voilà son avers; la 
présomption, la suffisance personnelle, l'orgueil de l'homme de rien, 
une insolence sans bornes envers le public, une rudesse militaire 
envers ses inférieurs allant de pair avec une servilité rampante 
envers ses supérieurs, l'esprit bureaucratique militairement ajusté 
qui ne connaît d'autre intelligence que celle de la caserne, d'autre 
liberté que celle du « permis, «l'esprit de corps de garde enfin, voilà 
son revers. » 

A propos de caporaux, nous avons encore à constater que non seule- 
ment les gens de celte catégorie (caporaux, sergents, mailres-de- 
logis, elc, etc.,) mais encore tous les officiers de l'armée (à l'excep- 
tion peut-être d'une douzaine de nobles) sont Prussiens do pur sang. 
Jamais il ne s'est vu qu'un Rhénan, naturel du pays, ait continué le 
service une heure seulement après son temps expiré; le contraire a 
lieu pour les fils des fonctionnaires prussiens stationnant dans notre 
province : ça s'engage et se rengage presque en totalité jusqu'à ce 
que, après douze ans de service militaire, il entre dans le service 
civil. Il est à remarquer que cette génération fonctionnaire, comme 
par ordre, affiche toujours les qualités de Rhénan, pour faire croire 
qu'il y ait en effet des Rhénans dans les rangs de l'armée et de la 
bureaucratie prussienne. 

Des Conseils généraux il n'y en a pas plus que des Conseils de pré- 
fecture. Ainsi que nous l'avons déjà dit au chapitre sur le Droit 
public, ces Conseils, décrétés par une loi du 11 mars 1850, ne sont 
jamais entres en vie, puisque ladite loi ne fut d'abord pas exécutée, 
puis fut suspendueet enfin abolie (24 mars 1853) avant d'èlre entrée 
en vigueur. Sur l'insignifiance des attributions conférées à cet égard 
à notre Diète, nous avons déjà traité dans ledit chapitre ; au reste, la 
pétition n° 24 de la 7' session de notre Dièle en donne tout éclaircis- 
sement désirable. 






-36- 

Au dessus des autorités gouvernementales il y a encore» un prési- 
dent supérieur, » espèce de gouverneur général, pour toute la pro- 
vince qui, exerçant dans le département de sa résidence (Coblence), 
les fonctions ordinaires de préfet, a la surveillance sur les autres 
préfets, puis la direction des affaires occultes (telles que les affaires 
des cultes, des écoles supérieures, de la presse, de la haute police, etc.,) 
et qui surtout contribue à donner à la machine administrative, 
d'ailleurs un peir compliquée, l'élan, la centralisation el h direc- 
tion uniforme qui caractérisent l'administration prussienne. 

II est ici le lieu de nous occuper un peu de la circonscription admi- 
nistrative de la province, qui, elfe aussi, a joué un rôle, et rôle assez 
important, dans la prussification de notre pays. 

On sait qu'un des premiers actes du Directoire (loi du 9 vendé- 
miaire an iv) fut de réunir déflnilivementà la France lous les pays en 
deçà du Rhin qui avaient été le domaine de la maison d'Autriche, 
avec laquelle on était encore en pleine guerre, et ceux qui avaient été 
cédés par la Hollande en vertu du traité de La Haye récemment con- 
clu. Assurément il ne saurait être notre intention de blâmer cet acte 
en lui-même, mais ce que nous ne saurions comprendre, c'est que 
cette loi laissait en dehors les autres pays de la rive gauche : les 
possessions des princes séculiers et ecclésiastiques qui n'étaient que 
l'accessoire de ces domaines autrichiens, et celles prussiennes qui 
tout récemment encore, par un traité formel (traité de Bâle du 16 srer- 
minalan ni), avaient été abandonnées à la République; lesquels pays 
on plaçait d'abord sous une administration centraient germinal an m) 
et puis (14 brumaire an vi) sous un gouvernement provisoire, dirigé par 
un commissaire du gouvernement, ce qui, tout cela, constituait une 
faute grave en ce qu'il mettait une différence, différence nullement mo- 
tivée ni justifiée, entre les diverses annexions et lésait véritablement 
les intérêts de ces pays qui tous avaient de solides communications 
établies avec ces pays autrichiens el hollandais et dont plusieurs, les 
Gueldres dites prussiennes, par exemple, qui récemment encore en 
avaient été forcément détachés, soupiraient après la réunion. Mais ce 
n'était pas tout : cette faute une fois commise devait en entraîner 
d'autres et surtout le grand inconvénient que, tandis que l'organisa- 
tion des neuf départements réunis marchait assez rapidement, les 
autres pays ne les suivirent qu'au gré d'une administration particu- 
lière, retenue souvent par mille considérations futiles. C'était à l'œil 
exercé du Premier Consul et à sa puissante initiative de découvrir et 
de redresser celte faute, en prononçant (22 fructidor an vm) l'assi- 
milation complète de ces pays, appelés depuis les quatre départe- 
ments du Rhin, à l'organisation française. Mais si cette assimilation 



— 37 — é 

el la réunion définitive qui la suivit (18 ventôse an îx) remédiaient, 
promptement à celle faute en ce qui concernait la marche de l'admi- 
nistration, elle ne purent remédier à la circonscription vicieuse à 
laquelle on ajoutait encore, par une application un peu trop rigou- 
reuse, des principes qui avaient présidé à la circonscrip'ion de l'an- 
cien territoire. 11 en résultait une subdivision des plus malheureuses, 
qui devait blesser à la fois et les souvenirs et les intérêts de ces pays 
et qui est resiée le grand, mais heureusement le seul reproche à faire 
à la domination française. Ainsi que nous venons de le dire, on ima- 
gina une circonscription en quatre départements aux chefs-lieux 
d'Aix-la-Chapelle, Coblence, Trêves, Mayence. Rien qu'à voir ce 
tableau, l'on s'apercevra déjà de la grande faute de ne pas y voir 
figurer le nom célèbre de Cologne. Mais ce ne fut pas la seule. L'an- 
cienne frontière autrichienne finissant tout juste aux porles d'Aix-la- 
Chapelle, on était obligé de composer à ce chef-lieu, wallon par goût 
et mœurs, un corps d'administrés d'essence flamande el même d'y 
ajouter des territoires (Nèves et les Gueldres, par exemple), qui 
n'avaient jamais eu le moindre rapport avec le nouveau chef-lieu. 
Même confusion dans les autres départements, surtout dans celui du 
Rhin et de laMoselle dont on fit remonter leterritoire jusqu'aux portes 
de Cologne, et dans celui du Mont-Tonnerre, où les habitants duPala- 
tinat ne voulaient rien avoir à démêler avec les Mayençais. Il est vrai 
que, pour le moment, on ne pouvait guère agir autrement, mais tou- 
jours est-il que cette circonspection vicieuse, qui eût été une faute 
grave partout, constituait une faille capitale dans des pays qui, de 
tout temps, s'étaient montrés si jaloux de leurs libertés et grandeurs 
municipales. Encore si elle fut restée provisoire ; mais elle fût bien- 
tôt définitive par la nouvelle circonscription des diocèses qui suivit 
peu après (IN germinal an x) et qui créait un nouvel évéché, celui 
d'Aix-la Chapelle, pour en faire disparaître deux des plus anciens : 
l'archevêché de Cologne et l'évèché de Spire. Celte circonscription 
aussi elait fort malheureusement choisie; si même nous ne voulons 
pas blâmer le choix de la ville d'Aix-la-Chapelle, ville digne à tous 
les titres du double honneur d'être le siège du pouvoir spirituel et 
temporel, mais on ne devait pas laisser en dehors Cologne « la sainte 
Cologne » el d'autant moins que moyennant quelques échanges de 
territoire avec les départements de l'ancienne Belgique, échanges, du 
reste, désirées de pari et d'autre, il y avait de quoi composer six 
vasteset beaux départements auxchet's-lieaxd'Aix, Cologne, Coblence, 
Trêves, Mayence et Spire et, tout en créant un nouvel évéché, on eût 
pu laisser subsister les anciens sans trop sortir des principes obser- 
vés dans l'ancien territoire. Tout porte à croire que ces inconvénients 

3 







-38 - 

ne se seraient pas perpétués, car ils avaient attiré l'attention de 
l'empereur, mais toujours est-il que cette malencontreuse circons- 
cription passait telle quelle aux Prussiens qui se hâtèrent de la faire 
disparaître, pour la remplacer par une autre qui certes n'allait pas 
mieux à nos sentiments, mais qui était mieux appropriée aux inté- 
rêts matériels. C'est qu'ils ajoutaient aux trois de nos départements, 
qui leur étaient échoué au partage général du butin, le versant 
occidental des Monts- Westphaliens, décrivant une longue et étroite 
raie du territoire et formant pourle Rhin ce qu'on appelle les dépen- 
dances d'un fleuve, pour en former une vaste province dite « du 
Rhin, » divisée en cinq départements, auxquels |ils assignaient pour 
chefs-lieux, outre Aix et Trêves, les trois principales villes situées 
sur le Rhin : Cologne, Coblence et Dusseldorf. On conçoit que telles 
villes sur un telle fleuve devaient avoir des relations commerciales 
bien établies avec les deux rives et ainsi faire moins sentir l'incon- 
vénient de cette annexe qui réunissait un territoire essenlillement 
français et flamand. 

Une circonstance particulière venait singulièrement en aide à dimi- 
nuer cette antipathie nationale. Pour la bien peindre, il faudrait nous 
avancer trop dans le détail des affaires du grand-duché deBerg,beau 
et riche pays et de plus reconnaissant des bienfaits qu'il a reçu de 
nous. Nous nous contentons donc de dire que ce pays s'opposait de 
toutes ses forces à l'introduction des lois prussiennes et demandait a 
grands cris la conservation de nos lois françaises. On concevra aisé- 
ment que de tels efforts, plus que toute autre chose, étaient faits pour 
nous consoler des inconvénients de cette réunion et nous devons 
reconnaître qu'encore sous ce point de vue, la circonscription prus- 
sienne était supérieure à la nôtre, bien qu'il nous soit pénible de 
décorner ainsi le prix d'habileté à des ennemis qui en ont su tirer de 
si funestes conséquences. Car ce ne fut qu'une petite partie du grand- 
duché (celle ayant été ci-devant le patrimoine de la maison Palatine) 
qui obtint l'accomplissement de ses vœux et conservait nos Codes fran- 
çais. Elle embrassait deux petits arrondissements et formait le centre 
de l'annexe dont les deux bouts furent soumis aux lois prussiennes. 

C'était, en vérité, une bien profonde conception que celle de cette 
réunion, car si mince que fût le territoire annexé, il obligeait les 
autorités placées à la tète des départements de se familiariser avec 
les lois prussiennes qu'elles étaient appelées à maintenir dans ces 
annexes. C'était à la fois une souricière, une pépinière et un pied- 
à-terre pour les fonctionnaires : une souricière pour ceux trouvés 
en place, une pépinière pour les élèves et un pied-à-terre pour les 
nouveaux arrivants de la vieille Prusse. 







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- 39 — 

C'était d'abord une souricière : Le gouvernement français ne 
s'étant servi toujours que de fonctionnaires naturels du pays, le 
gouvernement prussien, bien qu'il les traitât avec une injustice su- 
périeure et un arbitraire sans pareil (voir plus tard le chapitre sur 
VOrdre judiciaire), ne put s'en défaire entièrement et fut obligé, bien 
malgré lui, d'en employer quelques-uns. Le maniement des lois 
prussiennes était donc une occasion unique pour sonder leurs dis- 
positions et de s'assurer de leur souplesse : aussi sut-on bientôt 
qu'il n'était chemin plus sûr pour entrer dans les bonnes grâces des 
Prussiens que de savoir bien manier leurs lois, de les trouver ap- 
propriées aux habitudes du pays, de les employer surtout par mé- 
garde dans les parties où elles n'étaient pas en vigueur. Mais tel 
était le prestige de notre incomparable administration française, 
tant le gouvernement impérial avait-il su bien choisir ses agents, 
que ceux-ci s'identiflèrent,pour ainsi dire.avec les lois de l'exécution 
desquelles ils avaient été chargés, que, ces lois menacées, ils s'en 
constituèrent à la fois les agents et les gardiens. Oui, disons-le et 
répétons-le, à l'éternelle gloire de nos administrateurs et magistrats, 
que pas un seul (du moins dans nos départements français) ne se fit 
intimider par la force, ni gagner par des promesses, ni séduire enfin 
par l'appât de l'arbitraire, si séduisant pourtant pour les adminis- 
trateurs, qu'ils restèrent, au contraire, tous fidèles à nos lois, à nos 
principes, en sacrifiant à la fois (et l'extirpation totale de l'élément 
rhénan dans l'administration d'abord, dans la magistrature ensuite, 
en est la preuve irréfragable!) et leur avenir à eux et celui de leurs 
enfants. 

C'était, en outre, une pépinière qui permettait aux Prussiens de 
former leurs élèves dans les lieux mêmes où ils étaient destinés à 
agir; c'était enfin ménager à leurs employés qui venaient déjà en. 
grandes troupes, comme des sauterelles, inonder nos contrées, un 
pied-à-terre, une sphèred'activité toute trouvée qui leur permit, tout 
en fonctionnant d'après leurs lois, d'étudier les nôtres pour pouvoir 
plus tard les éluder et les renverser plus aisément. 

Même avantage que des défauts de la circonscription administra- 
tive les Prussiens surent tirer des défauts de celle diocésaine, en 
annonçant dès le premier jour le rétablissement de l'église métropo- 
litaine de Cologne, mais en se gardant bien d'accomplir celte pro- 
messe avant de l'avoir bien utilisée dans les négociations qui allaient 
s'ouvrir avec la cour de Rome et qui aboutirent à un concordai, 
conclu en 1821, qui rétablissait enfin cet antique siège archiépiscopal, 
en lui assignant pour suffragants les évèchés de Trêves, de Munster 
et de Paderborn et pour territoire les provinces du Rhin, de la 



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— 40 — 

Westphalie et de la Saxe. Tandis que ce rétablissement assurait ainsi 
un triomphe moral au gouvernement, la subdivision des évèchés lui 
procurait certains avantages pour ainsi dire pratiques et d'une 
grande importance. C'est qu'il se souciait fort peu de faire corres- 
pondre les limites départementales à celles diocésaines, mais beau- 
coup de composer chaque évéché partie de l'ancien territoire fran- 
çais, et partie de l'accrue prussienne, à quelles fins il alla même 
jusqu'à départir plusieurs cercles de nos départements à l'évèche de 
Munster (en Westphalie). Il est vrai que cette circonscription ne 
plaisait guère mieux que la précédente; la différence était seulement 
que notre circonscription avait déplu, toit en servant mal nos inté- 
rêts, tandis que celle prussienne, tout en déplaisant également, élait 
fort atttttiageu.se à leurs intérêts à eux, car cetle réunion de terri- 
toire d'une législation differeule obligeai! non-seulement les chancel- 
leries et les chapitres de travailler d'après les lois prussiennes, mais 
permettait encore au gouvernement de demander, et cela sans 
paraître d'exiger tiop, aux jeunes ecclésiastiques la connaissance du 
droit ecclésiastique, par rapporta l'Allemagne et aux adeptes du pro- 
fessorat, l'élude des institutions prussiennes, d'élever enfin, en un 
mot, l'accrue du clergé à la guise allemande. (Voir pour cela le cha- 
pitre sur les Affaireb il ex cullfs.) 

Espérons donc que la nouvelle circonscription franc aise ne tombe 
dans les nu'iurs défauts et jetons encore un coup d'œil sur le déve- 
loppement historique de l'administration, laquelle a marché toujours 
de mal en pis. De notre magnifique organisation française, présen- 
tant un Code bien réglé et garantissant l'indépendance des com- 
munes, nous sommes venus, à travers l'arbitraire prussien, à !a loi 
de 1845, dans laquelle on pouvait encore découvrir quelques traces 
de l'influence de notre Diète, en ce que, par exemple, elle maintenait 
l'élection secrète des conseillers municipaux et limitait du moins le 
salaire qu'elle, accordait aux maires, pour arriver enfin aux lois de 
1856, abolissant cetle limitation et introduisant une élection à haute 
voix, détruisant de plus les dernières traces d'une indépendance des 
communes même en des affaires purement communales et cela dans 
un plus haut degré que dans la vieille Prusse elle-même, comme cela 
démontre à l'évidence une pétition du Conseil municipal d'Aix-la-Cha- 
pelle on date du 13 février 1861, laquelle pétition protestait encore 
contre un abus, qu'en France on croira humainement impossible, 
contre l'abus, introduit en 1822, aboli en 1848, mais rétabli par la 
loi de 1856, que tous les fonctionnaires et employés prussiens, bien 
que payant intégralement leurs contributions directes, ne payent que 
la moitié des centimes additionnels communaux et autres, qui font 









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41 — 



l'accessoire de ces contributions et qui exempte même le clergé en- 
tièrement de ces centimes additionnels. 

Elle protestait également contre les charges énormes (souvent 
jusqu'à 200 p. c. des contributions directes) imposées aux communes 
par ordre des préfets et sous-préfets. On ne pourra se faire une idée 
du fardeau de ces centimes additionnels avant d'avoir vu, dans un 
des chapitres suivants, la hauteur des contributions directes dont ils 
sont l'accessoire. Pour aujourd'hui, nous nous bornons à signaler 
un nouveau petit moyen pour tromper le public, en constatant que 
ce qui s'appelle ici « centimes additionnels communaux » renferme 
aussi toutes les charges de cercles et presque toutes les charges pro- 
vinciales et départementales (pour les maisons de fous , dépôts 
de mendicité, écoles pour les sourds -muets, éeoles des sages- 
femmes, etc.), puis encore diverses charges générales (prestations 
pour le service militaire, frais de l'inslruction supérieure, etc. , etc.), 
tandis que ce qu'on appelle « centimes additionnels de département^ 
« comprend principalement des charges générales pures et simples 
(frais de justice, remises des percepteurs, frais de l'assiette des 
tailles, non-valeurs, frais de cadastre, construction des grandes 
routes, etc., etc.). » 

Elle s'élevait encore surtout contre un abus exercé trop longtemps, 
de retrancher, par des ordonnances ministérielles, le peu des droits 
accordés par la loi, procédé employé de tout temps et auquel nous 
devons l'abolissement, pièce à pièce, de notre organisation adminis- 
nistivitive française. Cet abus reposait sur une ordonnance royale du 
4 décembre 1826, où il avait été dit, pour ainsi dire en passant, « que 
les lois administratives françaises, bien que n'abolies par aucune 
loi, ne seraient censées être en vigueur que tant elles n'étaient pas 
en contradiction avec les armes et maximes prussiennes. » En suite 
de cette ordonnance, les préfets ne surent mieux faire que de dé- 
terrer à toute occasion d'anciennes ordonnances et instructions 
prussiennes (quelques-uns allaient même jusqu'aux temps des an- 
ciens margraves de Brandebourg) et de les incorporer comme 
maximes et armes prussiennes dans notre législation française. Il 
s'ensuivit une telle confusion que, pour nous servir des termes 
propres de notre Diète « personne ne savait plus ce qui était loi ou 
non, » et qui nous le laissait presque regarder comme un bonheur 
d'obtenir enfin en 1845 une loi municipale un peu codifiée, bien que 
composée d'après des principes prussiens. Toutes les interventions 
et protestations de notre Diète contre un tel état de choses restèrent 



toujours infructueuses, ainsi 
dans le chapitre sur YOrdref 




verrons plus amplement 



— 42 — 

Nous ne devons clore ce chapitre sans avoir signalé le traitement 
indigne réservé à nos anciens soldats de l'empire, traitement qui 
eût dû déjà longtemps provoquer l'intervention du gouvernement 
impérial, et d'autant plus qu'il est ici le secret de Polichinelle qu'en 
ce point aussi, il a été la dupe de celui prussien. C'est que ce gou- 
vernement s'est fait toujours un mérite auprès de celui français, 
d'avoir pour les vétérans français les mêmes soins que pour ceux 
prussiens. Mais rien n'est plus faux et le vrai est qu'un crédit de 
187,500 francs est porté sur le budget de l'Etat pour subvenir aux 
besoins de tous les vétérans, français aussi bien que prussiens ; mais 
qu'un autre crédit de 562,500 francs, porté sur le même budjet, n'est 
destiné que pour les vétérans prussiens exclusivement. (Ordonnances 
royales du H août 1852 et du 10 mars 1863.) Tant pour la législa- 
tion, dans la pratique on a su l'arranger que de ce petit fonds général 
de 187,500 francs puisent toujours 49 vétérans prussiens sur 1 vé- 
téran français, bergois, saxon et polonais. 

Tout le monde d'ailleurs est d'accord ici que le gouvernement 
prussien ne fait ce peu, ou pour mieux dire ce rien, que pour em- 
pêcher le gouvernement français de s'occuper lui-même de ses vété- 
rans, puisque cela pourrait contribuer à ranimer les anciens sou- 
venirs. 

Combien le gouvernement prussien craint des soins de ce genre, 
cela s'est démontré lors de l'apparition du décret impérial du 5 août 
1854, concernant la liquidation des legs accordés par l'empereur 
Napoléon I er aux officiers et soldats de ses armées. A la première 
nouvelle qu'un tel décret allait paraître, il fit déjà publier par les 
autorités et feuilles locales que les vétérans français qui voudraient 
profiter de ces dons, devraient se présenter devant les sous-préfets 
et maires, qui, en qualité des commissaires de « l'institution natio- 
nale pour les anciens soldats, » étaient chargés de défendre leurs 
intérêts. Sous la main, il donnait à ces sous-préfets et maires, par 
une circulaire du 18 août 1854, l'ordre « de recevoir les requêtes des 
anciens militaires, de les déconseiller de démarches directes et de 
leur intimer d'altendre tranquillement ce que le gouvernement du 
roi allait faire pour eux. » Pour rassurer les plus impatients, il y 
était encore recommandé « de leur faire comprendre que, d'après des 
informations sûres recueillies par la légation de Prusse à Paris, il 
n'avait été rien fait encore pour l'exécution du décret en question et 
qu'il pourrait durer encore quelque temps avant que la distribution 
se fasse. » 

Comme on le pense bien, il ne s'ensuivit rien et lorsque plus tard 
les pauvres trompés s'adressèrent directement au gouvernement 



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— 43 — 

impérial, il leur fit à tous la réponse uniforme « que le délai fixé pour 
la production des requêtes était expiré, que les listes étaient closes et 
que la distribution des fonds avait déjà eu lieu, i 

Ayant déjà parlé, dans le chapitre sur le Droit public, des ma- 
nœuvres du gouvernement prussien envers les membres de la Légion 
d'honneur, il ne "este ici que de faire connaître ses procédés à l'égard 
de la distribution des médailles de Sainte-Hélène. 

Gomme nous connaissons bien quelles sont les déclarations faites 
par le gouvernement prussien au gouvernement impérial, nous 
n'avons qu'à rendre, textuellement et sans commentaire, un rescrit 
du président supérieur de la province, persuadé que la haute impor- 
tance de ce document vis-à-vis des explications du gouvernement 
prussien sur cette affaire ne lui échappera pas. Ce rescrit, le voilà : 

• Par ordre de Son Excellence le ministre de l'intérieur, j'ai l'hon- 
» neur de vous inviter — vu ^ caractère impatriotique de ces de- 
> mandes — de vous opposer par tous voies et moyens, à ce que les 
» anciens militaires français formulent des pièces et demandes pour 
» obtenir la médaille de Sainte-Hélène. Je vous recommande surtout 
» de bien instruire les autorités inférieures de ne délivrer aucuns cer- 
» tificats ou attestations à cet effet. Puis j'ai l'honneur de vous faire 
» remarquer que l'acceptation et le port des ordres et médailles étran- 
i gers, et par conséquent aussi des ordres et médailles français, sans 

• la permission expresse et spéciale de Sa Majesté, est défendu et que 
i les contrevenants encourraient les peines portées par l'art. 105 du 
» Code pénal prussien. 

» Coblence, le 7 octobre 1857. 

» Le président supérieur de la province, 
» Pour le président, le délégué : 
» (Signé) : Keilwettek. 

» A Monsieur Sebald, président de la régence royale, à Trêves. Con- 
fidentiellement. N° 5326. » 

Mais que nos vétérans se rassurent. Pour eux, aussi bien que pour 
nous tous, il se fera jour bientôt; il viendra le jour où le monarque 
assis sur le trône de notre belle France se souviendra des paroles de 
son début, où il se souviendra « que c'était son grand aïeul qui avait 

* préféré quitter le trône que de laisser un seul village français sous 
» les mains des barbares. » 




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CHAPITRE IV 



Les contributions publiques % dans la Prnsse rhénane 



Les contributions prussiennes, les directes aussi bien que les in- 
directes, suivent dans leur extérieur l'itinéraire des contributions 
françaises. Mais en les regardant un peu de plus près, toute simili- 
tude va disparaître et Ton y trouve, au lieu de la sagesse et de 
l'équité qui, en France, président à l'imposition, une injustice criante 
dans la répartition et l'arbitraire le plus absolu dans l'estimation; 
au lieu d'un contingent, l'infini (les facultés de chaque contribuable); 
au lieu de Conseils de préfecture, Conseils généraux de département 
ou d'arrondissement décidant des réclamations, le préfet ou le direc- 
teur des contributions; au lieu de marques distinctives pour la coti- 
sation, le bon plaisir du préfet ou pis encore. Examinons donc une 
à une ces contributions et les lois qui les régissent. 

La contribution foncière est la seule qui soit contingentée et pour 
cela la moins onéreuse de toutes, bien qu'elle monte à H, 3 p. c. du 
produit net. Augmentée considérablement depuis 1 8 1 s, elle fut 
réunie, en 1828, en un seul contingent pour les provinces du Rhin 
et de Westphalie, contingent qui présentait à peu près le double de 
ce que payaient, proportion gardée, les vieilles provinces de la Prusse. 
Celte injustice, surtout en vue de l'augmentation démesurée des 
autres contributions, excita de vives murmures de la population et 
de fortes remontrances de la part de notre Diète, mais ce qui porta 
l'irritation au comble, ce fut l'immunité dont jouissait, en récom- 
pense des services rendus dans les guerres contre la France, la 



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- 45 — 

noblesse brandebourgeoise qui ne payait 'de contribution foncière 
du tout. Cependant toutes les protestations et réclamations furent 
inutiles : seulement une députation de notre Diète, partie pour Berlin 
à la nouvelle de la révolution de février, apportait-elle pleine et 
parfaite promesse de remédure, mais l'ordre rétabli, la promesse fut 
i oubliée. C'est au gouvernement actuel, qui sait tirer parti de tout, 
même des plaintes, qu'il fui réservé de donner raison à ces plaintes 
éternelles, ce qu'il lit d'une manière aussi singulière qu'efticace, 
c'est-à-dire en augmentant encore la contribution. Pour cela il pro- 
posa d'abord une estimation nouvelle du produit net, puis l'abolisse- 
meul des immunités, eulin une augmentation du contingent général 
de l'Étal à raison du surcroit de revenu qu'on espérait tirer de cet 
abolissement d'immunités. Au moyen d'un comité central d'estima- 
tion et de plusieurs sub-eomités, dont les membres, nommés moitié 
plus un par le ministre des finances, étaient royalement rétribués 
(loi du 21 mai 1861 art. 13 et U), il lui fut chose facile de prouver 
que la province du Rhin, au lieu de payer trop, avait toujours payé 
trop peu, et de porter, tout en diminuant le taux de 11, 3 p. c. à 
8, 7 p. c, la contribution foncière de notre province de 5,970,000 fr. 
en 1861 à 6,243,270 fr. en 1865 (terme de la nouvelle assiette). Quant 
à la noblesse brandebourgeoise, on la soumit, il est rrai, à la con- 
tribution, mais on prit soin de l'indemniser en bons portant intérêt 
de vingt fois la cote annuelle (3 e loi du 21 mai 1861, art. 2) de sorte 
qu'aujourd'hui elle paye tout simplement la contribution avec les 
intérêts de celte indemnité. 

A propos d'immunités, nous devons remarquer que ce n'était pas 
seulement dans la vieille Prusse que se passaient de ces abus; dans 
notre province mémo, on cherchait à transplanter quelque chose de 
semblable. Analogue aux lois françaises, on lève en sus de ces con- 
tributions 2 p. c. pour non-valeurs, secours en cas de grêle, 
d'épizoolie, etc., etc. Bientôt on lit la remarque que non seulement 
les secours ne furent distribués que rarement, mais qu'il n'y avait 
guère de non-valeurs du tout, puisque les percepteurs pressaient les 
contribuables jusqu'à la dernière goutte de sang. En recherchant, 
on trouva que ces fonds, à je ne sais plus lequel titre, se vidèrent 
dans les poches «de quelques nobles, créatures du gouvernement. 
Notre Diète, dans sa session de 1843, après avoir constaté le fait, en 
fit l'objet d'une protestation solennelle, en demandant el le compte 
et la restitution. A l'honneur de notre noblesse rhénane, il doit être 
dit que ce fut elle qui diligenla le plus cette protestation. Mais compte 
et restitution furent également refusés. (Message royal du 30 dé- 
cembre 1843.) 








- 4 6- 

La contribution des portes et fenêtres suivit les destinées de celle 
foncière. Réunie comme celle-ci en un seul contingent pour lesdites 
provinces du Rhin et de la Westphalie, elle ne devait s'élever qu'à 
raison des nouvelles bâtisses et reconstructions. Quoique ce contin- 
gent, calculé également sur le pied de 11, 3 p. c, fût considérable- 
ment augmenté en 1828, par suite d'une nouvelle estimation du 
produit net, le gouvernement ne le voyait qu'avec dépit et profitait 
de l'occasion, c'esl-à-dire du règlement de la contribution foncière, 
pour le remplacer par l'arbitraire. En conséquence, une seconde ioi 
du 21 mai 1861 établit cette contribution sur les bases suivantes : 

Plus de contingent; la contribution basée, ni sur le nombre des 
portes et. fenêtres, ni sur celui des étages, mais seulement sur le pro- 
duit net, littéralement produit de l'exploitation, et fixée au vingt- 
cinquième de ce produit net pour les maisons d'habitation et au 
cinquantième pour les établissements industriels. Il faut en convenir 
que c'est une bien modique imposition pour une imposition prus- 
sienne que celle de i et 2 p. c; aussi les organes du gouvernement 
ne se firent pas faute de parler grandement d'une contribution à 
lever d'après un bien petit pied sur d'immenses richesse natio- 
nales, etc., etc., d'une contribution-modèle enfin. En effet, le taux 
était bien modique, seulement voyons le mode d'évaluer le pro- 
duit net. 

Ce produit net, aux termes de la loi (art. 6), ne doit représenter 
autre chose que la « valeur locative, » sans déduction aucune, ni pour 
dépérissement, ni pour frais d'entretien, de réparation ou autres, 
et cette valeur locative est évaluée d'abord par un commissaire du 
gouvernement nommé par le ministre, puis par un comité d'estima- 
tion présidé par ledit commissaire (art. 9). Si le comité ne croit pas 
devoir accepter l'estimation du commissaire, celui-ci doit en référer 
au préfet (1) qui, à son tour, fait l'estimation. Cette estimation du 
préfet, le comité est tenu de l'accepter et de la reconnaître comme 
la sienne propre (art. 10). Quant aux réclamations des particuliers, 
le préfet en décide également et afin qu'il n'en soit pas trop embar- 

(I) Nous (lovons remarquer ici qu'en disant « le préfet, » nous nous écartons 
du style curial prussien qui dit « la régence; » mais comme cette régence 
prussienne, ainsi que nous l'avons vu au chapitre sur l' Administration, ne 
représente autre chose que le préfet (appelé ici a président ») purement au 
« lé préfet ayant entendu l'avis de l'un ou de plusieurs de ses chefs de bureau » 
et en affaires de contributions particulièrement « le préfet ayant entendu ou 
étant représenté par le directeur des contributions » (appelé ici « chef de divi- 
sion >>), nous nous croyons autorisé de désigner cette institution prussienne non 
par son nom, mais d'après son essence. 






■ 






— 47 — 

rassé, la loi (art. H) a pris soin d'impuler aux réclamants déchus les 
frais des visites domiciliaires du comité, ce qui, du reste, n'est pas 
une bagatelle, le commissaire aussi bien que les membres des comités 
étant tous royalement rétribués. 

Mais singulière dérision des choses humaines ! cette loi, si impé- 
rieusement arrangée pour ne faire aucun bruit fâcheux, n'en fit que 
plus. En procédant à l'évaluation, les comités estimaient, il est vrai, 
à qui mieux mieux : quelques-uns évaluaient un produit net élevé de 
quelques 100 à 150 p. c, d'autres allaient jusqu'à 200 p. c, mais si 
bien qu'ils opérassent, impossibilité absolue d'atteindre le chiffre 
des commissaires qui, eux, étaient allés jusqu'à 300 et 330 p. c. et 
qui, en référant aux préfets, eurent la douce consolation de voir 
leurs estimations pleinement approuvées. Jusqu'ici tout avait marché 
assez bien, mais lorsqu'on demandait aux comités de reconnaître ces 
évaluations préfectorales, cettedemande fut trouvée un peu Irop forte ; 
plusieurs comités osaient même protester contre ces évaluations 
sans exemple. Quelques commissaires mal avisés, s'interposant en 
médiateurs, vinrent proposer aux préfets de se passer de cette for- 
malité bien inutile à leurs yeux, mais on leur fit remarquer qu'en ce 
cas tout le prestige de l'estimation allait disparaître. Force leur fut 
donc de faire do nouveaux efforts pour essuyer de nouveaux refus, 
lorsqu'au plus beau milieu de cette bagarre éclata encore la nouvelle 
que le ministre des finances n'avait même pas approuvé l'évaluation 
de plusieurs préfets, notamment celle du préfet de Cologne, et qu'il 
avait ordonné « d'augmenter » encore le produit net de quelques 
100 p. c. 11 est vrai qu'il n'existe dans la loi aucune dispositions qui 
demandât son approbation : tout au plus, l'article 12 lui accorde le 
droit de redresser des erreurs. Mais peut-être était-ce une erreur que 
d'augmenter le produit net de 300 à 350 p. c. seulement au lieu de 
le porter tout de suite à 500? D'ailleurs comment marquer les bornes 
de compétence à un ministre à devise : « La force prime le droit? » 
Toujours est-il que les préfets, ne s'arrêtant pas le moins du monde 
à de vaines scrupules, firent comme il leur fut ordonné, et que la con- 
tribution, qui en 1818 n'avait été que de 522,000 francs, fut portée — 
et cela malgré la considérable dimimution du taux de 11, 3 à 4 et 
2 p. c. — de 1,887,000 francs en 1861, à 2,182,000 francs en 1865 
(terme de la nouvelle assiette). Personne ne pense d'ailleurs que cette 
fixation de la contribution au vingt-cinquième et cinquantième soit 
le dernier mot du gouvernement, et nul ne doute que, une fois cette 
prodigieuse augmentation du produit net un peu oubliée, il ne fasse 
un nouvel appel à < de si immenses facu'lés des propriétaires, » et 
cette fois en augmentant le taux de la contribution. 



-48 - 

Le lois prussiennes sur la contribution des patentes se distinguent 
à leur avantage de celle française en ce qu'elles ne connaissent que 
des droits fixes, mais qui s'élèvent : 

A 270 fr. et clans plusieurs départements à 360 fr. pour tout mar- 
chand en gros ou fabricant; puis, selon la population, à 40, 60 ou 
90 fr. pour les détaillistes, enfin de 15 à 90 fr. pour les autres 
contribuables; encore, et lout contraire à la loi française, tout paten- 
table qui exerce, et même dans un seul et même local, plusieurs 
métiers ou industries ou le cumule avec un commerce quelconque, 
paye-l-il le droit pour chaque commerce, métier ou industrie sépa- 
rément. Toutefois ce n'est pas dans l'importance de ces droits, ni 
dans leur double, triple, etc., emploi qu'il faut chercher les princi- 
pales rigueurs de ces lois qui se cachent surtout sous un mécanisme 
de cotisation des plus ingénieux. — D'abord les marchands en gros 
et les fabricant par département, les marchands en demi-gros, 
détaillistes, artisans et autres patentables par ville ou par canton, se 
réunissent en communautés de cotisation nommées « classes » . La 
loi impose à toute classe « le droit fixe multiplié par le nombre de 
ses membres », et lui laissj le soin de répartir, par des répartiteurs 
choisis, le contingent ainsi formé (art. 26 de la loi du 30 mai 1820 et 
art. 9 de celle du 19 juillet 1861). Tout cela serait beau et bon s'il y 
avait seulement des marques distinctives pour qualifier les diverses 
classes des patentables ou que les répartiteurs eux-mêmes en lissent 
le classement. Mais voilà précisément ce qui manque : d'abord 
il n'y a guère de ces marques distinctives (la seule, pour les mar- 
chands en gros, est aux termes de la loi du 19 juillet 1861, art. 2 
«un commerce de grande étendue,») et puis, c'est au seul préfet 
de former ces communautés, et, en cas de contestation, de décider 
de cette formation (art. H de la loi du 19 juillet 1861). Année par 
année, il pèche ainsi sur les rôles des classes inférieures les plus 
imposées pour les porter sur ceux des classessuperieures.il est vrai 
que les répartiteurs en peuvent former des remontrances, mais, ainsi 
que nous venons de le dire, c'est le préfet qui en décide; encore c'est 
aux seuls répartiteurs que ce droit de vaines remontrances est ac- 
cordé; les imposés eux-mêmes ne l'ont pas, mais en échange ont un 
droit plu.5 utile à leurs intérêts individuels, le droit de pouvoir 
réclamer contre la cote que leur impose la nouvelle communauté. 
Or, comme c'est encore la préfet qui décide également de ces récla- 
mations des particuliers et en décide encore aux dépens des commu- 
nautés (car les remises qu'il accorde sont réimposées l'année pro- 
chaine), il s'empressera de redresser les griefs des répartiteurs à 
leur égard et d'autant plus qu'il oblige par cela même les commu- 






— 49 — 

nautés de hausser les cotes de leurs plus imposés à eux, lesquels 
plus-imposés deviennent de la sorte toujours plus aptes de passera 
leur tour dans une classe supérieure. Comme on voit, la loi sur la 
contribution des patentes n'est autre chose que l'applcalion du vieil 
axiome : «Un clou chasse l'aulre». 

Autre avantage de cette loi, qui va jusqu'à frapper les rémouleurs 
ambulants et chilToniersau crochet, c'est la facilité avec laquelle elle 
permet d'imposer ces mèm^s droits élevés aux commerçants de la 
moindre importance tels que marchands d'oeufs, filles aux légumes, 
marchands sans échoppes, elc, sans les trop grever individuellement. 
Le préfet, en les porlant sur les rôles, met, ainsi que nous l'avons 
expliqué, ces droits à lachargedes communautés qui s'en arrangeront 
comme elles le pourront; puis, usant île son droit de décider des 
réclamations, il allège, le cas échéant, et toujours aux dépens des 
communautés, ces petites gens qui, n'ayant aucune idée de ce méca- 
nisme diabolique, bénissent ainsi souvent la main qui les a frappés. 
Il va sans dire que dans un tel état de choses les fonctions de répar- 
titeur ne sont point recherchées; aussi la loi a-t-elle pris soin d'en 
ordonner l'acceptation et de punir les répartiteurs en défaut par des 
amendes prononcées par voie administrative (art, 29 de la loi du 
30 mai 1820; arrêté du préfet de Trêves du 16 juillet 1825). 

Le recouvrement de la conlribulion des patentes est poursuivi 
comme celui des autres contributions : non seulement le patentable 
en retard est-il exécuté à outrance, mais ses métiers et jusqu'à ses 
outils sont saisis et séquestrés (art. 35 de la loi du 30 mai 1820). 

Un prélèvement pour les communes, c'estchose tout à fait inconnue 
en Prusse où ce sont au contraire les communes qui supportent mille 
dépenses générales qui devraient être à la charge de l'État, abus qui 
fut l'objet de vives remontrances de notre Diète dans presque toutes 
ses sessions. 

Le résultat de celte législation prussiene enfin est une contribution 
des patentes portée de 880,000 fr. en 1819 à 2,955,000 fr. en 1866. 

Passons ensuite à la descriplion de la contribution personnelle et 
mobilière, ce chef-d'œuvre de la législation camé raie de la Prusse et 
que le député M. Reichensperger, du haut de la tribune, qualifiait 
si bien de « vis sans écrou ». 

Réglée d'abord par la loi du 30mail820etdepuisparcelledu l"mai 
1851, suivie de deux instructions du 8 dudit mois, elle est assise: 
1° sur le produit des biens-fonds, même de ceux situés à l'étranger 
(art. 17 de la loi); 2° sur le produit des maisons d'habitation, même 
sur celui fictif (art. 28 de la loi) de la maison qu'occupe le proprié- 
taire lui-même; 3° sur le produit de tout commerce, industrie, pro- 



I 












- 50 — 

fession ou exploitation ; 4" sur les rentes, salaires et gages ; 5° sur les 
tètes — à deux francs par tête tant masculine que féminine — poul- 
ies classes ouvrières, enfin 6° sur le luxe, en ce qu'il ne fait différence 
(art. 1 1 C de l'instruction , II) si le revenu supposé existe en effet ou non. 
Ne présentant donc pour les trois premiers chefs qu'un double em- 
ploi des contributions foncières, des portes et fenêtres etdes patentes, 
elle frappe non seulement les naturels, mais aussi les étrangers et 
même ceux d'entre eux qui n'ont jamais mis le pied dans ce fortuné 
pays s'ils y possèdent des terres ou participent à des établissements 
industriels pour plus de 4,000 fr. de revenu (art. 18 de la loi); elle va 
même jusqu'à frapper les morts si le revenu n'est pas viager (art. 36 
ibidem). 

En disant qu'elle frappe les classes ouvrières de 2 fr. par tête, nous 
eussions dû ajouter que la loi n'entend appartenir à la classe ouvrière 
que lesouvrierspropement dits, les valetsde ferme et leseompagnons 
et apprentis de métiers (art. 7 de la loi), encore si le compagnon reçoit 
une haute-paye, si ledomesliqueest àlOOfr. de gages pas an, ouquele 
journalier possède un arpent de terre, ils payent 4, 8 ou 12 fr. Les 
artisans n'y sont pas compris non plus : ils payent 15 à 40 fr., mais 
à la moindre apparence de quelque aisance , s'ils possèdent, par 
exemple, une maison ou quelques arpents de terre, le cote est de 
45 à 90 fr. ; ceux seulement « dont il est bien constaté qu'ils ne sau- 
raient vivre qu'en s'attachant à un autre ménage 1 (nous parlons 
d'après les textes mêmes de l'instruction I, art. 5, § 6) « payent, par 
exemption, 12 fr. » 

C'est le seul préfet (ou plutôt le directeur des contributions qui 
signe en son nom) qui fixe la cote de tout contribuable et décide des 
réclamations. Pour la fixation des cotes au-dessus de 100 fr., il est 
entouré de deux répartiteurs salariés et placés sous la discipline du 
gouvernement (art. 31 et 34 de la loi).- Il leur communique le revenu 
qu'il a fait rechercher par ses agents et les invite de prononcer la 
cote. Comme celle cote est invariablemement fixée à 3 p. c. du 
revenu (art. 19 de la loi), leurs fonctions sont à peu près celles d'un 
maître d'arithmétique; aussi, ainsi qu'ajoute naïvement l'instruc- 
tion (II, art. 14), « leurs opérations n'occuperont-elles beaucoup de 
temps, s 

Pour les cotes au-dessous de 100 fr, il y a lieu à trois évaluations 
préalables faites séparément par le maire, par le sous-préfet et par 
le maire assisté de deux répartiteurs pris par les membres de ces 
Conseils doublement confirmés dont nous avons fait la connaissance 
dans le chapitre sur V Administration publique. C'est à leur égard que 













— Si — 

déjà notre Diète, dans sa première session (1826), s'exprimait ainsi 
qu'il suit : 

« Ce n'est pas seulement sur l'élévation de cette contribution que 
partent les plaintes, c'est surtout l'arbitraire intolérable avec lequel 
elle est répartie qui excite les plaintes les plus amères. Les rôles 
dressés par les répartiteurs communaux sont changés et corrigés 
sans aucun motif; on ne tient aucun compte de leurs évaluations et 
les livre ainsi à l'indignation publique. Beaucoup d'entre eux ont déjà 
dû se démettre de leurs fonctions pour n'être plus exposés aux hainesde 
leurs concitoyens, lésés et frustrés dans leur nom, mais sans qu'il y 
ait eu de leur faute. » 

Mais c'était le beau temps alors; aujourd'hui on procède tout 
autrement encore, mais infiniment plus habilement ; on n'admet plus 
que des « propositions » (art. 9 de l'instr. I) et des « propositions eD 
augmentation » seulement, et un arrêté du préfet d'Aix (du 24 avril 
1853), tout en déclarant les matrices des maire et sous-préfet comme 
base unique de la fixation, défend expressément aux répartiteurs de 
proposer des remises ou réductions « puisque ainsi ils s'arrogeraient 
un droit que la loi ne leur accordait pas, le droit de critiquer les fixa- 
tions préfectorales de l'année précédente. » (Textuellement.) 

L'évaluation du revenu, dont aucune déduction n'est admise, 
pas même celle pour les intérêts des dettes passives, «à moins que ces 
dettes n'exerçassent une influence déprimante et visible sur les 
facultés du contribuable » (instruction I, art. 6), se fait par tous voies 
et-moyens, entre autres (art. 23 de la loi) par la compulsion des actes 
notariés et des registres des conservateurs d'hypothèques ; non con- 
tent de cela, le ministre dans son instruction (I, art. 5,§ 7) indique 
un moyen d'un autre genre mais tout infaillible pour découvrir le 
revenu, en ordonnant de porter simplement la cote d'un contribuable 
d'une classe inférieure à une supérieure, de cotiser surtout à 120 fr. 
ceux qui jusqu'alors n'auraient payé que 90 fr. et, comme elle ajoute 
avec une naïveté touchante que nous lui connaissons déjà (II, c. 11) 
d'user «dans les provinces du Rhin, » de cette même cote de 120 fr. 
pour tous ceux qui n'auraient payé que 72 fr. Ce ministre d'ailleurs 
s'appelait M. de Rabe, ce qui en français signifie « le corbeau. » 

La voie de réclamation est réglée ainsi qu'il suit (art. 26 de la loi) : 
Une fois la réclamation présentée, le préfet invite le réclamant de re- 
présenter son « état de fortune ; » cet état est comparé aux notices et 
renseignements déjà recueillis, ensuite on procède à de nouvelles in- 
formations, en entendant des témoins « même par serment. » Après 
cela le préfet fait.au réclamant» des questions et demandes précisées » 
sur « le détail » de sa fortune et le somme de produire ses titres de 



mamm^m^Êmmmm 



— 52 — 

propriété, ses baux, obligations et jusqu'à ses livres de commerce. 
Si le réclamant n'obtempère, sa réclamation est déchue. Enfin le 
préfet peut lui déférer le serment à lui-même sur la justesse de ses 
déclarations. « en lui prescrivant mot à mot et la formule et la leneur 
du serment; » si le réclamant refuse, sa réclamation est encore dé- 
chue. En cas qu'il ail fait des déclarations incompItMes, sa cote est 
quintuplée (art, 23 ibidem). 

Avec une telle législation, on ne s'étonnera pas que celle conlribu. 
tion, qui dans les places à enceinte encore, est remplacée en partie 
(pour les cotes au dessous de 90 fr.) par un octroi for/ eVcc, perçu 
pour le compte de l'Étal sur la mouture el le bétail, que cette contri- 
bution, disons-nous, qui, sous le régime des lois française 1 : en 1819 
n'ébit que de 1,267,000 fr. put monter successivement jusqu'à 
4,700,000 fr. en 1838, et de 4,900.000 fr. en 1851, à 11,600,000 fr. 
en 1865. (Dès l'an 1829 jusqu'à 1850, les principales rigueurs de ladite 
loi furent suspendues pour notre province, comme nous le verrons 
plus tard.) 

Sur toutes ces contributions, on lève encore 13 à 29 centime* addi- 
tionncU pour dépenses départementales et des centimes communaux 
jusqu'à 200 fr. sur la seule autorisation du préfet (règlement du 
31 juillet 1856, § 7). Ainsi que nous l'avons dit là-haut, bonne partie 
de ces centimes communaux est encore absorbée par des charges gé- 
nérales, telles que fournitures et surtout fourniture de chevaux pour 
l'armée, habillement des recrues! subventions aux familles des 
troupes, frais des écoles secondaires, écoles élémentaires, écoles de 
sages-femmes et de sourds-muets, dépôts de mendicité, prisons, 
maisons de fous, frais de la réprésention nationale et même de 
l'assiette des contributions, etc., etc., (lois et ordonnances rovales des 
21 avril 1821, 13 juillet 1827, 17 septembre et 8 novembre 1831, 
24 février 1834, 22 décembre 1836, 31 décembre 1842, 30 dé- 
cembre 1843, 27 février et 12 novembre 1850, 21 mai 1861, 26 mars 
1868, etc., etc.) 

Quant aux contributions indirectes dont on estime la quote-part de 
notre province (y compris le produit des riches mines de Sarreville, 
qui, à elles seules, rapportent 4,875,000 fr. par an, et le produit de 
l'octroi sur la mouture dont nous avons parlé là-haut et dont ht quote- 
part pour notre province est de 2,100,000 fr.) à plus de 90 millions de 
francs, elles sont assises sur tous les objets qui en sont frappés en 
France : sur les tabacs, le sel, les sucres, boissons, charbons, cartes 
à jouer, calendriers, gazettes, etc., etc. Elles pèsent principalement 
sur le sel et les sucres. Le mode de perception surtout est onéreux 
(voir les actes de notre Diète, l rc session) et ajoute encore à l'impor- 



■^^■■iH 







— 53 — 

lance de ces droits. Les droits d'entrée sur les denrées coloniales sont 
également assez élevés; le régime du timbre est insupportable au plus 
haut point. En ce moment, on propose encore une augmentation 
considérable des droits sur le tabac et les boissons, notamment du 
droit établi sur les bières. 

Avant de terminer ce récit, deux mots encore sur la légalité de ces 
loi- et règlements : 

Pour cela il faut remonter aux lois fondamentales du pays où nous 
trouvons, dans la patente de prise en possession du 5 avril 1815, ces 
paroles royales adressées aux Rhénans: « Je ne vous surchargerai pas 
de contributions, les impôts ne seront réglés qu'avecvotre concours; » 
puis la patente réglant l'organisation politique du pays, du 12 mai 
même année, patente qui nous promettait une Diète particulière de 
.province, facteur de législation ; puis enfin à la patente du 5 juin 1823 
qui, établissant cette Diète de province, disait textuellement (art. 3) 
« que toutes les lois valables pour la province seulement et toules 
autres qui concerneraient les personnes, les propriétés et les impôts 
seraient soumises à sa délibération. » 

Or, malgré ces promesses royales bien formelles et consignées 
dans les lois les plus sacrées, toules les lois precilées sur les contri- 
butions ont été émanées sans le concours de cetle Dièle et maintenues 
malgré ses protestations les plus solennelles qui toutes furent infruc- 
tueuses, une seule fois exceptée, sur ses instances réitérées, à elle 
obtint enfin l'ordonnance royale du 1" décembre 1828. qui fixait la 
contribution personnelle et mobilière, laquelle sous l'arbitraire de la 
loi du 30 mai 1820 était montée de 1,267,000 fr.en 1819 à 4,700,000 fr. 
en 1828, à celte dernière somme, comme contingent fixe qui ne dc- 
vail s'élever qu'à raison de l'accroissement de la population et des 
feux. 

Ce succès fut d'autant plus précieux parce que non seulement il pré- 
servait, pendant vingt-trois ans, notre province des ravages de l'arbi- 
traire, mais qu'd permettait encore de démontrer par des chiffres, la 
plus sù'-e de toutes les preuves, les effets effrayants de l'arbitraire 
prussien; car si nous avons vu, sous le régime de l'arbitraire, cette 
contribution monter dans les huit ans, de 1820 à 1828, de 1,267,000 fr. 
à 4,700,000 fr. et dans les quinze ans, de 1851 à 1865, de 4,900,000 fr. 
à 11,600,000 fr., nous la voyons, sous le régime d'une loi juste et 
calculée sur un pied convenable, dans les vingt-deux ans, de 1829 
à 1850, ne monter que de 4,700,000 fr. à 4,900,000 fr. 

A l'heure qu'il est, notre Diète n'existe plus. Suspendue depuis 1845, 
elle fut abolie en 1850 (voir notre chapitre sur le Droit public, 
sans même cire entendue et par des moyens d'une légalité pareille à 













■^■■^^■■^^■1 




— 54 — 

celle qui fit émaner les lois de contributions. Son seul succès.l'ordon 
nance royale du 1" décembre 1828, disparut immédiatement après 
(«* mai 1851). 

Mais pourquoi nous arrêter à de vaines considérations de droit; 
tout prouve dans l'esprit de ces lois que ce n'est pas une domination 
légale qu'exerce ici la Prusse, mais une occupation militaire infini- 
ment prolongée. 



■■B^^M 












■Mi 



CHAPITRE V 



Le commerce et l'industrie dans la Prusse rhénane 






Vers les dernières années du premier Empire, le commerce rhénan 
avait pris une étendue qui rappelait les beaux temps de la « Hansa » 
et de la « Confédération des villes rhénanes. » Ce qu'en ces temps-ci 
avait produit le commerce maritime, le commerce de terre, la libre 
navigation intérieure, l'affranchissement du sol le produisirent alors: 
Cologne et Mayence allaient devenir de nouveau les grands entre- 
pôts du centre et du sud de l'Allemagne. Mais si le commerce ne fut 
que remis dans son ancienne splendeur, l'induslrierhénane, bienque 
florissanle auparavant, reçut un développement inouï qu'elle n'a- 
vait jamais eu el qu'elle n'acquérera plus jamais. Les fabriques de 
drap et d'aiguilles, les teinlureries, les tisseranderies, les tanneries 
absorbèrent toutes les mains d'ouvriers en payant pour la main- 
d'œuvre le triple de ce qu'on paye aujourd'hui ; les riches plaines du 
Rhin ne purent suffire aux blés consumés par nos distilleries. Ce 
pays qui se connaissait pourtant en aisance, en acquit orne dont les 
récits seront qualifiés contes de fée par nos petits-neveux, aisance qui 
cependant tomba promplement sous les pas des Prussiens comme la 
piaule lombe sous le souffle du siroc. 

Les fabricants de draps s'en ressentirent les premiers : n'a> ant plus 
d'autre débouché que le marché de la Prusse, pays pauvre s'il en 
fut, ils devaient presque renoncer à la fabrication des draps fins, 
tandis que pour le gros drap, ils rencontrèrent la concurrence 
acharnée de la Silésie qui avait la laine à portée de la main et <!e plus, 
pour le débit, l'avantage des distances et d'un trajet par eau. Ces 






- 5 6- 

fabriques entraînèrent dans leur chute les teintureries ; maîtres, 
ingénieurs, ouvriers s'expatriaient pour la plupart. (Voir la procla- 
mation du gouverneur général prussien du 20 septembre 1814.) Les 
distilleries les suivirent de près ; fort affligées déjà par les années de 
disette 1816 et 1817, elles furent complètement ruinées par les con- 
tributions prussiennes sur les consommations (1S19). Jamais on n'a 
vu une industrie plus rapidement monter ni être plus promptement 
détruite que l'industrie rhénane ne monta sous la domination fran- 
çaise et ne tomba sous l'occupation prussienne. 

La formation de. « l'Association des douanes allemandes » (183-i) et 
l'invention des chemins de fer devaient surtout profiter à une pro- 
vince qui nbondaiten fabriques, ateliers et métiers vides (l'exportation 
avait été défendue par un arrêté du 20 septembre 1814) et en ouvriers 
exercés maissans travail. Elles nous profitèrent, en effet, les premières 
années : le commerce et l'industrie commençaient à revivre et à 
donner lieu à de belles espérances, lorsque le gouvernement, qui ne 
fit de ces grandes affaires de commerce qu'une affaire de politique, 
anéantit ces prémices renaissantes de prospérité en défendant pour 
notre proWncela construction de ces chemins de fer. 

En effet, notre province, il y a cinq ans, n'était-elle non seulement 
presque eniièrement dépourvue de ce puissant moyen de transport 
(il n'y avait que deux chemins de fer courant parallèlement d'Aix à 
Cologne et Dusseldorf avec embranchements sur Bonne etEibcrl'eld), 
mais manquait de tout débouche, à l'excepiion d'un seul conduisant 
tout .directement et à travers les sables arides de la vieille Prusse 
vers les frontières russes, chemin de fer fort propre à jeter promp- 
tement les Russes dans le cœur de l'Allemagne, mais de presque 
aucune utilité pour noire commerce. Encore ce chemin de fer prus- 
sien fut-il construit à grands frais sur les fonds de l'État, tandis que 
noire peu de chemins de fer (à part un court espace, servant de dé- 
bouché aux mines, domaines de l'Etal de Sarreville) fut construit par 
nos seuls industriels auxquels, ainsi que nous venons de le dire, on 
refusait même, sous de prétendues considérations militaires, la per- 
mission d'utiliser ces chemins de fer, auxquels on refusait de se 
créer ces débouchés nécessaires (vers la Hollande, dont les chemins 
de fer s'arrêtaient tout juste à la frontière prussienne, vers le centre 
et le sud de l'Allemagne, où l'on ne pouvait pénétrer que par un dé- 
tour de 100 à 150 lieues) à leurs propres frais. Celte Association de 
douanes tant désirée, et dont noire province eût dû profiter de pré- 
férence, lui était donc à peu près inutile et ne lui apportait autre 
chose que la concurrence de la Saxe dans les colonnades. Ce ne fut 
que dans les dernières années, après avoir laissé à l'industrie prus- 



- 57 - 

sienne vingt-cinq ans pour s'établir solidement dans ces contrées, 
que le gouvernement accordait enfin ces concessions si nécessaires, 
et aussitôt on vit s'élever ces chemins de fer comme par enchante- 
ment, fant sont grands l'esprit mercantile du Rhénan et la néces- 
sité où il se trouve de demander tout au commerce, tout autre avenir 
lui étant fermé. 

Ce n'est plus notre Code français qui régit ce commerce, mais 
deux Codes prussiens : « l'ordonnance de change » du 6 janvier 1849 
et le « Code de commerce allemand i du 24 juin 1861 , ces deux rem- 
plaçant le premier livre de notre Code de commerce. Le premier 
diffère du nôtre en ce qu'il accorde à tout le monde, commerçant 
ou non, le droit d'émettre des papiers de commerce ;-il ne demande 
pas qu'une lettre de change soit tirée d'un lieu sur un autre, ni que 
la valeur reçue y soit énoncée; it permet l'endossement en blanc et 
se contente de la seule signature en signe d'acceptation. 

Il n'est vraiment pas nécessaire de démontrer longuement les suites 
fâcheuses que devait entraîner une telle législation; il suffit de dire 
que les friponneries commises par certains juifs de finance de Co- 
logne au préjudice des cultivateurs des environs dépassent l'imagi- 
nation et que, grâce à cette ordonnance, grâce peut-être aussi à une 
indulgence blâmable, ces friponneries restèrent impunies ou tout au 
plus couvertes par la fuite. 

Le Code de commerce prussien est d'une étendue effrayante : au 
lieu des 109 articles du nôtre qu'il remplace, il en présente 431, dont 
plusieurs pourraient passer pour des chapitres entiers; aussi con- 
tient-il des règlements de police pour tout le personnel du commerce. 
Comme le lecteur a certes assez de tous les règlements prussiens 
qui se ressemblent toujours comme deux gouttes d'eau et qui, ici, 
ne tendent qu'à mettre ses employés sous un droit exceptionnel, 
nous croyons les pouvoirs passer sous silence et cela d'autant plus 
que, tour les qualifier, il suffit de dire qu'ils admettent la punition 
corporelle des apprentis par les maître et cela « sans que le maitre 
ne soit même tenu d'énoncer en justice les motifs de la correction 
Infligée » (décision de la Cour de cassation du 7 avril 1864). Faisons 
donc seulement connaître les points principaux dans lesquels ce Code 
diffère du nôtre. 

D'abord, dans le chapitre sur les livres de commerce, il écarte 
complètement le principe français des dates certaines, le laissant au 
gré des commerçants de copier leurs inventaires, dispensant de la 
tenue d'un livre-journal et du visa annuel des autres livres, ne de- 
mandant pas non plus que les livres de commerce soient paraphés, 
dispensant encore de tout enregistrement des actes de commerce 








- 5 8- 

(sans toutefois dispenser du droit d'enregistrement qui, en Prusse, 
se lève toujours indépendamment de l'enregistrement au moyen d'un 
timbre proportionnel). 

Il renverse encore le système de procuration, en établissant des 
procuristes permanents, divisés en classes, et le système dé l'arbi- 
trage pour If s contestations entre associés; il permet aux courtiers 
et agents de change de recevoir et de payer, il restreint pour les com- 
pagnies de chemins de fer la garantie pour la perte ou l'avarie des 
marchandises, il établit, outre les associations en commandite pro- 
prement dites, une espèce d'association en commandite secrète, où 
le commandataire (stille Gesellschafter) n'est tenu à aucune inscrip- 
tion, déposition d'acles ou publication (qu'on ne veuille confondre 
ces associations avec celles « commerciales en participation > dont 
parlent les articles il, 50 de notre Code français, lesquelles associa- 
tions existent séparément). 

De plus, ce Code détache complètement la raison de la personne du 
tenant; il permet la venle ou la cession de la raison, sans même de- 
mander que l'acquéreur ajoute son nom ou autre signe indiquant la 
séparation ; si entîn le Code français tend à rapprocher la législation 
commerciale à celle civile, le Code prussien s'efforce de créer tout un 
droit spécial du commerce ; il est, à cet égard, le digne complément 
de la fameuse ordonnance royale du 9 février 1849, qui nous apportait 
le rétablissement des < maîtrises et jurandes, » le rétablissement de 
cette vénérable institution du moyen-àge que déjà le peuplé rhénan 
avait renversée à rébellion ouverte, longtemps avant que la Révo- 
lution française avait disposé les esprits à la révolte. 

Il y avait déjà longtemps que le gouvernement caressait l'heureuse 
idée de les rétablir; il en avait déjà jeté lés premiers fondements 
dans la loi du 17 janvier 1845, qui devait remplacer le décret impérial 
du 15 octobre 1 810 et qui assujettissait non seulement les manufactures 
et ateliers répandant une odeur incommode, mais tous ceux qui 
n'étaient pas précisément de la calégorie des ateliers de. tailleurs ou 
cordonniers, à une permission préalable du préfet, laquelle permis- 
sion ne s'aeqitiert qu'après force. révisions préparatoires, révisions 
d'exécution et révisions d'exploitation ce qui, tout cela pour ceu* 
qui se trouvent dans les bonnes grâces du gouvernement, se résout 
en force droits de timbre, droits casuels et frais de transporl pour 
MM. les ingénieurs des ponts-et- chaussées, tous, aussi bien que les 
autres fonctionnaires et employés, Prussiens de pur sang. Elle assu- 
jette également à même permission, droits OJfsœls et à un examen 
théorique et pratique les maçons, charpentiers, tailleurs de pierre; 
fontainiers, couvreurs et ramoneurs ; elle établit enfin déjà les corp» 






— 59 - 

de métiers pour les autres industries et professions, sans cependant 
rendre déjà l'entrée obligatoire, ce qui fut réservé à ladite ordon- 
nance royale du 9 février 1849 qui, peut-être la seule de ce genre 
en toute l'Europe, mérile à tous les titres une mention toute parti- 
culière : 

D'abord après avoir aboli les chambres consultatives des arts et 
métiers pour établir à leur lieu et place une sorte de maîtrisa géné- 
rale, elle accorde aux « corps de métiers, » dans lesquels elle oblige 
d'entrer tous les arlisans, sans exception aucune, toutes les anciennes 
attribut ions : examen obligatoire pour toui maître ou compagnon 
(art. -23), la discipline sur les compagnons et apprentis (art. 45), le 
contrôle sur les caisses de prévoyance, elc, etc. ; puis elle renouvelle 
les anciennes restrictions de commerce, en défendant l'exercice si- 
multané de plusieurs professions (art. 29), en prohibant les magasins 
d'habits, meubles et autres objets confectionnés par jes. mains des 
artisans (art. 3î), eu prohibant également la vente publique de ces 
objets (art. 69), en interdisant aux fabricants d'occuper des compa- 
gnons (art. 31) et aux compagnons de travailler pour d'autres maîtres 
que ceux de leur profession respective (art. 48); elle établit encore 
avec une égale exactitude les anciens « usages de métier, » en faisant 
dépendre la récption des compagnons et maîtres de diverses condi- 
tions d'âge et d'exercice; et afin que rien ne manque, elle rappelle 
même les « compagnons, maisons, moussues (Allgesellen) » pour faire 
des statuts sur le compagnonnage (art. 46), 

Elle brille (ou plutôt .elle brillait, car ses plus pures beautés vien- 
nent de lui élre enlevées par la loi dite « d'urgence» du 12 juillet 
dernier) surtout par la clarté avec laquelle elle précise les attribu- 
tions et privilèges des divers métiers et professions, en défendan', 
par exemple, à tout boulanger de faire des pains d'épice sans la per- 
mission de la jurande des confiseurs, et à tout forgeron de faire in 
clou sans celle de la jurande des clouliers, mais en permettant, par 
exemption, qu'un cordonnier fasse des pantoufles (art. 23 et 26). 

Toute contravention à ces défenses, prohibitions et obligations est 
punie d'amendes jusqu'à 750 francs ou d'un emprisonnement jus- 
qu'à trois mois, et, en cas de récidive, par l'interdiction de l'exer- 
cice de tout commerce ou profession (art. 74). 

Cette ordonnance ne laisse donc, en apparence, rien à délirer aux 
plus chauds partisans des prohibitions commerciales, toutefois ce 
n'est pas en faveur de ces vieilles niaiseries que la Prusse les rap- 
pelle en vie el l'ordonnauce, vue au jour, n'est autre chose qu'une 
mesure de police pour attirer, au moyen de privilèges, concessions 
et permissions, des Prussiens en des provinces peu sûres et pour 






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— 60 — 

lenir en sujétion celle nombreuse classe de petits bourgeois ; car par 
une rédaction des plus adroites, elle a su conférer l'essentiel, c'e>t- 
à-dire les défenses et les dispensions, à la police locale et aux pré- 
fets, pour ne laisser aux « maîtres-égards » que l'honneur de la dé- 
nonciation, système qui fut plus, amplement développé par les lois 
du 3 avril et du 15 mai 1854,qui mettent les présidents des jurandes 
et les membres des jurys examinaleurs à la nomination des préfets 
et des sous-préfets. Malgré les rigueurs de l'ordonnance, tout bon 
Prussien peut donc, au moyen de permissions particulières ou tacites 
de la police, faire à peu près tout ce qu'il veut, et pour lui tout se 
résout en quelques droits casuels au profit des commissaires de 
police, présidents nés de tout jury examinateur, tandis que pour les 
naturels du pays, l'ordonnance est exécutée à la lettre ou reste sus- 
pendue sur leurs tètes en glaive de Damoclès. 

La pression que le gouvernement exerce sur les grandes associa- 
tions anonymes va très-loin. Avant d'accorder l'autorisation, il sait 
toujours faire mille difficultés qui, par l'intermédiaire de ses agents, 
se changent promptement en propositions d'assurer la nomination 
de quelques descendants de Prussiens comme administrateurs, di- 
recteurs, gérants, ingénieurs, etc., ce qui se fait toujours sous l'a 
formule sacramentelle « afin que le gouvernement trouve dans le 
personnel de l'administration les garanties, de la menlion desquelles 
il dispense dans l'acte constitutif de la Société pour ne pas trop gêner 
son libre mouvement. » Il demande aux employés des houillères le 
serment de fidélité au roi et aux intérêts de l'État et le droit de les 
agréer (loi du 21 janvier 1857). Les caisses d'épargne sont dans les 
rapports les plus intimes avec le gouvernement, rapports tenus se- 
crets avec le plus grand soin. A ces caisses se joignent toujours des 
caisses d'emprunt (Kreisdarlehns Cassen) d'où les créatures du gou- 
vernement tirent les fonds dont ils ont besoin pour leurs entreprises 
commerciales ou autres. Ces rapports s'entretiennent surtout par 
l'entremise de la « Compagnie royale du commerce marilime, t éta- 
blissement curieux et sur le compte duquel notre Diète (1845) s'ex- 
primait ainsi qu'il suit : 

« Institut singulier, qui de sa première organisation et destination 
n'a gardé que le nom ; institut qui se soustrait de tout contrôle et 
comptabilité, bien qu'il ne fonctionne qu'avec des deniers publics, 
produit de nos contributions ; institut qui s'immisce en des emprises 
de tout genre, qui fait trafic de toutes choses, négocie toutes sortes 
de valeurs, qui met le crédit et les fonds de l'Etat à la disposition des 
uns et qui l'associe même à des entreprises de particuliers ; et tout 



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61 — 



eela sans plan an-été, sans règles fixes el reconnues, sans principe, 
d'utilité générale. 

• Si l'on vent, à la rigueur, admettre que l'État doive s'intéresser 
à des établissements qui ont pour but la fabrication d'objets de ré- 
gies et de la défense nationale, rien ne saurait justifier le fait que 
l'Etat, au préjudice de quelques-uns de ses citoyens, fasse concur- 
rence aux autres dans la fabrication d'objets d'un débit général, tels 
que papiers, cotonnades, porcelaines, etc., et pour le commerce des 
grains, des laines et de toutes sortes de marchandises. S'il se peut 
concevoir que l'Élat favorise le commerce internationnal, rien ne 
saurait expliquer qu'il s'immisce en des achats et ventes faits à l'ex- 
térieur et pour l'intérieur seulement. 

» L'opinion publique s'élève donc av»c raison contre un système 
qui, sans aucun but utile ou même avoué, favorise les uns au détri- 
ment des autres, contre un système qui est en opposition avec lotîtes 
les idées du temps, et en contradiction ouverte avec les principes 
d'une adminislration régulière, contre un institut qui, sans une 
raison commerciale, n'est autre chose qu'une institution publique, 
qu'une branche de l'administration publique, qu'une simple section 
du ministère des finances enfin. » 

Quant aux compagnies d'assurances, le gouvernement fait toujours 
dépendre l'autorisation de la distribution d'une partie des bénéfices 
à des œuvres charitables et utiles. Comme cette distribution se fait 
sous la surveillance du gouvernement par des administrateurs par 
lui agréés, ces œuvres charitables et utiles se changent toujours en 
monuments, écoles et fêtes prussiens et en suppléments pour l'habil- 
lement et la nourriture de l'armée prussienne (à quelle fin la Com- 
pagnie dite « d'Aix et Munich » fournissait, en 1864 seulement, 
37,500 francs) ; ce qui certes était une œuvre charitable, attendu que 
le soldat prussien est on ne peut plus pauvrement habillé et pitoya- 
blement nourri. (Voir les actes de noire Diète, 8 e session.) Pour les 
chemins de fer, les exigences vont encore plus loin : le gouverne- 
ment fait dépendre l'autorisation simplement de ce qu'on lui cède 
l'administration et l'exploitation toutes entières. A part le seul che- 
min de fer dit « rhénan » (d'Aix à Cologne avec embranchements) 
qui fut construit avant que le gouvernement eût conçu cette heu- 
reuse idée, tous les chemins de fer de notre province sont dans les 
mains du gouvernement et tous ses employés — des directeurs jus- 
qu'aux piqueurs — Prussiens de pur sang. En échange de ces con- 
descendances, lesdites associations obtiennent pleine et parfaite au- 
torisation d'exploiter le public à qui mieux mieux et, en effet, les 
tarifs de ces chemins de fer et les primes d'assurances ne sont en 






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— 62 — 



au^un rapport ni avec les bénéfices que fonl ces sociétés ni avec les 
exigences du commerce. 

Le service de ces chemins de fer se fait d'ailleurs assez régulière- 
ment, mais la brutalité des employés, presque tous officiers et capo.- 
raux de l'armée, révolte tout le monde. Le gouvernenienl gère encore 
pour son propre compte le service des malles-posles, qui mange tout 
le produit des postes aux lettres, dans le seul but d'y occuper une 
armée de Prussiens. Quant à ce dernier service, nous avons déjà dit 
dans un autre endroit que les directeurs des postes aux lettres ont 
reçu l'ordre de dénoncer, trimestre par trimestre, tous les abonnés de 
journaux étrangers à la haute police; pour le reste, nous n'avons qu'à 
renvoyer à l'affaire de Landeck ; c'est tout dire. 

11 est impossible de peindre la dureté du régime sous lequel souffre 
la presse sans traiier en même temps du commun des lo.s pénales 
auxquelles elle est soumise également. Pour l'objet qui nous occupe 
dans ce chapitre, il suffit d'ailleurs de dire qu'il pèse surtout sur les 
libraires et imprimeurs, qui sont responsables comme complices des 
auteurs (art. 3-i de la loi du l~2 mai 1851) et auxquels, à la seconde 
condamnation, la permission est retirée (art. 5-i ibidem). Mais même 
si l'éditeur et l'imprimeur voulaient courir ce risque, il est littérale- 
ment impossible de publier la moindre chose qui ne soil à la conve- 
nance du gouvernement, puisque tout ouvrage de moins de vingt 
feuille» d'impression doit être déposé 24 heures avant l'édition à ia 
police (art. 5 ibidem). Indépendamment de ces moyens que lui donne 
la loi, le gouvernement opère encore plus efficacement par des 
moyens sourds, en faisant acheter des raisons existantes pour ses 
agents, en imposant aux libraires et imprimeurs ses agents a titre 
d'associé, de procuriste, etc., etc.; en conférant des autorisations, à 
pleines mains, à la descendance des Prussiens, race mille fois plus à 
craindre que les Prussiens eux-mêmes, gens capables à toute bas- 
sesse, à toute infamie et qui, hues et flétris dès leur jeunesse, ont 
pour ainsi dire sucé aveo le lait de la mère la haine contre les Rhé- 
nans. Personne ne peut d'ailleurs se faire une idée des ravages que 
eause cet emploi simultané de moyens sourds et publics qui aussi se 
pratique envers les cafés, hôtelleries, cabinets de lecture, etc., dont 
grand nombre a passé déjà dans des mains de Prussiens. Les permis- 
sions ne se donnent qu'après un examen rigoureux sur les personnes, 
les locaux et les besoins des lieux et doivent être renouvelées annuel- 
lement. (Loi du 7 février 1835.) Tout cafeiier, etc., qui permettrait 
quelque couversalion peu favorable au gouvernement, perdrait infail- 
liblement sa permission par la seule voie du non-renouvellement, 
contre lequel il n'y a non seulement aucun recours, mais dont l'admi- 



-6 3 - 

nisf ration n'est même pas lénu d'énoncer les causes (instruclion du. 
Uaoùt 18i5). 

Le régime des douanes est un des plus insupportables. Les vexa- 
tions pour de simples formalités (dont cependant le grand commerce 
s'en ressent peu puisque, dans les centres du commerce, ces forma- 
lités sont remplies par des commissionnaires spéciaux à ce destinés), 
dépassent l'imagination et annihilent complètement tout commerce 
desvilles limitrophes de part et d'autre, ce qui constitue précisé- 
ment l'accomplissement des vœux les plus intimes du gouvernement, 
qui n'en veut nullement aux objets de commerce, mais aux idées et 
aux nouvelles qui s'importent par les allées el venues continuelles 
auxquelles ce commerce de voisinage donne lieu. Toute contraven- 
tion à ces formalités, dont il y en a que personne ne saurait prévoir, 
est punie sévèrement, même s'il n'y a aucune idée de fraude. 

Un des plus grands soins du gouvernement fut toujours de faire 
régner son système de monnaies, poids et mesures ; plusieurs ordon- 
nances de la dernière rigueur constatent la résistance qu'il y rencon- 
trait et aujourd'hui encore ses pièces de monnaie ne sont connues 
que sous des épithètes injurieuses. 

Les routes sont barrées par des droits de passage assez élevés; les 
communications par eau sont aussi négligées que l'étaient les chemins 
defer.Dès le premier jourde l'occupation prussienne, le gouvernement, 
tout contraire à la loi du 30 floréal an x, disposait des octrois de- 
navigation, qu'il augmentait encore considérablement, comme d'une 
simple contribution indirecte. Il ne fit non seulement rien, absolument 
rien, pour la navigation, mais lit aussitôt continuer les grands tra- 
vaux de canalisation destinés à joindre le Rhin avec la Meuse, sans 
cependant cesser de faire lever les centimes additionnels qui devaient 
former la part contributive de nos départements. Il en était de même 
de quelques digues commencées ou projetées sous l'Empire : le gou- 
vernement ne fit pas exécuter les travaux, mais toujours lever les 
centimes additionnels imposés à cet effet aux départements. L'entre- 
tien de la Raër, rivière rapide et demandant beaucoup de frais d'en- 
tretien, qui par le décret du 10 brumaire an xiv, avait clé mis à la 
charge de l'État, fut, et cela par simple rescrit du ministre des 
finances, mis à la charge des communes (1817). Les actes de notre 
Diète sont remplis de protestations des plus vives contre ces procédés. 
Elles furent toutes infructueuses : En vain demande-t-elle la réduc- 
tion de ces octrois sur le taux légal ; en vain demande-t-elle l'emploi 
de ces octrois aux besoins de la navigation, notamment pour la con- 
struction d'un port de sûreté absolument nécessaire à Coblence; en 
valu démontra-t-elle que les fleuves de la vielle Prusse étaient tout 



— 64 — 

autrement, favorisés et presque exempts de l'octroi ; en vain demandâ- 
t-elle encore la continuation des travaux de canalisation ; en vain, 
enfin, sur le refus d'exécuter ces travaux, la restitution des centimes 
additionnels levés à cet effet par le trésor 'prussien. Seulement en 
réponse à toutes ces demandes, le gouvernement, par le cotisé de la 
dernière session de notre Diète (184.5), lorsque toute contestation sur 
le montant fut désormais impossible, mettait-il à la disposition de ses 
autorités administratives la somme de 225,000 francs (le vingtième 
de ce qu'on demandait) pour être appliquée à la confection des 
grandes routes. 

Mais ce n'étaient pas seulement les octrois de navigation que le 
gouvernement convertit ainsi en simple contribution; il en disposa 
également des redevances des mines qui, aux termes de noire loi du 
21 avril 1810, devaient être employées aux besoins métallurgiques, 
ce qui donna lieu à une protestation solennelle de notre Diète, en 1845, 
protestation aussi infructueuse que toutes les autres. 

On peut bien le penser qu'avec le Code de commerce devaient dis- 
paraître tôt ou tard toutes les autres lois commerciales. La loi sur 
les mines aussi vient de disparaître (1865) malgré une promesse du 
roi, donnée en 1843, de la conserver intacte. La loi sur les ch imbres 
de commerce avait déjà disparu auparavant et était remplacée par 
une loi du 11 février 1848 qui leur ôtait le droit de surveillance et le 
règlement des comptes des travaux de commerce et de navigation, 
droits que, du reste, elles n'avaient jamais été à même d'exercer, 
attendu qu'il n'y avait pas eu de ces travaux sous l'occupation prus- 
sienne. Le cas que le gouvernement fait d'ailleurs des chambres de 
commerce ne saurait se peindre mieux que par la réponse du mi- 
nistre de commerce à la Chambre d'Aix (avril 1865). Cette Chambre 
ayant demandé à ce ministre, alors en tournée, la permission de se 
présenter pour l'éclairer sur les besoins du commerce, le ministre 
lui fit répondre que ce n'était pas à elle, mais au préfet de l'éclairer 
sur les affaires de commerce; réponse qui, si originale qu'elle puisse 
paraître, n'était cependant autre chose que le cliché exact d'une 
réponse du roi (message royal du 30 décembre 1843) à une demande 
de notre Diète en érection d'un ministère de commerce, réponse qui 
porte textuellement : « que c'était seulement à ses volontés suprêmes 
d'aviser comment il voulait être éclairé sur les vrais besoins du 
commerce, i 

Le troisième et quatrième livre de notre Code de commerce sont 
encore débouts, mais qui en voudrait conclure qu'ils aient trouvé 
grâce dans les yeux du gouvernement, serait dans une grande 
erreur. Cela tient uniquement à ce que Ile droit de commerce prus- 



-6 5 - 

sien ne s'est pas assez « développé » et que l'on craint de le publier 
d'un seul jet. Pour le moment on propose de composer les tribunaux 
de commerce «le jurisconsultes, proposition qui déjà a soulevé des 
protestations nombreuses de la part des Chambres de commerce, 
bourses et autres réunions commerciales. Comme on voit, il y a de 
quoi de ne pas trop se hâter d'étaler (outes les beautés de ce droit 
prussien à la fois. 

À la vue du vaste système préventif et répressif dont nous venons 
de donner quelques détails, on devait croire que le gouvernement 
pût se reposer en sûreté sur ses œuvres ou du inoins ne pas craindre 
un soulèvement populaire. Bien loin de là! Cette crainte, au con- 
traire, l'assiège sans cesse et il surveille avec une anxiélé puérile 
non seulement tout affluence de momie, mais même les plus inno- 
centes réunions de. la vie privée. Tout le momie sait quel gran.l cas 
le Rhénan fait de ses kermesses (fêtes de village, foires dans les 
villes) e! l'affluencede monde qui s'y porte. Il est vrai que ces kermesses 
ne se terminèrent jamais sans force malédictions contre la Prusse et 
force huées en faveur de ses f< nelionnaires et que, pour cela, elles 
étai ni un double sujet de scandale pour le gouvernement. Il fallait 
donc à tout prix y parer, ce qui, du reste, pour un gouvernement 
aussi habile que celui prussien, fui chose la plus simple du monde : 
il ne défendit pas précisément ces kermesses et ces foires, mais niel- 
lait toutes les kermesses pour tout nn district à un seul et même 
jour, de sorte que, pour jouir de la fêle, chacun est oblige de rester 
chez soi ; et découvrant dans les foires une profanation du dimanche, 
il les transférait simplement de ces jours à des jours ouvriers, ce qui 
ne pouvait manquer de les l'aire tomber promptement. Restèrent les 
réunions el divertissements prives, bals, concerts, etc., à l'égard des- 
quels le gouvernement opérait également ingénieusement en les relé- 
guant a d^s jours déterminés el fixes pour chaque endroit pas le pré- 
fel. et en rendant les aubi rgi>tes responsables de tout désordre, sous 
peine de perdre immédiatement la permission. Toutes ces ingénieuses 
défenses, agréablement colorées et motivées, se lisent dans les arrêts 
du préfet d Aix du 16 décembre 1*53 et du 31 décembre 1859. 

Mêmes précautions pour les armes et poudres, dont le commerce 
et même le transport dépend d'une permission spéciale du sous- 
prefel et dont la provision à garder ne doit être au-dessus d'un 
kilogramme pour les détaillants et de cinq pour les marchands en 
gros (arrêté du i septembre 1S5-4). 

Cette peur puérile perce d'ailleurs à travers tous les actes du gou- 
vernement, qui cependant pourrait bien être tranquille de ce côté- 
là : car ce n'est certes pas à nous autres, malheureux Rhénans, de 



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— rt>6 — 

prendre des moyens désespérés tant que nous avons notre espoir 
dans cette terrible armée aux aigles romaines, à l'aspect de laquelle 
la France, redevenue libre, n'ose plus démentir son ancienne gloire. 



CHAPITRE VI 



L'instruction supérieure dans la Prusse rhénane 



Avant la Révolution déjà, l'éducation supérieure dans ce pays 
était dans un état florissant. 11 n'y avait pas moins de trois univer- 
sités : la première, celle de Bologne, fondée en 1388, fille de celle de 
Paris et mère de celle de Louvain, jouissait d'un renom européen et 
comptait parmi son auditoire des «lèves des quatre p rties du 
monde et en si grand nombre (quelquefois plus de 8,000) qu'une 
autre pouvait fleurir presque à ses portes, à Bonne. Indépen- 
damment de ces deux, il y en avait une troisième à Trêves. Les 
écoles centrales, imaginées par la Convention, ayant pris pour mo- 
dè'e les anciennes universités, l'introduction de la première législa- 
tion française ne pouvait rencontrer ni difficultés, ni obstacle. En 
effet, un arrêté du commissaire du gouvernement, du 9 floréal an vi, 
convertit les facultés de philosophie de ces universités en écoles cen- 
trales, et les facultés de médecine et de droit en écoles spéciales de 
ce genre, et tout fut dit. 

Ce qui distinguait avantageusement ces universités rhénanes des 
universités allemandes, c'était l'union étroite dans laquelle, elles se 
trouvaient avec leurs écoles préparatoires, dont la discipline sévère 
se transmettait dans les universités elles-mêmes et préservait non 
seulement les élèves de la vie dissipée et des écarts qui régnaient 
dans les universités allemandes, mais les rendait surtout plus aples à 
profiter utilement d'une instruction à la fois soignée et pratique. Ces 
universités rhénanes étaient, en effet, non seulement des puits de 
science, mais de véritables foyers d'instruction, et les élèves y for- 
1 mes non seulement des hommes savants, mais éclairés et habiles, 






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— 68 — . 

propres à toutes les carrières et surtout à saisir et à goûter les 
grandes idées du temps. Nous avons la satisfaction de pouvoir con- 
stater que ces qualités furent appréciées par quiconque les rencon- 
trait, notamment par le commissaire du gouvernement Rudler qui, 
dans sa proclamation du 14 messidor an vi, leur reconnaissait « les 
meilleures intentions, un grand zèle pour le bien public et un sincère 
amour de la patrie, » et par le conseiller d'État en mission, depuis 
ministre des cultes, M. Bigat de Préameneu qui (voir son rapport du 
5 vendémiaire an xm) trouva les jurisconsultes de ce pays, élèves 
de ces écoles, « à la lois fort instruits et éclaires, et rendant avec une 
parfaite impartialité leurs arrêts et décisions. » 

Il ne pouvait donc manquer que le système d'enseignement, adopte 
plus lard par l'empereur, et qui joignait à une instruction à la fois 
littéraire et pratique une éducation mâle, sévère et régulière, n'ob- 
tient l'approbation générale, et c'est aujourd'hui encore une véritable 
jouissance de cœur d'entendre, le peu d'hommes qui nous restent de 
cette époque, parler de notre instruction dans ces temps-ci, de les 
entendre faire l'éloge de nos lycées, écoles secondaires et spéciales. 

Les Prussiens, trouvant un système d'éducation si solidement éta- 
bli, comprirent forl bien que jamais il ne se prêterait à leurs des- 
seins et se decidèrenl promptemenl à détruire l'edilice de fond en 
comble pour plus tard en ériger un autre. Ils s'y prirent avec résolu- 
lulion en faisant tout de suite main basse sur les fondations et en 
abandonnant ensuite les élablis.-emenls d'enseignement aux com- 
munes. Or, abandonner ces établissement aux communes en les pri- 
vant en même temps de leur revenus, c'était, dans les circonstances 
du temps, prononcer leur arrêt de mort; car après quatre affreuses 
année» de guerre, on se Irouvail en face de deux années de disette, 
également affreuses (1816 et 1817) et dans une situation qui n'ollrail 
aucune perspective d'un prochain avenir meilleur et par couséqueul 
aucun but utile aux éludes. C'était donc un calcul peu hasardé que 
de penser qu'il ne se trouverait pas assez d'élèves pour suflire aux 
besoins de ses instituts (dont le gouvernement se reservait d'ailleurs 
la direction et la nomination des professeurs), que les communes se 
monlreraienl difliciles et renverraient au gouvernement l'obligation 
de doler ces établissements, qu'alors les écoles se dissoudraient et 
qu'on pourrait ainsi faire ce qu'on voudrait. Toutefois, le résultat 
opéré se laissant encore attendre, le gouvernement se voyait obligé 
de lui venir en aide par une défense fulminante (i février 1817) con- 
tre renseignement de la langue française et par l'introduction des 
livres de classe usités dans la vieille Prusse. Dès lors, le succès pa- 
raissait assuré ; les instituteurs se dispersèrent et allèrent trouver 



-6g- 

dans les pays d'alentour un meilleur emploi de leurs facultés et de 
leur bon vouloir. 

Ce fut nlors seulement que le gouvernement commençait ses opé- 
rations actives parle rétablissement (18 octobre 1818) de l'université 
de Bonne, qu'il appelait t université rhénane, » mais qui 'devait rem- 
placer non seulement les trois anciennes universités rhénanes, mais 
encore quatre universités allemandes récemment supprimées, dont 
l'une protestante (celle de Duisbourg dans le grand-duché de Berg), 
et trois catholiques (celles de Meinster et de Paderborn dans le 
royaume de Westphalie et celle d'Erfurt dans la Haute-Saxel. Elle 
devait encore remplacer l'ancienne académie et faculté de droit (ca- 
tholique) de Dusseldorf (grand-duché de Berg). 

La population de cette université fut bientôt trouvée : pour corps 
enseignant quelques nrofesseurs rassemblés çà et là dans les univer- 
sités de la vieille Prusse, auxquels on envoyait pour élèves une armée 
de boursiers prussiens, partie flls de fonctionnaires, parlie puînés de 
la nob'esse brandebourgeoise, tous, professeurs aussi bien qu'élèves, 
protestants. 

Ainsi, un corps enseignant tout prussien, ayant pour élèves des 
boursiers prussiens, un établissement d'instruction destiné pour 
quatre provinces prussiennes à la fois, une école protestante au 
milieu d'une population toute calholique, voilà ce qu'on appelle en 
Prusse « une université rhénane. » 

Cette université se compose de cinq facultés (collégps) : de théolo- 
gie protestante, de théologie catholique, de droit, de médecine, de 
philosophie, celle-ci divisée en quatre sections : de la philosophie 
proprement dite, des mathématiques et de l'histoire naturelle, de la 
philologie, de l'histoire et des sciences politiques. Une école d'écono- 
mie rurale vient d'y être ajoutée. Comme on voit, c'est un bien sin- 
gulier agglomérat d'élèves que celui que nous présente une université 
prussipnue. 

Personne ne niera d'ailleurs que cette réunion d'écoles si diffé- 
rentes en une seule doit offrir de solides avantages au gouvernement 
et que surtout, la réunion de jeunes théologiens des diverses confes- 
sions doit produire « le vrai esprit de tolérance • qu'il chérit tant 
et qu'il recommande si chaudement dans l'article 10 du statut par- 
ticulier de la faculté de théologie catholique du 18 octobre 1834, 
article qui semble être calqué sur les fameuses ordonnances royales 
du 2 février 1810 et du 12 février 1832, celte dernière connue sous 
le litre de « règlement pour les églises militaires prussiennes » et 
dont nous ferons la connaissance en son temps et lieu. 

Un long règlement (du 1" février 1819) traite des privilèges et 

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~ 70 — 

libertés de l'université. A ces mots de « privilèges et libertés > le 
lecteur pensera certes que nous allons peindre le beau côte de ces 
établissements. Il nous est bien pénible de devoir le détromper en 
disant que, si ces mots ont encore quelque sens dans les autres par- 
ties de l'Allemagne où ils annoncent une sorte d'autonomie de ces 
instituts, ils n'en ont aucun en Prusse, bien que le règlement prus- 
sien s'efforce à suivre, dans ses formes extérieures, l'itinéraire des 
règlements allemands. Ce serait sans doute un travail fort curieux 
que de rapprocher dans un seul et même tableau et les anciens usages 
et règlements allemands et celui prussien, et d'y démontrer com- 
ment le gouvernement prussien a bien su en faire disparaître la sub- 
stance, tout en laissant subsister les formes. Mais comme il ne saurait 
èlre noire intention d'écrire des choses curieuses mais de décrire la 
déplorable situation de notre malheureux pays, nous devons nous 
contenter de dire qu'en Prusse ces privilèges et libertés ne consis- 
tent que dans une juridiction exceptionnelle pour dettes et menus 
délits et que non seulement les universités prussiennes ne jouissent 
d'aucun privilèges, mais qu'elles sont dépouillées même des droits 
inhérents à tout établissement d'école, qu'elles sont dépouillées jus- 
qu'au droit d'examiner et de décider de l'admission de leurs élèves, 
droit qui leur fut enlevée par un règlement du 4 juin 1831, règle- 
ment remarquable sous tous les rapports et dont nous parlerons plus 
tard. 

Le corps enseignant se compose de professeurs ordinaires, profes- 
seurs extraordinaires, professeurs privés et professeurs répétiteurs. 
Les professeurs extraordinaires ne sont appelés qu'à l'aide ou en 
remplacement des professeurs ordinaires, qui seuls forment ce 
qu'on appelle « le corps professoral ; • lés professeurs prives et ré- 
pétiteurs ne sont que des élèves pour le professorat. Extérieurement 
revêtus d'attributs de professeurs, ils sont dans le fond sujet à une 
discipline d'écolier. Ce qui rend leur situation plus pénible encore, 
c'est qu'en apparence relevant de leurs facultés respectives, ils ne 
relèvent en réalité que du seul curateur (commissaire du gouverne- 
ment près les universités, seul et véritable directeur et administra- 
teur de ces établissements); il en est de même de leur admission. 
11 est vrai que les statuts particuliers des diverses facultés et surtout 
l'art. 52 du statut de la faculté de théologie catholique, semblent dé- 
mentir celte assertion, car ils disent simplement et clairement « que 
les facultés elles-mêmes décident de l'admission des professeurs pri- 
vés et répétiteurs. « Mais patience et attention! Un peu plus loin nous 
trouvons dans un coin obscur, dans le paragraphe qui traite des 
pièces à l'appui, entre bon nombre de cerliflcats de toute espèce 



- 71 — 

l'exigence que voici : « § 7", un consens en règle, délivré par le cura- 
teur de l'université, portant permission pour le candidat de solliciter 
son admission. » (Quand nous disions qu'il devait être chose curieuse 
de rapprocher les dispositions des règlements prussiens!) Il va sans 
dire que ces brevets d'admission sont, comme tous les brevets, con- 
cessions et permissions prussiens révocables et même renouvables 
après certain délai (art. 55 ibidem). Ces professeurs-élèves pourront 
d'ailleurs, comme cela est bien naturel dans une université presque, 
entièrement peuplée de boursiers, être rémunérés par l'État (art.58), 
ce qui certes ne rend pas leur position plus indépendante. Ceux qui 
entrent le mieux dans les vues du gouvernement reçoivent le titre de 
professeur extraordinaire, sans pour cela sortir de ces conditions. 
Il parait que le gouvernement ne se précipite pas dans les nomina- 
tions des professeurs ordinaires qui pour la plupart sont de vieux 
débris d'hommes: l'un est aveugle, l'autre sourd, un troisième para- 
lytique, un quatrième tombé en enfance, tous en un mot plus on 
moins infirmes et imbus de préjugés et de théories les plus singu- 
lières. Tant pour leur physique; quant à leur moral, nous pensons 
nous borner de donner plus tard le règlement de discipline auquel 
ils sont sujets et de le laisser à la décision du lecteur si ce doit être 
un homme de caractère et de savoir qui s'y soumet. Toujours est-il 
que le gouvernement ne voudrait pour rien au monde se passer de 
ces hommes si bien faits au joug et qui, pendant leur longue car- 
rière (plusieurs d'entre eux appartiennent encore à la première 
bordée prussienne), lui ont rendu d'éminents services en ayant 
toujours su tenir la jeunesse dans l'obéissance sinon des lois, du 
du moins du pouvoir. 

Tout contraire à nos écoles françaises, un examen de sortie n'a pas 
lieu dans les universilés prussiennes, mais l'on y confère, les grades. 
Comme parfois on se fail des idées erronnées sur la distribution de 
ces dignités à propos desquelles, grâce aux écrits el journaux prus- 
siens, on attribue aux universités prussiennes plus de rigueurs, sur- 
tout vis-à-vis des universités allemandes, accusées par ces mêmes 
journaux prussiens de prodiguer et même de vendre des dignités, 
il faut ici constater que rien n'est plus faux, et que ce sont là seule- 
ment de ces calomnies prussiennes qui ne méritent même pas d'être 
réfutées. Le fait est que les universilés allemandes, dans la distribu- 
lion de ces dignités, ont beaucoup de liberté et qu'elles les confèrent 
à tout mérile acquis n'importe où ou comment, ou dans l'université 
elle-même, ou à l'étranger, ou même par une éducation particulière, 
tandis que les universités prussiennes sont liées par mille considéra- 
tions, conditions et formalités. Il est vrai que les règlements prus- 



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- 72. — 

, siens (du 18 octobre 1834) posent en principe que le titre de docteur 
ne s'acquiert qu'après force traités, thèses, dissertations, disputa- 
lions, etc., tous écrits ou prononcés en langue latine; il est vrai qu'il 
ue s'acquiert encore qu'après présentation d'excellents certificats de 
bonne vie et mœurs ; il est vrai que ces certificats ne suffisent même 
pas et que (art. 36) l'admission à l'examen dépend encore de « cer- 
tains renseignements ultérieurs » sur la conduite morale et politique 
dont la faculté doit préalablement se prémunir ; mais ce qui est encore 
vrai, c'est que lout cela ne constitue que la voie ordinaire et qu'il 
y a encore un autre chemin pour y parvenir : c'est quand le candidat 
est présenté par le gouvernement (art. 47). Alors, pour étrejeçu 
docteur ou licencié, lout cet appareil tombe : il tombe traités, thèses 
dissertations, disputalions, langue latine, examen et certificats, et tout 
se borne à un discours prononcé en langue allemande (art. 28), où se 
résout en simple envoi du diplôme (art. 47). Il parait donc que, sous ce 
rapport aussi, les universités allemandes valent bien celles prussien- 
nes et que, si les premières couronnent le mérite acquis librement, les 
prussiennes ne peuvent couronner qu'un mérite ou autre chose que 
le gouvernement leur ordonne de couronner. Si l'on paye d'ailleurs 
les diplômes dans les universités allemandes, il faut en convenir qu'ils 
ne se donnent pas pour rien en Prusse où un diplôme de docteur, 
outre les faux-frais, coûte ses beaux 637 francs 50 centimes, prix fixe 
(art. 41, 43, 50 et 56 des statuts part.), si toutefois le ministre de 
l'instruction publique n'ordonne pas qu'il soit délivré ou gratuitement 
ou à prix réduit (art. 43 et 44). Au reste nous ne saurions assez le 
répéter que ces grades ne sont que purement et simplement honori- 
fiques et ne donnent aucun droit ni sur une professure, ni sur un 
emploi quelconque, ni sur l'advocature, ni même pas pour l'exercice 
de l'art de guérir, pour lequel exercice aussi on doit encore encourir 
un examen particulier par-devant une commission d'examen royale. 
(Règlements des 1" janvier 1825 et 8 octobre 1852.) 

L'instruction dans ces universités se donne au moyen de cours 
publics ou de leçons particulières. C'est surtout dans ces dernières 
que les professeurs doivent éveiller dans le cœur de leurs élèves 
« les sentiments d'un attachement sincère au roi, à la maison royale 
et à la monarchie prussienne et d'une reconnaissance bien sentie 
pour les bienfaits (les bourses) qu'ils en oui reçus »(art. 15, 20, 36 des 
statuts part.). Les cours privés, où les professeurs choisissent eux- 
mêmes les élèves auxquels ils daignent dispenser la potion, sont jus- 
tement renommés dans la faculté de droit et dans la section de l'his- 
toire et des sciences politiques. C'est là où se débitent principalement 
les principes dévastateurs que nous avons signalés dans le chapitre 






— 73 — 

sur l'instruction primaire. Aussi sont-ils bien appréciés par le gou- 
vernement, au point que leur arrangement dispense de toute leçon 
publique (art. 13 et 15 ibidem). Toutefois il ne faut pas penser que 
ces leçons publiques ou privées soient données au gré des professeurs 
ou entendues au gré des élèves. Bien loin de là!Une telle liberté devait 
singulièrement compromettre les fruits que le gouvernement attend 
à si juste titre de la réunion d'écoles si différentes; aussi n'a-t-ëlle 
pas lieu et le gouvernement fait-il simplement prendre aux élèves 
avec leur matricule « un guide d'études » approuvé par le ministre, 
qui teur prescrit, pièce par pièce, article par article, toutes les leçons 
qu'ils doivent entendre, tous les cours' qu'ils doivent suivre. Il est, 
vrai qu'ils ne sont pas astreints « par aucune contrainte ou peine, » 
comme dit le règlement, de suivre ce guide qui ne se donne qu'en 
bon conseil » (art. 16 des statuts) ; mais malheur à qui voudrait s'en 
écarter, ou seulement ne pas le suivre de bon cœur et de grand train ; 
malheur à qui ne voudrait s'accomoder de bonne volonté aux soi- 
disantes leçons préparatoires (art. 3, 10, 19 ibidem) de philosophie 
(les principes prussiens), de l'histoire (brandenbourgo-prussienne) et 
de la philologie (locutions latines et prussiennes); malheur surtout à 
qui voudrait préférer les leçons sur le droit français (si toutefois il y 
en a) à celles du droit prussien ; car s'il n'y a pas d'examen de sortie, 
il y a toujours des « certificats de sortie » qui ne constatent que la 
conduite et les leçons entendues; et s'il n'y a pas d'examens à l'uni- 
versité, il y en a par devant les autorités royales par lesquelles tout 
qui veut parvenir à une professure, fonction, emploi quelconque ou 
même à une profession privilégiée (avoués, avocats, médecins, phar- 
maciens, architectes, ingénieurs particuliers, arpenteurs, etc.,) doit 
passer et par devant lesquelles autorités ces « certificats de sortie » 
doivent êlre présentés. 

Au reste, aucune contrainte n'est nécessaire pour des élèves aussi 
disciplinés que ceux d'une université prussienne, car n'entre pas 
dans ces universités qui veut. En effet, la faculté de recevoir les 
élèves, d'abord laissée aux universités par le règlement du 1" fé- 
vrier 1819, vient de leur être retirée et à présent cette réception ne 
se fait que sur un examen spécial par devant un commissaire du gou- 
vernement et d'après un règlement particulier (du 4 juin 1834). 
Comme ce règlement nous facilite singulièrement notre tâche et 
mérite encore à tant d'autres titres d'être connu, en voici les 
substances : 

Art. 3. — A l'avenir, les examens de maturité pour les universités 
n'auront lieu qu'aux seuls gymnases, par devant une Commission 
spéciale, présidée par un commissaire du gouvernement, membre (le 






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— 74 — 

l'autorité supérieure de la province (c'est-à-dire d'un des chefs de 
bureau du préfet de Coblence, cette autorité ne se composant que 
du dit préfet et de quelques-uns de ses chefs de bureau). 

Art. 5.— Sous la présidence du dit commi-snire, cette Commission 
se compose d'un membre du curatoire, député à cet effet et confirmé 
par l'autorité supérieure d'écoles, et par des instituteurs de la pre- 
mière classe, si toutefois (art. 22) le commissaire du gouvernement 
ne juge à propos de les remplacer par d'autres examinateurs. 

Art. 15. — Le commissaire du gourvernement approuve les thèmes 
ou les désigne lui-même. Quant au résultat de l'examen (art. 26), le 
plus jeune des professeurs opinera le premier et ainsi les autres dans 
l'ordre du tableau; le président-commissaire du gouvernement, selon 
les cas, opine ou n'opine pas. II opine s'il tombe d'accord avec la 
majorité et en cas de partage où il décide; il n'opine pas si son avis 
est contraire à celui de la majorité, auquel cas la décision est simple- 
ment déférée au préfet de Coblence. Toutefois les Prussiens n'aimant 
pas de recourir trop souvent aux moyens d'autorité, ont imaginé un 
expédient des plus ingénieux, c'est de laisser aux professeurs mal 
avisés d'abord, la faculté de s'amender et, ainsi que dit naïvement le 
règlement, « de retracter leur premier vote pour en émetlre un autre 
plus motivé qui alors sera regardé comme le seul émis. » 

Les articles 16, 18, 23 et 28 traitent des connaissances nécessaires 
pour l'examen. On demande beaucoup dans la langue latine qui joue 
surtout un singulier rôle dans les écoles prussiennes; puis une 
connaissance accomplie de la langue allemande, ensuite une connais- 
sance également approfondie de V Histoire patriotique brandebourgo- 
prvssienne. En fait de langues modernes, on enseigne, mais seule- 
ment pour la forme, la langue française, en ne demandant à l'examen 
d'autre chose que la traduction par écrit et L l'aide du dictionnaire 
encore, d'un pensum qui « grammalicalement ne doit guère présenter 
de difficultés, » et avec ou à défaut de cela (art. 28) l'interprétation 
d'un passage d'un auteur français et qui non plus < ni pour l'objet, 
ni par rapport à la langue doit présenter de difficultés. » Pour les 
autres parties de l'instruction, on n'exige presque rien, et, en effet, 
les connaissances qu'on demande en mathématiques, histoire univer- 
selle, géographie, histoire naturelle et physique, ne dépassent pas 
celles des élèves de nos écoles primaires supérieures. 

L'énonciation des causes qui peuvent donner lieu à un traitement 
indulgent termine enfin dignement ce règlement fameux. Nous en 
remarquons seulement les suivantes (art. 28) : « La leclure raisonnée 
des auteurs patriotiques, » « les intérêts du service public, » et puis 
qu'en général une connaissance avancée des langues latine ou alle- 



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- 75 — 

mande ou de YHistoire brandebourgo-prussienne rachète tous les 
défauts dans les autres parties de l'instruction. Gomme on voit, il ne 
pèche pas par manque de tolérance, et la seule et unique restriction 
qu'il fait ne s'adresse encore qu'aux seuls Polonais qui (même article) 
« en fait de la langue allemande doivent toujours, en tous les cas et 
sans exception aucune, satisfaire à toutes et même au plus hautes 
exigences qu'on fait aux écoliers allemands. » 

Il va sans dire (art. 21) que ces examens sont secrets, en échange 
le règlement ordonne des licenciements publics qui seront entourés 
de solennités propres à faire sur les écoliers aussi bien que sur le 
public « l'effet désiré (art. 22). » 

Que le lecleur veuille bien remarquer que cet examen est le der- 
nier que passe l'écolier prussien devant les autorités scolaires et il 
aura une idée juste de ce que doit y acquérir un écolier qui ne soit 
pas poussé, ou par la nécessilé de vivre ou par une vocalion inté- 
rieure. En effet, il manque absolument d'un institut où les fils des 
classes aisées puissent recevoir une éducation convenable; aussi, 
pour y suppléer, la noblesse rhénane a-t-elle fondé à ses frais un 
institut particulier, à Bedbourg, appelé « Académie de la noblesse 
rhénane, » institut honorable mais qui partage le sort commun de 
tous les établissements exclusifs et qui succombe encore sous les 
exigences prussiennes. 

11 n'étonnera donc pas de voir l'université presque entièrement 
peuplée de Prussiens et, en effet, c'est beaucoup, c'est le maximum, si 
parmi 900 élèves, on trouve (à part toutefois jles élèves de théologie 
catholique) 25 ou tout au plus 30 Rhénans, naturels du pays. Le reste 
se compose ou de Prussiens de pur sang ou de fils de fonctionnaires 
prussiens, de Bergeois et de Westphaliens. 11 est vrai que les tableaux 
du gouvernement en accusent un nombre bien différent, ce qui vient 
de ce que le gouvernement nous présente comme Rhénans ces fils de 
fonctionnaires prussiens qui forment surtout le plus grand nombre 
des élèves. Encore ce n'est certes pas de bonne volonté que ce peu de 
Rhénans s'y trouve, mais, comme nous disions déjà, ce n'est pas seule- 
ment tout avenir au service public (à quoi du reste le Rhénan renonce 
volontiers), mais l'exercice de plusieurs professions (d'avoué, d'avo- 
cat, de médecin, de pharmacien, d'architecte, d'ingénieur, d'arpen- 
teur, etc., etc.), aussi bien que la confération des ordres sucrés qui 
dépendent de la fréquentation de ces écoles prussiennes. (Ordonnance 
royale du 30 juin 1841.) 

Nous avons également déjà fait connaître les défenses souvent 
saugrenues (c'est le mot!) de fréquenter les universités étrangères, 
et le régime intolérable qui rend impossible toute instruction privée! 



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Nous n'avons donc qu'à compléter le|récit par rénumération de cer- 
taines mesures ultérieures, parmi lesquelles nous devons citer en 
premier heu : la défense bien formelle de discuter les lois et règle- 
ments prussiens (ordonnance du 5 décembre 1835); la défense de 
Tisiler les villes étrangères, sièges d'une université (arrêté du 22 jan- 
vier 1834); le renvoi, aux frontières prussiennes, de tout étudiant 
étranger voyageant sans un laissez-passer spécial du ministre prus- 
sien ; la sujétion des étudiants aux lois pénales et de procédure prus- 
siennes (ordonnance royale du 31 décembre 1836); la jusùiication du 
séjour et de la conduite politique pendant les vacances (arrête du 
19 septembre 1836), mesure assez ingénieuse mais qui, ainsi que nous 
l'apprend une publication du dit curateur en date du 17 mars 1840, 
faillit manquer par la délicatesse de plusieurs maires (qui alors ne 
furent pas encore salaries) et auxquels il répugnait de se livrer à de 
telles indignités. 

Autre moyen de propager le patriotisme prussien, c'est de faire 
absolver les cours de l'université par des militaires eu activité de 
service (l'assassin Eulenburg était de ce nombre), moyeu sur et effi- 
cace, le service militaire, comme on le sait, ayant été la grande école 
du patriotisme prussien. La distribution des bourses livre d'ailleurs 
au gouvernement le moyen toujours prêt d'y en envoyer autant 
qu'il juge nécessaire pour le maintien de cet esprit de discipline 
militaire. 

A propos de bourses, nous avons dit à plusieurs reprises que 
l'université était presque en entier peuplée de boursiers. Comme, 
surtout en vue de la lésinerie bien couuue et devenue proverbiale des 
Prussiens, cette assertion pourrait parailre un peu hardie, nous neJe 
jugeons pas de trop de la développer un peu. D'abord il f.mt savoir 
que ce n'est pas le gouvernement à lui seul qui pourvoie à cas 
bourses, bien qu'il les confère toutes. Pour les élèves de théologie, 
par exemple, il ne fournit guère un rouge liard : ceux-ci sont sim- 
plement renvoyés aux quèles et collectes dans les églises, ordonnées 
par le gouvernement. De plus, il existe un excellent moyeu de se 
procurer des fonds, c'est l'obligation imposée aux compagnies d'assu- 
rance, d'appliquer une partie de leurs bénéfices à des œuvres chari- 
tables. Comme c'est sans doute une des plus charitables que d'edu- 
quer les rejetons de Prussiens pour les faire aptes à continuer l'œu- 
vre d'oppression commencée par leurs pères, et comme d'ailleurs 
ces compagnies sont toutes dans les mains du gouvernement, rien de 
plus naturel et de plus facile que d'engager ces sociétés d'y concourir 
efficacement. En effet, la seule compagnie 'd'assurauce, dite d'Aixet 
"Munich, fournissaiUlle à ces Ans, dans une seule et même année, 







— 77- 

plus de 86,000 francs. Le surplus et rapporté par le Trésor, mais 
«omme toujours cette charge étant trop lourde, on imagina un 
moyeu plus qu'ingénieux, tant sous le rapport de l'économie que de 
l'instruction, c'est de ne plus conférer, niais de prêter (stunden) seu- 
lement les bourses, à charge d'être remboursées par les boursiers 
parvenus à quelque emploi (instructions des 5 avril et 10 septem- 
bre 1831). Gomme on le voit, en Prusse tostes choses s'expliquent 
parfaitement, seulement il faut rapprocher les unes aux autres. 

Reste encore à traiter un peu du système d'éducation et de disci- 
pline des professeurs; mais avant de nous y engager, faisons connaître 
un peu l'organisation des écoles secondaires et préparatoires, aux- 
quelles ce système et cette discipline sont communs. Pour cela nous 
devons prier le lecteur de vouloir bien jeter un regard rétrospectif 
sur le commencement de ce chapitre où nous l'avons laissé dans 
l'attente des réclamations des communes sur l'enlèvement des bien* 
d'écoles d'abord, sur les charges imposées à ces communes ensuite. 
Ces réclamations, en effet, ne se firent pas attendre et le gouverne- 
ment qui comprit parfaitement que son système de surveillance et de 
direction exclusive ne pouvait s'exécuter à la longue, ni surtout de- 
venir fécond, s'il continuait à refuser loute participation aux frais, 
sembla assez dispose de satisfaire à ces réclamations et d'accorder 
sur les biens d'écoles séquestrés (qu'il se hâtait d'ailleurs de mettre 
promptement sous le marteau) quelques secours aux communes. 
Mais il posa toujours à ces dons certaines conditions, notamment ces 
•trois dites «de rigueur, » savoir :l°de considérer ces écoles comme 
instituts d'État; 2° de les qualifier ou « mixtes » ou < n'ayant aucun 
égard à la confession; » 3" de conférer au gouvernement non seule- 
ment la direction générale, mais l'administration spéciale (règlement 
des salaires, choix des loctux, fixation des honoraires, etc.). Ce ne 
fut donc qu'à ces conditions bien incommodes et contre lesquelles les 
«ommunes se débattirent de leur mieux que le gouvernement con- 
sentit à se charger d'une partie (ordinairement de la moitié) des frais 
de ces établissements. Encore n'étendait-il cette prétendue faveur 
qu'aux seuls lycées qu'il appelait dès lors «gymnases, » et laissait par- 
faitement en dehors les écoles secondaires dont il ne paraissait guère 
se soucier; faute capitale qui, pour les premières années, lui lit perdre 
tous les fruits de son œuvre et qui, aujourd'hui encore, les compn> 
Biet singulièrement; faute qu'il aggravait encore par certaines me- 
sures ultérieures qui ne décelaient que trop sa haine contre tout ce 
qui était * Rhénan, » mais peu son habilité ordinaire, et parmi les- 
quelles nous devons surtout signaler : une épuration parfaite du per- 
sonnel des instituteurs, corps qui cependant était bien épuré par l'ex- 



- 7 8 - 

patriation de la plupart de ses membres. Celte-opération qu'il exécuta 
surtout pir des mortifications, humiliations, méchancelés se- 
crètes, etc., n'eut d'autre suite que de déterminer le reste des insti- 
tuteurs de s'expatrier également ou de chercher refuge auprès des 
instituts restés communaux, auprès des écoles secondaires. Il va sans 
dire que les écoliers s'en allaient avec eux. Comme on le pense bien, 
ces instituteurs étaient bien loin d'apporter dans ces écoles « l'esprit 
de l'attachement et d'une reconnaissance, bien sentie pour le roi la 
reine, son épouse, la maison royale et toute la monarchie prus- 
sienne » que, cependant, le gouvernement exigeait d'eux. (Règlement 
du 12 juillet 1824.) Il ne pouvait donc manquer que ces écoles, bien 
que dirigées et surveillées par le gouvernement, bien que leurs in- 
stituteurs fussent soumis à la même discipline que ceux des gvm- 
nases, ne prissent une direction quelque peu opposée. Tous les efforts 
du gouvernement d'y remédier élaient vains : que le gouvernement 
prescrivit le plan d'enseignement : ce plan fut suivi, tout en étant 
éludé; qu'il imposât des livres déclasses prussiens : ces livres furent 
introduits sans qu'on en fit usage ; qu'il ordonnât l'enseignement de 
l'histoire « brandebourgo-prussienne » : on enseignait sans livres, il 
est vrai, l'histoire du pays; qu'il diminuât les honoraires des gym- 
nases : on payait de bon cœur le double et le triple dans les écoles 
secondaires (voir les acles de notre Diète, V session); qu'il contestât, 
dans le règlement des comptes communaux, les gratifie* lions et aug- 
mentations de salaire accordés aux instituteurs : il ne servit qu'à les 
faire restituer par les parents ou souvent même par les conseillers 
communaux en leur nom propre et privé; qu'il défendit, enfin, ces 
dons volontaires (arrèlé du 4 septembre 1841) : il ne servit qu'à les 
décupler, mais à les faire donner secrètement. En vain déclarait-il, 
par le règlement du 4 juin 1834 dont nous venons de donner 
la substance, les seuls gymnases capables de former des élèves pour 
l'université; il servit non à peupler les gymnases, mais à dépeupler 
l'université. Mais tout cela ne pouvait durer que quelque temps; 
l'avenir, par la nomination des instituteurs, devait appartenir aux 
Prussiens. En effet, les instituteurs nouvellement nommés surent 
bientôt dégoûter les communes de l'intérêt qu'elles avaient jus- 
qu'alors témoigné à ces instituts qui d'un sujet de prédilection qu'ils 
étaient, allaient devenir une charge. Dans cet état de choses, le gou- 
vernement eut la singulière audace de présenter à notre Dièle (1841) 
un projet de loi portant règlement des pensions, projet qui mettait à 
la charge des communes les pensions des instituteurs tant aux écoles 
secondaires qu'aux gymnases, tout en réservant au sojvernementde 
prononcer de la retraite et de fixer ces pensions. C'était précisément 






— 79 — 

ce qu'il fallait pour combler la mesure ; aussi notre Diète rejeta-t-elle, 
séance tenante, ce projet, alléguant que c'était bien à qui nommait et 
dirigeait ces inslituleurs, à qui en revenaient tous les avantages, que 
c'était au gouvernement enfin de pensionner les instituteurs et non 
seulement de les pensionner, mais de les salarier. 

Cette singulière proposition du gouvernement eut encore de bon 
que la Diète examinait un peu de plus près l'étal de ces écoles, exa- 
men qui aboutit (session suivante, 18*3) à une plainte amère sur 
beaucoup de choses, entre autres : sur la composition de l'autorité 
supérieure des écoles, composée, comme nous l'avons déjà dit, du pré- 
fet de Coblence et de luelques-unsdeses chefs de bureau; su ries exigen- 
ces étrangères à leurs fondions qu'on demandait aux instituteurs des 
écoles secondaires; sur l'arbitraire dans la qualiftcalion des institu- 
teurs, sur le manque de tout secoursdela part de l'État pour les écoles 
secondaires; sur l'élévation démesurée des honoraires des écoles 
secondaires vis-à-vis de ceux des gymnases, suite inévitable de ce 
manque de secours; sur la fausse direction imprimée à ces instituts; 
en les assimilants de plus en plus aux gymnases, non en rang, attri- 
buts, secours, mais pour le plan d'enseignement qui devait cepen- 
dant être tout un autre. Elle se plaingnit de plus amèrement que le 
gouvernement ne songeait qu'à former des fonclionnaires qui 
cependant étaient « le matériel le moins propre à combler Pabime 
qui existait entre le gouvernement et la population rhénane. » 
(C'était l'expression textuelle). 

La réponse du gouvernement (message royal du 30 décembre 18*3) 
refusait net et concluait que si l'on tenait les instituteurs des écoles 
secondaires aux mêmes justifications de capacité que ceux des 
gymnases, cela n'impliquait nullement de les égaler en rang et en 
traitements; que l'adjonction d'autres membres à l'autorité supé- 
rieure d'écoles nuirait à l'unité et à l'accord qui devait y régner; que 
le gouvernement ne manquait pas de soins envers les écoles secon- 
daires, preuve l'envoi multiplié de beaucoup de moyens et d'appa- 
rats d'instuction; (il faut en convenir que le gouvernement ne 
manquât pas de leur envoyer force bustes du roi et de tous les mem- 
bres de. la maison royale, force tableaux patriotiques, cartes géogra- 
phiques et livres d'histoire prussiens;) que les subsides accordés 
aux gymnases n'étaient « qu'une faveur « et nullement une obliga- 
tion ; qu'ils n'avaient d'ailleurs été accordés que sur des fonds pro- 
venant de la vente des biens d'écoles et aujoud'hui épuisés; qu'au 
reste, les gymnases n'avaient obtenu ces secours qu'après plusieurs 
années d'épreuve.qu'après surtout que toute incertitude sur leursorga- 
nisation, but et moyens avait disparu, mais que les écoles secon- 




— 80 — 

éaires étaient encore bien loin de donner les garanties nécessaires 
sur ces but, moyens et organisation, et qu'avant toutes ces garanties 
ne fussent données el développées, aucun secours ne pourrait avoir 
Heu. 

Il parait que ce développement s'est laissé attendre, car à l'heure 
qu'il est, nous trouvons ces écoles secondaires toujours dans la même 
situation, ou, pour mieux dire, les ayant laissées dans un commen- 
cement d'altération, nous les retrouvons aujourd'hui quelque peu 
raffermies, quelque peu revenues sur leurs idées premières, el les 
instituteurs, dans le nombre desquels (chose remarquable!) nous 
eomptons même quelque Rhénans, marchant à peu près dans les 
traces des anciens, ce que nous devons d'abord au gouvernement 
lui-même qui, par des humiliations continuelles dont ces écoles 
furent l'objet, rebutait un peu les Prussiens d'y rechercher des 
emplois et, de plus, poussait les instituteurs nommés au mé-onten- 
tement et à se laisser gagner par l'esprit de corps ; mais ce qui sur- 
tout est dû à l'esprit inaltérable des écoliers, car si les gymnases 
représentaient l'élément prussien et n'étaient peuplés, à part les 
obliges (théologiens, juristes, médecins, instituteurs, etc.,) que de 
rejetons de Prussiens, les écoles secondaires représentaient l'élément 
national el n'étaient peuplées que de Rhénans, ce qu'elles sont 
aujourd'hui plus que jamais, car le gouvernement, désespérant d'en 
venir à bout, vient d'en retirer encore le peu de ses rejetons qui s'y 
trouvaient, c'esl-à-dire ceux qui se destinaient aux emplois 'techni- 
ques, pour les réunir en des écoles plus à son goût. — Comme nous 
l'avons dit, les écoles secondaires, sous l'impression que leur don- 
nait le gouvernement, avaient pris de plus en plus l'aspect dessrym- 
nases, et les études classiques y allaient absorber les sciences, tes 
langues mortes, celles vivantes. Profitant du mécontentement qui eh 
résultait, le gouvernement proposa aux grandes villes l'érection 
d'une école plus particulièrement destinée aux sciences exactes et 
qui devait entrer dans les mêmes relations avec le gouvernement 
«t recevoir les mêmes subsides que les gymnases. Il réussit en cela 
parfaitement auprès du conseil municipal de Cologne qui donnait 
pleinement dans le piège et qui, à présent, serait chargé d'une dé- 
pense annuelle de 25 à 30,000 francs, représentant la moitié des frais 
d'une école qui, il est vrai, porte le titre «d'école des arts el métiers^ 
mais qui en réalité n'est autre chose qu'une école du service public 
et qui, y compris l'école préparatoire y ajoutée, est presque en tota- 
lité peuplée de rejetons de Prussiens et de Westphaliens. 

Pour le système d'éducation prussien en général, il faut remar- 
quer d'abord que le gouvernement, pour ainsi dire, divise les élèves 



■■■■■ 



8i — 



de toutes les écoles possibles en deux grandes classes : en ceux qui 
montrent du goût et de l'aptitude pour les belles-lettres ou pour 
quelque science exacte, et en ceux qui n'ont ni goût, ni penchant, ni 
application pour rien et que, dès l'origine déjà, il soumet à un trai- 
tement tout différent. Pour les premiers, il les laisse tranquillement 
s'enfourrer dans l'étude de leur objet de prédilection, ou comme dit 
l'expression officielle « de les faire pénétrer dans les profondeurs des 
langues et des sciences » en les encourageant par toutes sortes de 
moyens (art. 46, 47 des statuts), en veillant soigneusement que leurs 
études ne prennent pas une direction pratique et en ne les rendant à 
la société que dans un état presque voisin de la folie et par consé- 
quant peu dangereux. C'est à eux que s'adressent Ie< mille prescrip- 
tions et exhortations pour l'étude de la langue latine, qu'ils manient 
en effet merveilleusement, tandis que, pour les autres, ces prescrip- 
tions et exhortations se résolvent en une récitation fréquente de cita- 
tions et locutions latines où "« l'aptitude de les employer à propos » 
figure comme « point donnant lieu à un traitement indulgent à 
l'examen » (voir le règlement du 4 juin 1834). 

Celle langue latine, nous ne saurions assez le répéter, joue vrai- 
ment un singulier rôle dans l'instruction prussienne; on veut faire 
d'elle rien moins qu'une barrière infranchissable pour séparer les 
leth'és (« die wissenschaftlich oder academisch Gebildeten » comme 
disent les Prussiens) des gens ignares, dans laquelle derière caté- 
gorie en voudrait bien jeter tous ceux qui ont reçu leur éducation à 
l'étranger ou par une instruction particulière. 

L'emploi de cette langue se transmet promptement dans tous les 
bureaux du service public, où il s'est associé ù mille puérilités du 
même genre, telles que de donner à nos villes et villages des noms 
allemands, d'exterminer de la langue officielle toute expression ou 
dénomination françaises, même celles en usage depuis des siècles 
(c'est ainsi que si l'on voulait exterminer de la langue française les 
mots. : lansquenet, havre-sac et semblables); d'écorcher même la 
langue allemande pour en former un jargon exclusivement prussien, 
de dénaturer également la langue latine en tout ce qu'elle a de com- 
mun avec celle française (on y retranche surtout le c, et l'on écrit 
ainsi officiellement : zivil, alkzept, konvenlion, dezembre) ; puéri- 
lilés qui donnent beaucoup à rire aux autres Allemands et dont 
rirons certes aussi nos lecteurs français, bien que ce ne soit guère à 
nous autres, malheureux Rhén;ins,d'en trop rire; car elles sont pour 
nous ce qu'était le chapeau de Gessner pour les Suisses : le signe 
abject d'une tyrannie infàmo qui brave même le ridicule; elles sont, 



— 82 — 

plus que ne le sont les choses sérieuses, la vraie pierre de touche 
qui révèle au gouvernement les instruments de ses œuvres. 

L'étude de l'histoire (excepté naturellement celle brandenbourgo- 
prussienne) pour lesdits élèves se résout également à en apprendre 
par cœur les principales dates de l'histoire ancienne et allemande; 
on s'y sert de tableaux chronologiques expressément composéspour 
cette singulière méthode d'instruction. Lerèglement du i juin 1834 
enjoint au surplus aux examinateurs « de ne poser aucune question 
qui pourrait faire supposer des connaissances plus que générales en 
ces genres d'histoire. » 

De longs règlements règlent de la manière la plus minutieuse toute 
la marche de l'enseignement, au point de faire, des instituteurs de 
tout grade, des mannequins purs et simples. Nous les avons déjà 
signales dans notre premier travail. Le gouvernement lui-même en 
rougit, non en les exécutant — bien loin de là ! — mais de les voir 
publiés. Voici ce qui se passait à cet égard l'année dernière, à Kœ- 
nigsberg : Un ancien conseiller, M. Sadt, qui s'en fit un mérite de 
publier et de commenter ces règlements dans un recueil périodique, 
comptait parmi ses abonnés plusieurs membres du conseil muni- 
cipal de cette ville. Défense fut intimée à ces conseillers municipaux 
de continuer l'abonnement, et comme ils n'obtempèrent proinpte- 
ment, le préfet, par un arrêté du 23 novembre 1865, les punissait de 
ces amendes prononcées par voie administrative, dont nous avons 
fait la connaissance dans le chapitre sur l'administralion publique, 
savoir : les conseillers municipaux, MM. de Facius et Weller, des 
amendes de 120 francs, et le conseiller municipal, M. Berenl, d'une 
amende de 40 francs et cela, bien entendu, pour le seul fait de l'abon- 
nement sur ledit recueil, recueil paraissant dans les États de S. M. le 
roi de Prusse et par conséquent soumis à sa juridiction. 

Nousdevonsremarquerencore, que depuis longtemps, aucune publi- 
cation sur les affaires d'ecolen'a pi us paru, que tout se renferme aujour- 
d'hui en des envois de supérieur à inférieur, envois qui doivent rester 
secrets et le restent en effet, vu que la violation du secret de bureau 
est punie et recherchée de la manière la plus barbare. Toutelois, pour 
prouver que les hauls travaux du ministère n'ont pas chômé depuis, 
nous sommes à même de pouvoir citer un rescrit récent du ministre 
de l'instruction puplique (du 25 janvier 1865) qui, réglant les affaires 
des écoles polonaises, défend expressément d'enseigner aux enfants 
de cette infortunée nation leur langue maternelle, dont on ne devrait 
plus faire usage comme « objet d'enseignement », mais tout au plus 
comme c moyen d'enseigner la langue allemande », et qui, de plus, 
prescrit formellement les intervalles du temps, dans lesquels lesdi- 



-8 3 - 

vers livres de classe allemands y doivent être absolves. Même ins- 
truction vient d'être lancée pour la parlie de notre province où l'on 
parle seul et uniquement la langue française. 

En jetant un regard sur la longueur de ce chapitre, longueur 
aussi involontaire que nécessaire, nous sommes bien aises qu'une 
législation brève et concise nous permet d'être plus court pour le 
reste. En effet, la législation sur la discipline se borne-t-elle aune 
seule ordonnance royale, celle du 12 avril 1822, et dont la seule re- 
production nous dispense de tout commentaire. Commençant par 
énoncer les motifs qui l'ont fait nailre et qui ne sont d'autres que 
« d'assurer aux autorités la direction entière de renseignement et 
la prompte exécution de leurs ordres » et « de faire disparaître 
certains inconvénients qui jusqu'alors s'étaient opposés à une 
prompte destitution des instituteurs » (« damilsie ohne nachtlieilige 
Weit.'rurigensofortausdemDiensteentferntwerdenkôi)nen»),ellene 
connaît qu'une seule peine: celle de cassation, qui doit être prononcée 
non seulement pour tout fait ou article désagréable au gouvernement, 
maisdejipourleseul fait qu'un inslituteurmontre unesprit d'opposi- 
tion contre les mesures du gouvernement ou que seulement « il ne ré- 
ponde pas entièrement aux vues et intentions paternelles du roi » 
(«wenu siemeinen landesviieterlichenAbsiclitennichtentspreclieu »); 
encore cette peine doit-elle être prononcée si cet esprit d'opposition 
ou cette résistance à ses vues et intentions se montre, non dans l'ex- 
cereice de leurs fonctions, mais même dans la vie privée, s'il se 
mêle par exemple d'une manière plus ou moins directe d'affaires 
plus ou moins publiques ou d'administration. » Le mode de pronon- 
cer cette peine est le plus simple du monde et ne consiste 
qu'en un seul rescrit de supérieur à l'inférieur sans recours aucun. 
Après s'être occupée ici des instituteurs déjà destitues, à l'égard des- 
quels elle ordonne « de ne pas leur faire parvenir le moindre se- 
cours, » et des candidats de l'enseignement dont elle fait dépendre 
la nomination d'un consentement express du ministre de la police, 
cette mémorable ordonnance se termine dignement par une exhor- 
tation solennelle aux autorités a de ne pas se laisser gagner par l'es- 
prit de pitié, mais de faire de ses dispositions une application rigou- 
reuse, » (die Beslimmungen dieser Ordonnance riichsichtslos zur 
Ausfùliruiig zu bringen) et non seulement s'il s'agissait des faits 
prouvés mais seulement présumés (erwiesene oder vermulhete). 
L'ayant déjà laissé à nos lecteurs de juger de quelle trempe doivent 
être les gens qui se soumettent à une telle discipline, nous n'avons 
qu'à constater la solidité de cette législation, l'ordonnance ayant non 
seulement subsisté ses {rentre ans révolus, mais ayant encore servi 



-.*(? 



■■■ 



-8 4 - 

de modèle à la loi qui la remplace (du 21 juillet 1852), et qui avec 
quelque gradation dans les peines toutefois, soumet au même régime 
tous les autres fonctionnaires publics. 

Ayant encore dit là-haul que, dès le premier jour de leur apparition, 
les Prussiens firent main-basse sur les biens et fondations d'écoles, 
nous nous rendrions coupable d'un péché d'omission si, avant de ter- 
miner ce récit, nous ne faisions connaître les raisons solides qu'ils 
alléguaient et qui se résumaient à ce que les élablisements auxquels 
ces biens appartenaient avaient anciennement été dirigés par les 
jésuites. Or, l'ordre des jésuites aboli, rien de plus naturel que de 
déférer ces biens à l'État. Il est vrai, ainsi que prétexta notre 
Diète (session de 1843) que ces biens n'avaient jamais appartenu 
à cet ordre, mais qu'ils n'avaient été abandonnes qu'en 
jouissance aux instituteurs, et que certaines lois française, entre 
autres celle du 20 prairial an x, avaient affertés ces biens aux 
besoins d'écoles. Mais de telles raisons ne pouvaient être admissibles, 
ni ces lois être applicables, attendu que, ainsi que disait le roi dans 
son message du 30 décembre 1843: « Les jésuites ayant été suprimés 
longtemps avant la Révolution, .c'eût été aux princes alors régnants 
de disposer de ces biens et que, s'ils ne l'avaient pas fait, cela n'im- 
pliquait qu'une négligence à laquelle il daignait réparer à présent. » 
Malheureusement pour ces raisons royales, il se trouvait que le prince 
éclairé qui avait régné alors, notre incomparable Charles-Théodore, 
avait en effet usé du droit que lui attribuait le message royale, et 
qu'il avait confisqué ces biens pour les rétrocéder immédiatement 
aux villes auxquelles appartenaient les instituts d'écoles. Mais ce 
n'était pas une raison qui pût convaincre un roi de Prusse qui pen- 
sait que, si l'électeur palatin avait rétrocédé ces biens, lui, en sa 
qualité de successeur, avait assurément le droit de révoquer cette 
rétrocession. Comme on voit, il n'y a pas de lutte possible avec de 
tels arguments. 

Reste à dire deux mots encore sur le caractère religieux de ces 
écoles, dont quelques-unes, restées tout entièrement à la charge des 
communes, ont conservé le caractère catholique, mais dont toutes 
celles qui reçoivent quelque subvention de la pari de l'État sont, ainsi 
que nous l'avons déjà dit, qualifiées ou mixte ou n'ayant aucun 
égard à la confession. Ce qu'on entend sous cette qualification nous 
apprend l'exemple de l'université qui, officiellement, est qualifié de 
« mixte, > ce qui se résout finalement à la seule disposition de 
l'art. 5 de ses lettres patentes (du 18 octobre 1818) où il est dit : 
« Que dans la section de philosophie il y aurait toujours un profes- 
seur catholique à côté d'un professeur protestant et que pour le reste, 



- 85 - 

à part toutefois les professeurs de théologie, on ne prendraiKaucun 
égard à la confession des professeurs. » Encore cette disposition ne 
fut-elle pas suivie et nous apprenons d'une plainte de notre Diète, faite 
en 1845, que cette seule professure réservée à un catholique vac- 
quait déjà depuis six ans. 

Quant au côté national, il est assez dépeint par ce qui précède et 
nous n'avons besoin pour le reste que de renvoyer à notre chapitre sur 
V Instruction primaire, où nous avons vu de quelle manière le peuple 
rhénan s'est préservé des suites funestes de ce système d'éducation, 
où nous avons démontré qu'il est toujours digne de recevoir ses 
frères libérateurs, et que c'est encore à lui que s'adressent ces der- 
nières paroles du martyre de Sainte-Hélène : 

« Il chérit mon nom, mes victoires. « 







mitai- ' jifi* 



CHAPITRE Vil. 



Les affaires religieuses dans la Prusse rhénane. 



Ayant déjà dit, dans le chapitre sur YInstruction primaire, qu'uu 
célèbre auteur et illustre voyageur (M.A.Dumas, dans ses Excur- 
sions sur les bords du Rhin) avait fait connaître en peu de mots 
ja vraie situation de notre pays aux temps de nos persécutions 
religieuses, il serait vraiment une grande témérité de notre part 
de vouloir faire mieux ou autrement. Aussi n'entendons-nous pas 
de nous en rendre coupable, mais de nous borner à la seule repro- 
duction de son récit, en le complétant seulement par quelques faits 
antérieurs ou postérieurs. 

Le voici : 

« En effet, les provinces rhénanes, séparées violemment de la France 
et données à S. M. Frédéric-Guillaume comme accroissement de 
territoire, ne sont que faufilées à la Prusse et, au premier appel, se 
déchireront d'elles-mêmes. Leur nouveau maître, déjà séparé de ses 
nouveaux sujets par l'abîme religieux qu'on ne fait qu'agrandir 
avec la persécution et qu'on ne comble que par la tolérance, au 
lieu de laisser aux habitants du Rhin le Code Napoléon qui pendant 
vingt ans les avait régis, au lieu de choisir, dans leur sein même, 
les fonctionnaires publics qui doivent les administrer, au lieu enfin 
de leur accorder le libre exercice de la religion qu'ils ont reçue de 
leurs pères et qu'ils veulent transmettre à leurs enfants, leur enlève 
peu à peu les lois françaises pour y substituer le bon plaisir prussien, 
choisit les employés du gouvernement hors du territoire qu'ils sont 



-8 7 - 

chargés de gouverner et veut que tout fils d'un père protestant suive 
la religion de son père, ce qui serait juste peut-être dans tout autre 
pays, mais ce qui là, où tout avenir ne s'ouvre que par l'alliance avec 
les étrangers, et où tous les étrangers sont luthériens, devient une su- 
prême injustice. 

» Ce fut contre cette dernière décision, dont il sentit toute la portée, 
que se prononça Clément-Auguste, achevêque de Cologne, qui a eu 
le talent de se faire martyre dans une époque où l'on n'y croyait plus. 
En vertu du pouvoir spirituel qu'il avait reçu du pape, il déclara, se 
plaçant en opposition avec le pouvoir temporel du roi, qu'il n'autori- 
serait les prêtres à bénir les mariages mixtes qu'après que les pères, 
au contraire de ce qui était ordonné par l'arrêté royal, auraient 
pris l'engagement formel de faire élever leurs enfants dans la religion 
catholique, déclarant qu'à son défaut, il y avait les pasteurs luthériens, 
et que pour ceux qui croyaient le mariage devant Dieu inutile, restait 
le mariage devant la loi. Quelques jours après cette déclaration, le 
gouverneur civil de la province et le colonel de la gendarmerie rési- 
dant à Coblence, se rendirent à Cologne et, après s'être adjoint le 
maire de la ville, se présentèrent à l'archevêché. Introduits en pré- 
sence de Clément-Auguste, ils lui intimèrent l'ordre d'obéir aux in- 
structions du gouvernement. L'archevêque répondit que, pour les 
affaires temporelles, il était effectivement soumis au roi, mais que 
pour les questions spirituelles, il ne relevait que de Rome. On lui 
enjoignit alors de se démettre de son archevêché ; mais il répondit 
que, nommé par le pape, c'était au pape seul à l'interdire. Sur cette 
réponse, il fut arrêté et conduit à la fortesse de Minden, où il est libre, 
il est vrai, mais libre dans une ville protestante, et où il a pour do- 
mestiques deux soldats habillés en bourgeois. 

i Ilestimpossibledese figurer l'effet que produisit cette arrestation; 
un frisson de fièvre parcourut toute cette ligne de villes assoupies' 
sous la domination étrangère, et qui se réveillèrent tout à coup, se 
rappelant le temps où elles étaient libres. Sur le prétexte de surveiller 
les Belges et les Hollandais, en litige à celte époque sur la question 
du Limbourg et du Luxembourg, les troupes prussiennes furent 
placées aux bords du Rhin. La forteresse d'Ehrenbreitstein.qui domine 
Coblence, point central de l'agitation, se remplit de poudre et se 
hérissa de canonsdont toutes le gueules, à mesure qu'ils se mettaient 
invisiblement en batterie, se tournaient comme d'elles-mêmes vers 
la rive gauche du Rhin. Le prince Guillaume envoyé dans le pays 
avec la mission apparente de passer des revues, s'arrêta à Cologne 
où il fut sifflé. Sur quoi de nouvelles troupes furent mises en mou- 
vement, toujours sous prétexte de surveiller les frontières belges; 



- 88 — 

mais il résulte de tout cela que les villes qui bordent 1» rive gauche du 
Rhin, depuis le pont de Kehl jusqu'à Nymègue, ne sont qu'une longue 
trainec de poudre, à laquelle la moindre étincelle peut mettre le feu- 
Une fois allumée, il est difficile que l'incendie, surtout s'il conserve 
son côté religieux, ne se communique pas, sinon au gouvernement, 
du moins au peuple belge que toutes ses sympathies porteront à 
soutenir ses coreligionnaires. 

» La cour de Berlin ne laisse jamais échapper l'occasion de témoigner 
sa haine envieuse et contre-révolutionnaire pour la France. La 
France, de son coté, a Waterloo sur le cœur, de sorte qu'avec un peu 
de bonne volonté chez nos ministres, les choses peuvent s'arranger 
à la satisfaelion de tout le monde. Notre devise doit être : 

• Deus dédit, Deus dabil. » 

Comme on le voit, nous étions bien loin de donner à l'auteur tout 
l'honneur qui lui est dû puisqu'il trace, dans ces quelques lignes, 
non seulement le tableau complet de la situation, mais encore tout le 
système politique de la Pruss«. 

Mais entrons nous-mêmes en matière en disant que les Prussiens 
surent profiler très-habilement de certains défauts de la circon- 
scription religieuse du premier Empire, en annonçant hautement, et 
dès le premier jour de leur apparition, le rétablissement de l'église 
métropolitaine de Cologne, tout en se gardant bien d'accomplir cette 
promesse avant de ne l'avoir bien utilisée dans les négociations qui 
allaient s'ouvrir à Rome et qui aboutirent à un concordat conclu en 
1821. Ce concordat ne fut jamais publié, mais à son lieu et place, 
la bulle qui le ratifiait fut insérée au Bulletin des lois prussiennes. 
Cetle bulle avait conféré aux chapitres diocésains les anciens droits 
d'élection de l'église allemande, sauf la restriction de n'élire que des 
personnes agréables au gouvernement. Mais jamais cette élection n'a 
eu lieu et ce n'est qu'une seule fois qu'on est allé jusqu'à en faire le 
semblant d'une mise en pratique, en présentant au roi une liste de 
candidats dont, soit dit en passant, aucun ne reçut l'approbation du 
roi qui toujours a nommé de son propre chef aux sièges sans que 
jamais la cour de Rome ait protesté, ce qui, joint à d'autres indices, 
fait supposer que le concordat contienne des stipulations secrètes et 
non publiées par la bulle. Quoiqu'il en soit, le gouvernement n'était 
nullement pressé ni avec l'institution des chapitres, ni avec la nomi- 
nation des évéques, bien que les sièges vaquassent déjà depuis 1814. 
Enfin, en 1825, le roi parvint à obtenir l'institution canonique pour 
un certain M. Spiegel, son conseiller d'État intime, Prussien de nais- 
sance, et qu'il avaiteréé comte en 1816.Certes il nous doit être pénible, 
comme catholique, de nous occuper ici de ce personnage aux relations 



-8 9 - 

intimes avec les pamphlétaires prolestants Gentz, Stein, Niebuhr, le 
ministre Hardenberg et autres stipendiés de ta Russie, de nous oc- 
cuper de ce protecteur et collaborateur du professeur Hermès, dont 
les écrits devaient plus tard être condamnés comme hérétiques. Aussi 
nous pensons passer sous silence ses œuvres pour mettre incontinent 
au jour une des lumières les plus brillantes de notre église, 
Clément-Auguste, baron de Droste au Vischering,- archevêque de 
Cologne. 

Grand fut rétonnement quand, vers la fin de 1835, immédiatement 
après la mort de M. Spiegel, on apprit que le gouvernement avait fait 
signifier au chapitre métropolitain que le roi venait de nommer à ce 
poste éminent ce Clément-Auguste, jusqu'alors vicaire-général du 
diocèse de Munster, homme vertueux, d'une fermeté rare, d'une 
constance inébranlable, d'un zèle ardent, d'une piété aussi exemplaire 
qu'éclairée, d'unecharité sans bornes e', avec tout cela, d'une simpli- 
cité de mœurs touchante et d'une douceur vraiment évangélique. 
On se refusait d'abord d'y ajouter foi, tant une telle nouvelle venait- 
elle inespeiée; aussi, la confirmation venue, chacun se demandait : A 
quoi devons-nous celte heureuse nouvelle? Serait-il survenu un 
changement dans le Conseil du roi? Hélas, il s'agissait moins d'un 
changement de système que du triomphe momentané d'une influence 
salutaire, mais que nous verrons bientôt tomber sous les coups 
redoublés de la bureaucratie prussienne, seule et véritable régente 
en Prusse. En un mot, cette nomination était due à l'influence du 
prince royal qui, dans un voyage récent, avait été témoin du déchaî- 
nement contre le détenteur actuel du siège archiépiscopal et qui, avec 
la pénétration d'esprit qui le distinguait, avait reconnu qu'il serait 
temps de changer l'état des choses. Malheureusement que ce prince, 
que caractérisait également un manque absolu de fermeté, ne put 
réussir à faire accepler aussi les conséquences de cette nomination, 
à fa ire accepter un changement des procédés jusqu'alors en usage en vers 
l'église. Sans cela, la nomination était un non-sens qui devait 
appeler des conflits. 

En attendant, la plus grande joie régna dans tout le diocèse et 
éclata surtout au jour de l'installation qjii coïncida justement avec la 
fête de l'Église, fête que M. Spiegel venait de supprimer, comme il 
avait supprimé toutes les autres fêtes, processions, etc., où la religion 
se montrait comme ayant passé dans la chair et le sang du peuple 
rhénan. C'était surtout le clergé de paroisse qui s'approchait avec une 
entière confiance du nouvel archevêque, tandis que le haut clergé, 
composé par les soins de M. Spiegel et connaissant mieux le vrai état 
des choses, se montrait ou malveillant ou appréhendé ;appréhensious 



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— 90 — 

qui d'ailleurs n'étaient pas tout à fait dénuées de fondement, car si 
nous disions là-haut que la nomination de Clément-Auguste, sans 
changement simultané de système, devait appeler des conflits, nous 
ne nous sommes pas exprimé assez correctement : au lieu de dire 
« devait appeler des conflits » nous eussions dû dire « devait trou- 
ver des conflits, » puisque ces conflits subsistaient depuis longtemps 
(voir la publication du président supérieur de la province, du 
l"mars!819), que déjàils s'étaient élevés sous les vicaires-généraux, 
administrateurs des diocèses avant M. Spiegel, bien qu'ils avaient été 
temporairement et forcément supprimés par ce dernier. Ils roulaient 
surtout sur deux points : sur l'instruction de la jeunesse, notam- 
ment celle des jeunes ecclésiastiques, et sur l'éducation religieuse 
des enfants issus de mariages mixtes. 

Nous avons vu dans le chapitre précédent l'état de nos écoles supé- 
rieures, nous avons vu leur organisation, leur esprit, leur discipline. 
Eh bien ! c'étaient précisément ces écoles qu'un arrêté du 26 oc- 
tobre 1826 avait déclarées obligatoires pour les jeunes gens qui se 
destinaient au service de l'autel. Et il y avait de quoi; car si les pro- 
fesseurs des autres facultés étaient protestants, ceux de la faculté de 
théologie étaient des hermesiens, dont les écrits, ainsi que nous 
venons de dire, allaient être condamnés par le Saint-Siège (26 sep- 
tembre 1835). Ce ne fut donc qu'une conséquence inévitable de cette 
condamnation que le nouvel archevêque fit demander aux professeurs 
de cette faculté un revers de ne prendre lesdits écrits et principes 
hermesiens pour point de départ de leur doctrine. 

La plupart des professeurs furent repentants et prêts à donner le 
revers demandé, lorsque le curateur de l'université, par les mains 
duquel devaient passer tous leurs écrits, s'opposait non seulement à 
la délivrance de ce revers, mais à toute communication avec l'arche- 
vêque et cela sous peine de cassation immédiate. Il ne restait donc à 
l'archevêque d'autre parti à prendre que de refuser son approbation 
aux leçons de ces professeurs et de retirer la « cura a imarum » à 
deux d'entre eux qui étaient les chefs de la nouvelle secte (laquelle, 
dans sa doctrine, voulait expliquer la religion par la seule raison). 
Cette démarche lui fut imputée comme « excès de pouvoir, » le gou- 
vernement tirant ce texte du statut de l'université : t Le catalogue 
des leçons de la faculté de théologie sera soumis à l'examen et à l'ap- 
probation de l'archevêque;» la conclusion que celui-ci aurait seule- 
ment le droit d'approuver mais non celui de réprouver et prétendant 
en outre, que le bref pontifical condamnant les écrits de Hermès ne 
devait être invoqué puisqu'il n'avait pas reçu le» placet . »du gouver- 
nement. 









— 9i 

On lui imputa également, comme excès de pouvoir, un changement 
intenté dans sou séminaire archiépiscopal. 11 avait été convenu entre 
M. Spiegel et le gouvernement que les élèves n'y devaient être gardés 
que pour la durée d'un an. Clément-Auguste, reconnaissant qu'un si 
court séjour ne pouvait suffire pour l'examen de la doctrine, de la vie 
et des mœurs d'élèves placés dans tout autre temps sous une influence 
contraire, voulut le portera deux ans et, de plus, changer la per- 
sonne de l'examinateur, fort suspect d'hérésie, ce à quoi le gou- 
vernement s'opposa de toutes ses forces en lui contestant la faculté 
d'opérer le moindre changement dans son séminaire sans le con- 
sentement express du gouvernement. 

Nous avons examiné, dans ledit chapitre sur l'Instruction supé- 
riewe, les instituts d'instruction dits « mixtes » ou « n'ayant aucun 
égard à la confession ; » nous y avons vu que ces établissements 
n'étaient autres que des établissements purement protestants et 
que ces phrases ne servaient qu'à déguiser l'empire exclusif du pro- 
testantisme. Il ne pouvait donc manquer que le nouvel archevêque 
s'en alarmait, ce qu'il ne témoigna cependant que par une abstention 
complèle d'y coopérer de sa part, notamment par le refus de dési- 
gner des aumôniers pour ces sortes d'instituts, refus qui lui fut éga- 
lement imputé comme t abus de la grâce royale » (singulier délit !) 
eomme « violation des lois d'Etat, « contre laquelle le gouvernement 
eût dû sévirselon le Gode « si, » ainsi qued isait textuellementune publi- 
cation du minisire des cultes, en date du 15 novembre 1837, « la 
clémence du monarque le plus clément n'eût pas voulu lui laisser le 
temps de s'amender. » 

Nous n'irons pas plus loin pour les affaires d'école, passons'à celles 
des mariages mixtes. Mais comme assurément on aura peine de croire 
ce que nous avons à direà cet égard, tâchonsde ne parler qued'après 
« l'Exposé officiel et authentique des faits qui ont précédé et suivi 
l'arrestation de Clément-Auguste, i publié par le Saint-Siège en date 
du 4 mars 1838 et dont voici la substance : 

« Ce fut le 17 août 1825, immédiatement après l'installation de 
M. de Spiegel à l'archevêché de Cologne, que le roi fit publier une 
ordonnance que tous les enfants issus de mariages mixtes devaient 
être élevés dans la religion du père et que les promesses données an- 
térieurement par les époux pour assurer une autre éducation seraient 
regardées comme non-avenues. » Cette ordonnance défendait encore 
sévèrement aux curés catholiques d'exiger de telles promesses. 

Bien que celle ordonnance fût en elle-même d'une rigueur 
extrême, on ne se borna pas dans la pratique à leurs dispositions 
mais on exigea, et nous verrons plus tard par quels moyens, du clergé 



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- 9» — . 

catholique de bénir, sans scrupule et hésitation, tout mariage mixte 
qui se présenterait. 

Ce fut alors qu'après de longs pourparlers du gouvernement prus- 
sien avec le Saint-Siège, le pape promit d'accorder les pleins-pouvoirs 
les plus étendus et de permettre la pratique la plus, indulgeate sur la 
demande directe et motivée des évèques. En conséquence, l'arche- 
vêque de Cologne et ses suffragants sur les instigations du gouverne- 
ment s'adressèrent en ce sens à Sa Sainteté qui, parle bref pontifical 
du 25 mai 1830 et l'instruction y ajuutee, adhérait à leurs demandes. 
Ce bref, dans lequel le pape, ainsi qu'il le déclarait lui-même, était 
allé jusqu'aux dernières limites de son pouvoir, permettait non seu- 
lement de suffire parfaitement aux dispositions de l'ordonnance 
royale, en ce qu'il consentait à la publication des bans de tout ma- 
riage mixte et qu'il validerait ceux conclus devant les ministres pro- 
testants, mais encore aux exigences ultérieures du gouvernement, en 
autorisant même les curés de conclure aussi des mariages mixtes sans 
promesse, mais en n'y assistant que passivement, c'est-à-dire en 
recevant simplement et sans cérémonies les déclarations des époux. 

Mais tel ne fut pas le désir du gouvernement, qui voulait voir cé- 
lébrer ces mariages (au moyen desquels il espérait parvenir plus 
promptement à la borussifleation du pays) avec toute solennité pos- 
sible, pour faire tomber l'aversion du peuple à leur égard. Aussi le 
bref ne fut-il pas publié mais, à l'avènement de Grégoire XVI, remis 
à ce pape pour obtenir de lui des changements dans le sens que nous 
venons d'indiquer. Mais ce pape aussi ne put que déclarer qu'il n'était 
pas de sa puissance d'aller plus loin et que le bref devait être publié 
comme il était ou ne pas être publié du tout. Sur cela, le ministre 
plénipotentiaire de la Prusse annonçait (août 1834) que le bref avait 
reçu « le placel » du gouvernement et qu'il était en voie d'exécution. 

Comment cette exécution se fit, cela nous apprend une note confi- 
dentielle du cardinal-secrétaire d'État, M. de Lambruschini, en date 
du 15 mars 1836 et qui commence par dire : 

i II n'y a pas longtemps que Sa Sainteté a été informée, et cela d'une 
manière qui, raisonnablement, ne permet aucun doute, qu'il existe 
une communication secrète au plutôt une instruction du feu M. Spiegel, 
archevêque de Cologne, sur l'exécution du bref de Pie VIII, de glo- 
rieuse mémoire, et de l'instruction y ajoutée du cardinal Albani, con- 
cernant le sujet important des mariages mixtes. Celle communication 
secrète tendant à dénaturer le sens et à altérer la substance de ces do- 
cuments et à détruire les bases et principes sur lesquels ils reposent 
(questa segreta comunicatione, lac[uale è diretla à travisare il senso 
di quel documenti, ad altérante la sostanza ed à destruggere le massime 



■M 



— 93 — 

sulle quali poggiano), elle n'a pu manquei" "d'attirer l'attention du 
saint-père qui, obligé par les devoirs de son saint office, a cru ne pas 
devoir se taire, etc., etc. » 

Ici « pour faire ressortir la nature et la mauvais' foi de cette com- 
munication secrète » (per ben comprendere la nalura et la mala fede 
deU'accennata segreta comunicazione), la note donne un aperçu 
comparatif du bref et de l'instruction de M. Spiegel et, après avoir 
fait remarquer que la véritable instruction, annexe du bref, n'avait 
pas été publiée, elle finit par dire « que malgré l'assurance positive 
des informations reçues, Sa Sainteté voulait encore se refuser à croire 
que cette communication ou inslruction secrète de M. Spiegel « soit 
le résultat d'une conférence entre celui-ci et M. le plénipotentiaire lui- 
même. > 

A cette note, le ministre plénipotentiaire de la Prusse répondit par 
une note (t5 avril 1836) dont on ne sait vraiment que dire. C'est 
que non seulement il y nie, de la manière la plus positive, l'existence 
de cette communication secrète (qui non seulement existait, mais qui 
de plus était le résultat d'une convention en forme, conclue le 
i9 juin 183-i entre M. le plénipotentiaire et M. Spiegel) et toute part 
que le gouvernement y pourrait avoir eue, mais qu'il y reconnaît 
même parfaitement le grand blâme auquel le gotivernment s'expose- 
rait s'il en était ainsi, et tout cela dans les termes que voici : 

« Car le soussigné n'hésite point à déclarer, de la manière la moins 
équivoque, que si les appréhensions de Sa Sainteté fussent fondées, 
si les accusations portées devant Elle contre son gouvernement 
étaient autre chose que des émanations de l'ignorance ou de la malice, 
il y avait, de la part du gouvernement de Sa Majesté non seulement 
du tort, mais une injustice criante et une violation d'engagements so- 
lennels; mais il a la satisfaction de pouvoir déclarer que l'existence 
même de la prétendue instruction est absolument impossible, puis- 
qu'elle ne pourrait exister sans que le gouvernement, et par consé- 
quent le soussigné, en fût instruit. 

» Puis après avoir nié personnellement toute participation, à part 
i d'avoir reçu des mains de l'archevêque un rapport des évêques 
constatant leur reconnaissance pour la publication du bref, » le mi- 
nistre finit par renvoyer aux rapports ad limina des évêques, qui ne 
tarderaient pas d'arriver et qui certes achèveraient de tranquilliser la 
conscience de Sa Sainteté. » 

Ces rapports, datés du mois de septembre 1836, arrivaient en 
effet, mais, malheureusement pour les assertions du ministre prus- 
sien, disaient peu de l'affaire dont il s'agissait. Le nouvel archevêque 
de Cologne, ainsi que ses suffragants.ne firent que remercier Sa Sain" 






— 94 — 

teté d'avoir donné le bref en assurant que, quant à eux, ils tâche- 
raient de l'exécuter < autant que les circonstances le permettraient. » 
Ils furent tous communiqués à Sa Sainteté par une note du 15 jan- 
vier 1837, dans laquelle M. le plénipotentiaire s'efforee de les expli- 
quer dans un sens favorable à son gouvernement et par laquelle 
il réfute solennellement : 

• Certaines calomnies aussi noires que méprisées, d'un journal 
belge qui, avait osé dire que ces rapports étaient dictés et même 
extorqués par le gouvernement et qu'ils étaient bien loin d'exprimer 
les vrais sentiments des évèques. » 
Après quoi il continue et textuellement : 

« Il parait au soussigné que l'Eglise catholique aurait cessé d'exis- 
ter en Allemagne, si des documents signés par les évèques, et par de 
tels évèques, adressés à un souverain pontife qui veille avec tant de 
zèle et de soins sur les destinées de son église et qui, en peu de 
semaines, peut avoir des renseignements directs de ces contrées, 
remis enfin avec toute la solennité sacrée d'une note officielle, pou- 
vaient contenir un mot, une syllabe qui ne découlât de l'âme et de la 
conscience de ces prélats et qu'ils ne seraient prêts à maintenir à toute 
épreuve. » 

Ensuite le ministre ne doute pas « que Sa Sainteté ne voudra voir, 
dans le contenu et dans l'accord parfait de ces rapports, qu'un sujet 
de consolation et de réjouissance • et finit par déclarer « positivement 
formellement et irrévocablement que, forts de ces documents, 
Sa Majesté, son roi, ne pourrait jamais consentir à ce que l'affaire des 
mariages mixtes puisse former le sujet de nouvelles discussions 
entre son gouvernement et le Saint-Siège. » 

Mais ce qui était sûr, c'est que ces rapports étaient bien loin d'être 
un sujet de consolation pour le pape et que moins encore ils étaient 
la vraie expression des sentimenls des évèques, ainsi que cela résulte 
d'une lettre de l'évèque de Trêves, écrite sur son lit de mort, le 10 no- 
vembre 1836, et parvenue par un autre chemin et plus vite que le 
rapport officiel à Sa Sainteté, laquelle lettre portait textuellement : 

« Ce fut uniquement sur l'instigation du roi de Prusse que feu 
l'archevêque de Cologne, moi et les évèques de Munster et de Pader- 
born, ses suffragants, nous nous adressâmes à Sa Sainteté Léon XII, 
de glorieuse mémoire, pour le prier de prononcer, dans un sens mo- 
déré, sur la question pendante des mariages mixtes. Ce pape, enlevé 
prématurément par la mort, devait laisser le soin de répondre à son 
successeur Pie VIII, de glorieuse mémoire, lequel, par le bref du 
25 mars 1830, adhérait à nos demandes. Mais ce bref ne venait pas à 
notre connaissance, puisqu'il ne répondit pas aux vues et désirs du 






— 95 — 

roi qui, après un délai de trois ans (en 1834), fit mander à Berlin 
M. Bunsen, son ministre plénipotentiaire à Rome et l'archevêque de 
Cologne, M. Spiegel, pour régler l'affaire d'après ses volontés. Ces 
trois, le roi, M. Bunse7i et M. Spiegel, opérèrent entre eux, sans que 
d'autres évèques eussent été consultés, et finirent par donner au bref 
une interprétation plus indulgente qu'il ne fui permis; de ladite inter- 
prétation, ils firent l'objet d'une convention en forme. Cette convention 
conclue, le roi envoyait M. Spiegel auprès de ses suffragants, pour les 
déterminer à y adhérer. Moi, pour le bien de la paix et pour éviter de 
plus grands maux qu'on me fit clairement entrevoir^ je m'y lais- 
sais gagner et signais l'instruction annexée à ladite convention, 
laquelle instruction je m'empresse de mettre devant les yeux de 
Votre Sainteté. 

» Mais aujourd'hui où, saisi d'une maladie douloureuse, en vue de 
ma mort prochaine et près de paraître devant le juge éternel, je vois, 
éclairé de la grâce divine, que de cette démarche doivent résulter 
les plus grands maux pour l'Eglise, vu que j'ai violé les canons 
et principes de cette Eglise, je révoque, poussé par le repentir, mais 
librement et de mon propre mouvement, tout en quoi j'ai manqué et 
erré dans cette importante affaire. 

» Sur cela, couché aux pieds de Votre Sainteté, etc., etc. » 

Aussitôt celte lettre reçue, le pape s'empressa de la faire mettre 
sous les yeux du roi de Prusse; mais tandis qu'il attendit à si juste 
titre que ce monarque porterait remède aux embarras si clairement 
révélés des évêques, une nouvelle d'une toute autre nature devait le 
surprendre. Nous donnons l'événement d'après l'allocution du Saint- 
Père, tenue au consistoire secret du tO décembre 1837: 

« Nous nous plaignons de l'injure très-grave faite à notre véné- 
rable frère Clément-Auguste, archevêque de Cologne qui, après avoir 
été violemment, etavecemploi de la force armée, chassé de son siège, 
vient, par ordre du roi, d'être interdit de ses fonctions épiscopales et 
transféré dans un lieu sur. Cette grande calamité ne le frappait que 
parce que, bien que toujours prêt de donner à César ce qui est à 
César, mais fidèle à son serment de conserver intactes la doctrine et 
la discipline de l'Eglise, il ne pouvait, dans l'affaire importante des 
mariages mixtes, suivre d'autre règle que celle tracée par le bref de 
notre prédécesseur PieVIH, de glorieuse mémoire, en date du 25 mars 
1830, par lequel bref, dans son indulgence extrême, le Saint-Siège était 
allé si loin que, dans le vrai sens du mot, il avait atteint la limite et la 
surpasser eût été un crime. Vous ne savez que trop que ledit, notre 
prédécesseur, ne fut amené à cette mesure d'indulgence que par la 
nécessité d'empêcher des maux plus grands encore et qui devaient 



-96- 

inévitablement résulter des menaces du pouvoir civil. Qui au- 
rait donc cru possible qu'une décision pontificale si condescendante 
et qui avait été plus d'une fois acceptée par le ministre de la Prusse, 
eût pu être exécutée dans un sens tout contraire aux intentions de 
l'auteur et aux principes inaltérables de l'Eglise. Mais ce que per- 
sonne n'aurait pu. s'imaginer, ce que de soupçonner seulement eût 
été un crime, voilà ce qui a eu lieu sur l'instigation arlificieuse du 
pouvoir civil {idartificioso saccularù potetsatis impulsu factum est). 

«Aussitôt après l'avoir appris, nous ne tardâmes pas à formuler nos 
plaintes et à aéclarer que notre devoir nous appelait d'avertir les 
fidèles, afin qu'ils ne crussent émané du Saint-Siège ce qu'il ne peut 
que hautement condamner. Et lorsqu'il nous y fut répondu comme 
si nos plaintes étaient sans fondement, il nous arriva une autre lettre 
d'un prélat de ces contrées qui, du lit de sa mort, au moment de 
paraître devant le juge éternel, nous envoyait une copie de ces 
instructions données par les évéques sur l'instigation du pouvoir 
civil et qui nous déclarait en même temps que, éclairé par la grâce 
divine, il voyait de ses démarches résulter les maux les plus 
grands pour l'Eglise, voyait que leurs canons et principes étaient 
lésés et qu'il révoquait de sa libre volonté et de son propre mouve- 
ment les erreurs auxquelles il avait participé. Nous nous hâtâmes 
d'envoyer tout de suite copie de celte lettre à S. M. le roi de Prusse 
et de faire transpirer de plus en plus que nous réprouvions bâille- 
ment l'interprétation et l'exécution données au bref comme étant 
toutes contraires à son sens et aux principes et canons de notre Mère 
la Sainte-Eglise. 

» Mais, et nous le disons avec tristesse et accablé de douleur, tout 
à notre insu, et tandis que nous nous attendions à une réponse satis- 
faisante de la part dudit roi, l'ordre fut intimé à notre vénérable' 
frère, l'archevêque de Cologne, d'exécuter ledit bref dans le sens que 
nous venions de condamner ou de se démettre de ses fonctions. Et 
lorsque celui-ci, comme de raison, résistait à ces demandes injustes, 
le fait que nous avons signalé là-haut fut immédiatement mis en 
œuvre, encore ne fut-ce que le 1" de ce mois que le ministre de 
Prusse nous annonçait comme prochain ou comme étant sur le point 
d'arriver, ce qui déjà avait eu lien le 21 du mois passé. Nous 
avons donc cru de notre devoir d'élever notre voix pour protester 
contre l'attentat inoui fait à la liberté de conscience, à la dignité épis- 
copale et à la juridiction spirituelle, et pour donner en même temps 
les éloges bien mérités de cet homme signalé par toutes vertus à 
l'archevêque de Cologne, d'avoir si vaillamment et au sacrifice de sa 






— 97 — 

liberté défendu les droits foulés aux pieds de notre Mère l'Église. 
Sur cela, etc., etc. » 

L'effet que cette arrestation fit sur notre population et l'appareil 
militaire déployé en cette circonstance nous étant dépeints par 
M. A. Dumas, nous n'avons qu'à compléter son récit par rémunéra- 
tion de certaines mesures d'un aulre genre, telles que celles-ci : Or- 
ganisation d'un service spécial de police pour les provinces du Rhin; 
défense absolue intimée au clergé de s'abstenir de toute allusion aux 
affaires pendantes ; procédure sommaire en affaires de tumulte et de 
résistance en cas d'arrestations; érection d'une Cour prévotale pour 
délits politiques et religieux ; exclusion de la publicité dans toutes 
les procédures, même civiles, qui pourraient donner lieu à des débats 
religieux; défense de toute correspondance avec l'archevêque, saisie 
des journaux étrangers ; défense de tout discours funèbre ; détention 
immédiate dans une forteresse, sans jugement ni sentence, de qui- 
conque divulguerait les mandements et allocutions du Saint-Père, etc. 
(Message royal du 8 mai 1835, ordonnances royales des 17 août et 
15 octobre 1835, 30 septembre 1836, 25 février et 24 décembre 1837; 
9avril 1838, arrêtés des 15 et 24 novembre 1837, 6 octobre 1842, etc.) 
Et avec tout cela, notre Diète n'est pas convoquée, la presse sous le 
régime de la censure, la frontière hermétiquement fermée, le haut 
clergé sans considération, composé comme il fut par les soins de 
M. Spiegel, et l'administration du diocèse dans les mains d'un cer- 
tain M. Husgen, élève de M. Spiegel, et dont il suffit de dire que le dis- 
ciple surpassa le maître : voilà la situation de notre pays en ces 
temps-ci. 

Une seule consolation nous restait ; l'attitude digne et ferme du 
Saint-Siège. 11 est vrai que les yeux lui étaient désilles et qu'il s'était 
déroulé devant lui un système de mensonge jusqu'alors jugé impos- 
sible. Nous avons fait mention déjà de plusieurs textes de notes 
prussiennes et y avons vu avec quelle certitude et dans quels termes 
le ministre prussien, dans sa note du 15 avril 1836, avait osé niei-une 
convention que lui-même avait signée, comme partie contractante, le 
19 juin 1834. Nous avons la haute satisfaction de pouvoir constater 
qu'en présence de ces faits, la cour de Rome refusa toujours catégo- 
riquement de rentrer en relation d'affaires avant que Clément- 
Auguste ne fût mis en liberté, le pasteur ne fût rendu à son troupeau. 

Sur ces entrefaites, Fredéric-GuillaumelII mourut. Les sentiments 
sincèrement religieux de son successeur devaient faire espérer 
un changement dans l'état des choses. Sa seule apparition et avec elle 
la certitude qu'une opposition en matière de religion ne présenterait 
plus d'avantages, suffisait pour faire disparaître la coterie des her- 



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l*S3 









- 9 8 - 

mesiens qui, a.nsi que disait si justement un auteur contemporain, 
«ne se composait que de gens indifférents en religion, serviles en 
politique et ne connaissant d'aulre moral que le catéchisme de 
l'égoïsme. » Elle s'effaça, en effet, si promptement que depuis on n'en 
entendait même plus parler. Un différent sur les mariages mixtes 
n'existait plus qu'en théorie, puisque en pratique il n'y avait pres- 
que plus de ces mariages du tout. 

Néanmoins, un accomodemenl final se fît encore attendre et il fal- 
lut bien que deux remontrances des plus énergiques de notre Diète 
(session de 1841) vinssent en aide aux dispositions bienveillantes du 
souverain. Ce retard provenait, le lecteur le pense bien, de la 
résistance de la bureaucratie prussienne que nous avons déjà dit être 
la seule et véritable régente de l'Etal. Chose étrange et qui étonnera 
certes nos lecteurs français, qu'un roi qui se montrait si franchement 
absolu et autocrate dans tous ses autres actes, l'était si peu dans une 
affaire qui lui tenait personnellement au cœur et que, intimidé par 
les hauts cris de la bureaucratie qui appuya surtout sur les dangers 
pour le système d'éducation prussien, ce roi n'osait même pas 
réintégrer son ancien protégé qu'il se contentait de mettre en liberté, 
tout en sollicitant à Rome la nomination d'un eoadjuteur sous pré- 
texte de l'âge avancé du titulaire. 

Ce eoadjuteur se trouva dans la personne d'un professeur récem- 
ment annobli, M. de Geissel, lequel fut installé eoadjuteur et admi- 
nistrateur du diocèse en 1842 et puis (1845) après la mort de Clément- 
Auguste, archevêque. En même temps, le siège épiscopal de Trêves 
reçut un titulaire. 

L'administration de M. de Geissel a donné lieu à beaucoup de 
plaintes de la part du clergé et si, ainsi que cela s'était pratiqué pour 
M. Spiegel (arrêté du 11 mars 1825), la police ne devait plus intervenir 
pour lui assurer les hommages dus à son rang, sa personne n'était 
nullement considérée dans le public. Peut-être sa vie privée, qui 
contrastait singulièrement avec la charité et l'affabilité de Clément- 
Auguste, y était-elle pour beaucoup. 

Il va sans dire que sous lui les institutions de M. Spiegel étaient à 
l'abri de toute attaque; cependant il faut lui rendre cette justice que 
tout en laissant les jeunes théologiens fréquenter les écoles prus- 
siennes, il s'efforça de les préserver un peu de certaines séductions que 
présentaient ces écoles universelles, en réunissant après les heures de 
leçons ceux d'entre eux qui voulaient en profiter, en des établisse- 
ments particuliers où leur vie et mœurs étaient plus particulièrement 
surveillées. Pour le reste, il laissait tout à sa place, continuant tou- 
jours de faire prier pour le roi, la reine, les princes et toute la mai- 






— 99 — 

son royale ainsi que pour tous ceux t qui professeraient un attache- 
ment sincère pour cette honorable maison « (fur aile die diesem hohen 
Hause zugelhan sind) et laissant tranquillement subsister la fête 
scandaleuse « des prières et de pénitence » que les hautes classes 
appellent simplement « la fête de saint Frédéric-Guillaume III, » 
mais que le commun du peuple connaît sous une dénomination plus 
significative encore, sous une dénomination faisant allusion à la der- 
nière maladie de ce roi. Cette fête avait été instituée par M. Spiegel 
en remplacement de la fête de l'Assomption que le peuple continuait 
à solenniser comme fête de l'empereur. En supprimant cette fête, 
M. Spiegel, selon sa proclamation, n'avait en vue que de mettre un 
frein à la fainéantise et à la dissipation des classes ouvrières, tandis 
que le gouvernement, plus sincère en celte occasion, l'attribuait dans 
la sienne aux inconvénients politiques qu'elle faisait naitre. (Arrêté 
du préfet d'Aix du 20 mai 1829.) 

En 1848, 376 membres du clergé diocésain s'adressèrent à Sa Sain- 
teté pour se plaindre de la partialité de M. de Geissel et de ses com- 
plaisances pour le gouvernement, ce qui ne l'empêchait cependant pas 
d'envoyer aux curés (ou du moins à quelque uns-uns d'entre eux) un 
rescrit du ministre des cultes, en date du 1" octobre 1851, portant 
< que tous les avancements, secours et distinctions à accorder aux curés 
dépendraient surtout de leur zèle pour les écoles prussiennes. » En 
supposant la dernière hypothèse, l'envoi à quelques-uns des curés 
seulement, nous devons remarquer que cet usage de partiel envoi 
ne date pas d'hier, mais qu'il est déjà longtemps pratiqué dans l'admi- 
nistration diocésaine de ce malheureux pays, où nous trouvons déjà 
une circulaire de l'administrateur diocésain pendant la captivité de 
Clément-Auguste, en date du 20 mars 1839, qui enjoint aux curés 
« de favoriser en toute sorte et par tous les moyens, mais surtout au 
moyens de la catécfièse, la fréquentation des écoles prussiennes et de 
refuser même la première communion aux enfants qui ne fréquente- 
raient ces écoles; » laquelle circulaire porte en forme de post- 
scriptum : € Cette circulaire ne sera envoyée qu'à quelques-uns des 
curés pour en faire un usage discret et précautionné » (zur discreten 
und amtsklugeu Behandlung). 

Ce qui est singulier et digne de remarque, c'est que le haut clergé, 
qui, sous Clément-Auguste s'était montré si mou dans la défense des 
droits de l'Église, se montrait, grâce au mépris bien marqué et tou- 
jours croissant qui suivit jusque dans la tombe certains de ses mem- 
bres dont la conduite avait été un peu équivoque, se montrait, 
disons-nous, dans les dernières années de M. de Geissel, animé d'un 
•out autre esprit, de sorte que, à la mort de ce dernier (1864) le cha- 



^H 






— K3Q — 

pitre métropolitain, se souvenant pour la première fois de ses pré- 
rogatives, déclarait vouloir user de son droit d'élection. En consé- 
quence, il présenta cinq candidats, dont, ainsi que nous l'avons dit 
au commencement, aucun ne fut approuvé par le roi qui, après deux 
ans de négociations, parvint cette fois encore à obtenir l'institulion 
canonique pour un candidat directement proposé par lui. On se sou- 
viendra sans doute qu'un article fort remarqué d'un journal français 
dénonçait cette nomination comme extorquée par un ultimatum de 
M. de Bismark, assertion qui reçut un démenti des plus formels par 
le Giornate de Rome. Pour nous, nous croyons ce démenti fondé et 
pensons qu'il faudra chercher la source de cette nomination dans 
certaines stipulations du concordat de 1821, concordat qui, ainsi 
quenous l'avons dit ci-contre, ne fut jamais publié et dont, en l'annon- 
çant, le Moniteur prussien (11 août 1821) exprimait son contentement 
en termes que voici : 

« Ce que nous venons de conclure n'est pas un concordat dans le 
» sens que l'on veut bien donner généralement à ce mot, le roi ne 

• pouvant pas abandonner et n'ayant pas en effet abandonné la plé- 
» nitude de ses droits en matière de religion. Tous les fidèles sujets 
» du roi peuvent donc se féliciter d'une œuvre qui est si particulière- 

• ment dû à la haute sagesse du roi, etc., etc. ► 

Malgré cela, ce concordat ou cette convention ne fut-elle pas exé- 
cutée par la partie qu'elle satisfit le plus, comme le prouvent plu- 
sieurs plaintes et remontrances de notre Diète dans presque toutes 
ses sessions. 

Faudra-t-il nous occuper longuement de ces plaintes ? Faudra-t-il, 
après ce qui précède, nous occuper encore de plaintes secondaires, 
de griefs de second ordre? Faudra-t-il parler enfin d'intérêts pour ainsi 
dire matériels, meltre en parallèle par exemple la dotation plus que 
suffisante du haut clergé avec l'impossibilité d'obtenir la moindre 
chose pour les églises elles-mêmes, avec l'impossibilité absolue 
d'obtenir seulement un traitement pour les curés, du grand nombre 
de succursales érigées toutes sur les frais des seules communes? — 
Nous pensons que non, et qu'il suffira parfaitement de dire que, 
d'après un livre de statistique publié par le gouvernement, les 
communes d'un seul arrondissement communal, celui d'Aix-la-Cha- 
pelle, ne dépensèrent en treize années, de 1848 à 1861, pas moins 
que 3,838,600 francs pour constructions d'églises, tandis que le gou- 
vernement n'a contribué à ces bâtisses que pour une somme de 
184,000 francs, destinée en partie pour la construction d'églises et 
de presbytères prolestants, et que des 33 curés de succursales érigées 
à cette époque, aucun n'a obtenu le moindret raitement de l'État. 



fc**i 






— TOI — 

Le nouvel archevêque, M. Melchers, est jugé diversement. Les uns 
voudraient bien l'accuser également de complaisance pour le gou- 
vernement, en lui reprochant surtout un mandement récent qui 
défend au clergé toute agitation politique et qui lui recommande une 
abstention complète dans les élections publiques. II est reconnu qu'il 
a été engagé à cette démarche par le gouvernement. Cependant il 
nous parait qu'engagé ou non, c'eût été une démarche utile en elle- 
même, puisque cette prescription est l'application rigoureuse de la 
maxime de Clément-Auguste, exprimée si clairement dans son 
livre excellent : De la paix entre les Etats et l'Eglise, où il ne fait 
que recommander aux ecclésiastiques « de ne se mêler en rien des 
affaires publiques, cette conduite étant le meilleur moyeu d'empêcher 
le gouvernement de se mêler des affaires de l'Église. » 

Mais si les uns blâment M. Melchers, d'autres aussi lui recon- 
naissent une fermeté de caraclère et une audace peu ordinaires, 
audace dont il fit preuve en déclarant fausse une signature que le 
préfet de Cologne avait daigné faire apposer en son nom au bas d'un 
certain appel à la bienfaisance pour les blessés de 1866, et en faisant 
ses réserves au serment fameux qu'on demande aux évéques et qui 
est conçu en des termes que voici : 

« Je jure d'être toujours lidèle, obéissant, soumis et dévoué à 
S. M. le roi de Prusse, mon anguste maitre; je jure de me vouer 
de mon mieux à ses intérêts et d'empêcher, autant qu'il est en moi, 
tout ce qui pourrait y être contraire; je tâcherai surtout d'éveiller 
dans le cœur des ecclésiastiques et des fidèles les sentiments d'un 
vrai attachement au roi et l'amour de la patrie ; je jure encore de 
ne pas tolérer qu'on enseigne d'autres principes ou qu'on agisse 
en sens contraire. 

» Tout eu particulier, je promets de n'avoir, soit au dedans, soit 
au dehors, aucuns rapports ou intelligences qui pourraient être 
contraires à l'ordre public et s'il venait à ma connaissance que, 
dans mon diocèse ou ailleurs, il se tramait quelque chose au pré- 
judice de l'État, je jure de le révéler au gouvernement de Sa Mnjesté. 
Et tout cela, je le jure et promets, ayant l'intime conviction que 
ce serment n'a rien de contraire à celui que j'ai prêté à Sa Sainteté 
et à l'Église. » 

Lors des dernières annexions , on exigeait ce même serment 
de tout le clergé du pays de Nassau qui ne s'en scandalisa pas peu et 
qui trouvait surtout singulier que celle phrase t s'il venait à ma 
connaissance, etc., » ne se trouvait pas dans le serment des pasteurs 
protestants. Sans doute, ces messieurs ne connaissaienl-ils pas l'ar- 
ticle 82 du litre XI du Code prussien, lequel dit textuellement : 

7 













— 102 — 

t En tant que la révélation d'un fait confié sous le secret du confes- 
sional est nécessaire pour la sûreté de l'Etat, le prêtre est tenu de Ir 
divulguer à Vautorité compétente. » 

A côté de ce serment, nous ne devons pas passer sous silence le 
fameux règlement pour les églises militaires, qui date du 11 février 
1832 et qui, dès son apparition jusqu'à ce jour, fut l'objet de plaintes 
éternelles. Nous le donnons d'après une analyse qu'en fit, en 1845, 
notre Diète, lors d'une protestation solennelle contre une si flagrante 
violation de la parité confessionnelle, garantie par les lois fondamen- 
tales de notre pays. 

» Les dispositions de ce règlement sont bien simples pour les 
temps de paix et se bornent à la seule stipulation qu'il n'y aura que 
des aumôniers protestants (art. 1-5) et que, pour les besoins religieux 
des catholiques, il sera pourvu par un des curés de la localité, ou, à 
son défaut, par le curé le plus voisin qui sera tenu de faire une visite 
deux fois l'an (art. 58). 

En temps de guerre, il est procédé à la nomination d'aumôniers 
catholiques; cette nomination a lieu, après communication avec 
l'évèque, par le consistoire protestant (art. 20), auquel ils sont subor- 
donnés, qui peut les suspendre de leurs fonctions et dont ils reçoivent 
tous les ordres, y compris ceux qui concernent la conduite spirituelle, 
lesquels derniers ordres cependant ne leur parviendront que par 
l'intermédiaire des évéques (art. 28). 

Ce sont (art. 16) les seuls aumôniers protestants qui tiennent les 
registres de l'état-civil ; par conséquent (art. -Il) tout aumônier ou 
tout prêtre catholique qui bapti era un enfant, etc., devra en faire le 
rapport à l'aumônier protestant, afin que celui -ci le transcrive 
sur les registres. Le règlement, du reste (art. 34), ne connaît 
qu'une seule église (paroisse) militaire, celle protestante, et dans 
laquelle sont incorporés! (art. 38) tous les officiers, sous-oflîciers et 
soldats du corps, ainsi que les membres de leurs familles, de quelque 
confession qu'ils soient. 

La célébration des mariages mixtes est réservée à l'aumônier de 
la confession de l'époux (le pourquoi est facile à deviner, dit ici le 
rapport de la Diète) ; de même pourront les survivants faire inhu- 
mer les membres catholiques de leur famille d'après le rite et par 
l'aumônier protestant, mais le contraire ne doit jamais avoir lieu 
(art. 46). 

Toutes les écoles militaires sont prolestantes. Pour maximum de 
droits, on laisse aux familles catholiques la faculté d'envoyer leurs 
enfants dans les écoles communales, sans que pour cela ils sortassent 
du contrôle de l'aumônier protestanl (art. 91). 









— 103 — 

Ce règlement fameux maintient (art. 52) l'ordonnance plus fameuse 
encore du 2 février 1810, concernant l'office militaire, laquelle 
porte textuellement : 

« L'intention de Sa Majesté étant d'accoutumer les soldats des di- 
verses confessions à un office divin commun et de leur inspirer ainsi 
un respect profond pour la religion du pays, sans pour cela faire vio- 
lence à leurs croyances religieuses, il parait donc bien en règle qu'on 
fasse lesdits soldats, au moins une fois par mois, prendre part au 
prêche protestant, tout en leur laissant les autres dimanches liberté 
entière de visiter telle église qu'ils voudront. C'est ainsi qu'on les 
habituera à se défaire des préjugés du peuple et qu'on les rendra aptes 
à tirer du prêche protestant de campagne tout le profit qu'un homme 
sensé doit toujours tirer d'un office divin bien arrangé. 

» Voilà, dit le rapport de notre Diète, la parité promise et garantie 
par les patentes de prise en possession du 5 avril 1815 et par l'art. 16 
de l'acte constitutif de la Confédération allemande. » 

De notre part, nous avons seulement à ajouter que tous les efforts 
du bon sens ont échoué à faire disparaître ce règlement et cette 
ordonnance. 






CHAPITRE VIII. 



L'ordre judiciaire dans la Prusse rhénane. 



S'il est vrai ce que disait le représentent en mission Joubert à nou.s 
Rhénans (proclamation du 24 thermidor an m), qu'une législation 
claire et nette était un des signes caraciérisques d'un gouvernement 
libre, il n'est pas moins vrai que le contraire est l'expédient ordi- 
naire du pouvoir arbitraire et que, si les Français suivaient toujours 
celle première roule, les Prussiens, en de vrais barbares qu'ils sont, 
ont toujours suivi la seconde. 

Comme premier signe de la confusion qui règne dans leur législa- 
tion, nous devons signaler déjà le manque d'une publication uni- 
forme des lois, relativement à quoi une ordonnance royale du 
24 juillet 1826 déclare form llemenl : 

« Que c'était une erreur de penser que, pour être obligatoire, 
une loi devait nécessairement être publiée par le Bulletin des lois, 
mais que si, pour quelque motif que ce fût, on le jugeait opportun de 
s'écarter de la règ'e, de publier par exemple une loi par les recueils 
de préfecture, personne ne devait contester l'authenticité des lois 
ainsi publiées. » 

Cette confusion est augmentée par la faculté accordée aux préfets 
(régences) de publier des ordonnances pénales (art. 32 du règlement 
dit 20 juillet 1818). On se plaisait d'abord à croire que cette faculté 
n'était autre que le droit de développer, par des règlements d'exé- 
cution, les lois existantes et ce fut dans cette pensée, et à l'occasion 
de divers empiétements des préfets, que noire Diète demandait qu'on 
énonçât dans ces règlement les lois qu'ils devaient développer. Mais 



— iog — 

c'était une erreur de penser ainsi et un arrête ministériel, en date du 
7 janvier 1845, nous apprend : 

« Que cette faculté de publier des ordonnances pénales ne se borne 
nullement à la publication de règlements proprement dits et qu'il 
n'était pas nécessaire non plus que ces ordonnances aient pris source 
dans les lois existantes, mais que celle faculté accordée aux préfets 
n'était rien moins qu'un « pouvoir tuwloi/ue an pouvoir léf/isla/if, Uttlg 
véritable délégation d'un droit de souveraineté enfin. » 

Elle est encore augmentée, pour parler même avec un commenta- 
teur prussien, « par la particularité malencontreuse des lois prus- 
siennes de ne donner jamais une phrase d'un seul jet, mais de ren- 
voyer toujours d'une loi à une autre, d'un article à un autre, et 
souvent même à des lois non piibjiées dans la parlie respective de la 
monarchie, lesquelles lois à leur tour, renvoyent encore à d'autres 
lois non publiées, de sorte qu'ilest humainement impossible de dire 
ce qui est obligatoire ou non. » 

Cette confus on alla en effet si loin qu'en 1833 déjà, notre Diète, 
pour parvenir à une solulion des doutes pénibles et pour remédier à 
un inconvénient trop sensible, « devait demander une spécification 
exacte et authentique de tous les lois et règlements censés être en 
vigueur; aussi bien qu'en 18i5,e!le se voyait obligée de demander des 
formes précises et déterminées pour la promulgation des lois « afin 
que le citoyen et le juge sachent ce qui était loi ou non,» et se 
plaindre « que de simples raisons du roi, de simples décisions pour 
un cas tout spécial lussent regardées et maintenues comme de véri- 
tables lois et qu'on attribuait même à ces décisions royales le 
pouvoir de modifier cl d'abroger les lois fondamentales du pays. » 

Mais assez de ces observations préliminaires, entrons en ma- 
tière. 

On sait que ce n'est pas seulement depuis hier que les Prussiens 
travaillent à l'abolissement de nos lois. Déjà sous l'administration de 
leurs gouverneurs généraux, parmi lesquels nous rencontrons la 
Une Heur des stipendiés de la Russie, ils commencèrent cette œuvre 
quand, soit dit à l'éternelle gloire de notre magistrature, ils rencon- 
trèrent une première et vive résistance de la part de nos juges qui se 
jetèrent hardiment dans la brèche pour défendre le souverain bien 
de notre province, nos immortels Codes français. Pour vaincre cette 
résistance, le gouvernement usa de tous les moyens possibles : trans- 
lation de notre cour de cassation à Berlin, suppression de sept tri- 
bunaux de première instance, introduction successive de l'élément 
prussien dans la magistrature (ordonnance royale du 19 no- 
vembre 1818, règlement du 13 janvier 1819); mais toujours cette 




H S.*."* 1 



— 106 — 

résistance l'obligeait de temporiser, de dissimuler pour quelque 
temps ses projets, de rétracter même quelques disposions trop 
choquantes, en rendant par exemple aux juges l'habit noir qu'un 
arrête du 29 juillet 1814 leur avait déjà ôté comme « étant contraire 
au droit des Allemands. » 

L'activité des Prussiens, pour ces premiers temps, culminait donc 
flans le soin d'introduire leur régime administratif et de police et les 
changements apportés dans notre, législation civile et pénale avaient 
plutôt pour but d'assurer l'introduction de ce régime que d'attaquer 
t organisation judiciaire en son entier. En conséquence, il n'y avait 
pas, dans cette période, d'autres changements que les suivants : 

1. Abolissement des Conseils de préfecture et transfération de 
leurs attributions, à part toutefois le jugement des contraventions en 
matière de grande voirie, à l'administration proprement dite 
(ordonnance des i février 1814 et 30 juillet 1818); 

2. Introduction de la procédure pénale de la police, institution 
essentiellement prussienne et dont nous parlerons plus tard (règle- 
ment du 20 juillet 1S18) ; 

3. Renvoi, devant les autorités administratives, de toutes contes- 
tations personnelles avec l'Etat, surtout des plaintes formulées par 
les anciens fonctionnaires français (ordonnance royale du i fé- 
vrier 1823); 

i. Application des lois prussiennes pour le jugement des injures 
et des délits commis envers les fonctionnaires (ordonnance royale du 
5 juillet 1819); 

5. Application de ces mêmes lois pour le jugement des délits com- 
mis par des Rhénans en pays étrangers et par des étrangers en pays 
rhénan (ordonnance royale du 30 juin 1820) ; 

6. Application des lois prussiennes pénales et de procédure pour 
l'instruction et le jugement des délits politiques et des délits commis 
parles fonctionnaires (ordonnance royale du 6 mars 1821). 

Enfin, croyant la magistrature assez épurée, le gouvernement, 
trompé par les rapports mensongers de ses agents, se hasardait 
à l'attaque générale et un décret royal du 23 octobre 1826 proposait 
l'introduction, pour le 1" janvier 1828, de tous les Codes prussiens 
civil, pénal et de procédure. 

Aussitôt ce décret connu, les Conseils municipaux de toutes les 
villes, ainsi que le constate le compte-rendu de la session, s'assem- 
blèrent spontanément pour adresser à la Diète les prières les plus 
ardentes pour la conservation de nos institutions françaises, les- 
quelles prières trouvèrent l'accueil le plus favorable de la part de la 



myfittm 



— 107 — 

Diète qui rejeta fermement et unaniment toutes .es propositions 
royales. 

La suite immédiate de ce vote fut le retranchement du droit d'élec- 
tion des villes, en ce qu'on restreignit le droit actif d'élection aux 
seuls conseillers municipaux qui alors étaient simplement à la 
nomination du gouvernement (ordonnance royale du 13 juillet 1827) 
et une réprimande fulminante du roi (message royal du même jour) 
« de ce que la Diète avait osé accepter ces adresses des villes et non 
seulement de les accepter, mais de les présenter même à S. M. » et 
t de ce que plusienrs chefs de la délibération avaient transpiré dans 
le public, ce qu'il voulait toutefois attribuer plutôt à l'indiscrétion 
de l'un ou l'autre de ses membres qu'à la Diète en sa totalité. » Mais 
malgré ses réprimandes, le gouvernement jugea utile de « désister 
en partie de ses projets et il se contenta de ne proposer pour la 
nouvelle session (1828) que l'introduction de quelques-unes des lois- 
prussiennes les moins choquantes, tandis que les principaux titres 
de nos Codes devaient recevoir une nouvelle sanction royale. A cela 
la Diète répondit aussi unanimement qu'aucune loi prussienne, quelle 
qu'elle fût, n'était faite pour être introduite dans notre province et 
que nos lois françaises n'avaient nullement besoin d'une sanction 
royale, puisqu'elles existaient de droit. Pour mieux faire comprendre 
ses instructions, elle ajouta encore une protestation en forme contre 
les ordonnances royales prémentionnées, publiées depuis 1814, 
comme étant contraires aux principes des Codes français. Cette pro- 
testation fut réitérée encore dans la session suivante (1830). Comme 
cette fois elle s'adressait plus particulièrement contre le régime de 
police prussien, c'est ici le lieu de faire connaître ce singulier ré- 
gime. 

Commençons pour cela par dénoter son origine ou, pour mieux 
dire, son introduction dans notre province, introduction remontant 
au fameux règlement, dit de compétence, du 20 juillet 1818 où nous 
trouvons à l'art. 18 la disposition suivante : 

t Pourront les préfets (régences), par des mandements pénals, 
prononcer des amendes jusqu'à 200 francs ou un emprisonnement 
de quatre semaines, et seront lesdits mandements exécutés par la 
voie ordinaire d'exécutions administratives. » 

Examinons ensuite une à une, d'abord la nature, puis l'étendue 
et la portée de ce pouvoir pénal, ensuite les formes sous lesquelles 
et les autorités par lesquelles il est exercé, enfin les moyens de s'en 
pourvoir. 

Quant à la nature de ce pouvoir, nous ne saurions mieux faire que 
de rapporter textuellement les paroles d'un commentateur officiel 












- 



(M. Oppenhoff, lois de compétence) qui s'exprime à son égard ainsi 
qu'il suit : 

« Il ne s'agit dans ces mandements pénals nullement de réprimer 
une contravention ou un délit, mais de punir une simple désobéis- 
sance; il s'agit d'abord d'obliger, par des mandements commina- 
toires, une personne irrépréhensible en elle-même de faire ou 
d'omeltre telle ou telle chose que la police lui ordonne ou défend et 
puis de punir, par des mandements pénals, le manque cFobéts- 
sance. » 

Tant pour la nature de ce pouvoir, voyons maintenant son étendue 
et sa portée. Sur cela l'auteur susdit n'est pas si clair, puisqu'il se 
borne à dire : 

« Tout en n'admettant aucun recours en justice contre ces man- 
dements, la loi oublie de spécifier les actes auxquels elle entend ap- 
pliquer une disposition si importante., Il est vrai qu'il sérail fort 
difficile de donner une définition complète el embrassant tous les cas 
possibles. » 

Mais si ce commentateur hésite, la cour de compétence (cour 
suprême pour le jugement des questions de compétence), elle, n'hé- 
site pas et deux de ces décisions lèvent tous les doutes à cet égard. 
C'est que, par ta première (du 16 avril 1853), elle qualifie de man- 
dements de police « tous les ordres, sans exception aucune, donnés 
par un agent de police dans l'exercice de ses fonctions ; » et par la 
seconde (du 25 novembre même année) elle qualifie d'affaires de 
police « tout ce qui ne serait chose seigneuriale ou financière; - 
(objets du reste dont les préfets et régies prononcent pareillement, 
mais sous un litre particulier, art. 15 el 16 du règlement du 
20 juillet 1818). 

D'après une autre décision de cette cour suprême du 3 juin 1856 
tombent sous ce même pouvoir pénal les arrèls rendus par la police 
en affaires purement civiles, si les autorités de police jugent utile d'y 
intervenir, dans d'autres décisions, il est dit que ce pouvoir ne se 
borne pas à prononcer ces peines el amendes, mais que les officiers 
de police pourront encore faire exécuter la chose ordonnée aux frais 
du retardataire. 

En ce qui concerne les formes sous lesquelles ces arrêts seront 
rendus el ces peines prononcées, ledit règlement ne dit mot, d'autant 
plus clairement se prononce, à ce sujet encore, la cour de compé- 
tence, dont deux décisions (du 7 juillet 1856 et du 2 octobre 1858) 
posent : 

« Que les arrêts comminatoires ne sont nullement sujets à des 
formes déterminées, qu'un ordre donné verbalement suffit parfaite- 



— ioç — 

ment, qu'il ne faul pas non plus d'arrêts pénals en forme, mais 
qu'une simple notification faite au prévenu, en quelque forme que ce 
soit, suffit, également pour rendre exécutoires les peines et amendes 
prononcées. » 

Remarquons encore que, d'après une ordonnance royale du 
6 mai 1836, ces arrêts ou notifications comportent saisie mobilière et 
immobilière. 

Comme autorités compétentes à exercer ce pouvoir pénal, le 
règlement du 20 juillet 1818 ne désigne que les seule préfets, ce qui 
n'empêche pas que deux resciils du ministre de l'intérieur du 27 fé- 
vrier et du 13 mars 1843 ne revendiquent ce même pouvoir pour les 
sous-préfets et les maires. Quant aux autorités compétentes pour 
rendre des arrêts comminatoires, trois décisions de la cour suprême 
(des 12 janvier 1856, 7 mars 1857 et 13 mars 1860) accordent ce droit 
à tout agent ou employé de police, disant textuellement : 

< ha loi ne faisant pas de différence entre les diverses catégories 
d'agenls, il est indubitable qui; les employés de la dernière classe 
même « tels que sergents de ville ou gendarmes, >■ sont pleinement 
compétents de rendre ces arrêts comminatoires. » 

Pour ce qui regarde enfin les moyens de pourvoi, une loi du 
11 mai 1842 nous donne toute clarté désirable, en ce qu'elle porte : 

« Art. 1". Contre les mandements de police, aucun recours en 
justice n'a lieu, et cela pas plus pour des plaintes qui contesteraient 
la légalité de ces mandements que pour celles qui contesteraient 
l'utilité ou la nécessité de la chose ordonnée ou défendue; toutes 
ces plaintes, au contraire, ne pourront être portées que devant l'auto- 
rité administrative immédiatement préposée à celle qui ait ordonnée 
ou prononcée. » 

Lequel article est encore plus amplement expliqué par une déci- 
sion de la cour de compétence du 17 octobre 1851 qui pose : 

« Qu'aucune plainte tendant à établir l'incompétence de l'autorité 
ordonnante ou prononçante ne peut être reçue en justice, puisque 
celte plainte ferait précisément la légalité de l'arrêt.objet d'un examen 
de juge. » 

Contre une peine une fois prononcée, aucun recours administratif 
même n'est possible si le prévenu ne s'est d'abord pourvu contre 
l'arrêt comminatoire et même une exécution postérieure et volon- 
taire de la chose ordonnée ne saurait lever la peine « puisque, > 
ainsi que nous l'apprend un rescrit du ministre de l'intérieur du 
14 août 1849, « autrement l'autorité des agents de police en souffrirait 
et qu'il serait ouvert un champ trop étendu au mauvais vouloir et 
aux tergiversations. » 



■ 






— MO — 

Nous pensons que le lecteur nous dispense d'un commentaire de 
tout cela, et qu'il est temps de revenir aux travaux de notre Diète 
(quatrième session, de 1833), où nous voyons le gouvernement 
essayer de faire brèche dans les lois françaises par une proposition 
d'un autre genre, par une proposition de réviser les anciennes lois 
du pays, c'est-à-dire les lois antérieures à la domination française. 
Cette proposition aussi fut rejetée à l'unanimité, la Diète déclarant 
« que les lois françaises étaient bonnes et parfaitement adoptées aux 
mœurs de la province qui ne voulait pas les voir modifiées ni en 
faveur des lois prussiennes, ni en faveur des lois anciennes. » 

Fatigué de ces échecs, le gouvernement prit le parti de suspendre 
l'action de la Diète et de ne plus la convoquer avant de s'être renou- 
velée par une nouvelle élection, pour laquelle il opérait non seule- 
ment par une épuration à fond des Conseils municipaux devenus, 
ainsi que nous l'avons vu là-haut, les collèges électoraux des villes, 
mais encore par restreindre l'éligibilité dans les campagnes aux 
seuls cultivateurs laboureurs (littéralement : cultivateurs labourant 
eux-mêmes leurs champs et tirant de cette économie rurale leur 
revenu principal) et aux maires et adjoints des communes, dans 
lesquels personnages seulement il voulait reconnaître les vrais re- 
présentants campagnards (arrêté du i avril 1835); procédés qui, du 
resle, ne le servirent à rien, si ce n'est à exciter de vives protestations 
de la Diète dans ses sessions suivantes. 

Pour ce qui allait se passer dans la cinquième session, réunie en- 
fin en 1837, nous n'avons qu'à renvoyer à notre chapitre sur le Droit 
public, où nous avons vu le gouvernement tenter fortune de toute ma- 
nière : par des propositions à révision des lois anciennes, par des 
propositions à l'introduction des lois prussiennes, par de nombreuses 
promulgations illégales enfin. Nous y avons vu la Diète rejeter tou- 
tes les propositions et répondre aux ordonnances promulguées par 
des protestations de la dernière vivacité, protestations qui, survenues 
de l'irritation des esprits par suifede la captivitéde l'archevêque Clé- 
ment-Auguste et soutenues surtout par l'attitude de la France, qui 
enfin semblait se souvenir qu'il y avait encore deux millions de 
Français sous le joug de l'étranger, amenèrent enfin le gouverne- 
ment à lâcher bride et de faire déclarer au roi, par un message du 
36 mai 1839: 

« Qu'il n'entendait que faire réviser le Code pénal prussien sur 
les principales bases de celui français, que les autres Codes français 
resteraient absolument intacts ; qu'il les ferait même traduire en 
allemand, que le Code pénal prussien révisé serait au surplus soumis 
à la délibération de la Diète et que tous les projets ultérieurs sur 



— III — 

l'abolissement ou la modification des Codes français seraient défi- 
nitivement abandonnés. » 

Cependant on laissait subsister les ordonnances royales établis- 
sant le régime de police et soumettant aux lois prussiennes les crimes 
et délits de fonctionnaires, ce qui excita une nouvelle protestation 
de notre Diète dans sa 6 1 "' session (1841) qui dénonçait non seule- 
ment oes ordonnances comme une violation flagrante de la Consti- 
tution, mais comme un défi jeté à la face de la' civilisation, en ce 
qu'elles violaient à la fois le principe de la publicité et de l'oralité des 
procédures et celui de l'égalité devant la loi, « principes adoptés par 
toutes les nations civilisées et surtout invétérés dans l'esprit rhénan.» 

Dans la session suivante (la 7 n,c , réunie en 1843) le projet du nou- 
veau Code pénal prussien révisé fut soumis à la délibération de la 
Diète. — Cette délibération mérite une attention particulière : 

D'abord la Diète, dans son rapport unaniment adopté, ne doute ni 
de la nécessité de réviser le Code pénal prussien, ni du désir de la 
vieille Prusse de se voir dotée d'un régime pénal plus en accord 
avec les exigences des temps modernes. Mais quant au pays rhénan, 
c'était chose entièrement oporée : là, jamais aucun besoin de révi- 
sion ne s'étail fait sentir, aucun désir de modification n'eut jamais 
été exprimé ; là. la magistrature, aussi bien que le peuple, étaient 
tous d'accord de regarder le Code pénal existant i comme partie 
intégrante et concordante de toutes ces institutions françaises si chères 
aux Rhénans et qui toujours avaient été considérées comme parfaite- 
ment adaptées aux habitudes, usages, mœurs et sentiments delà pro- 
vince. » — Elle déclare donc devoir décliner l'honneur de participer 
à cet œuvre de révision. 

Toutefois, « comme il serait à craindre que le projet, délibéré déjà 
dans les autres Diètes de la monarchie, ne fût, à l'exemple de tant 
d'autres promulgations illégales, promulgué par voie d'ordonnance 
royale,» la Diète ne voulant pas assumer sur elle la responsabilité 
grave de voir octroyer ce Code sans que la voix de la province se 
soit prononcée sur son détail, elle croyait de son devoir d'exa- 
miner les diverses disposilions du nouveau projet, mais non sans 
faire précéder et suivre le procès-verbal d'examen de deux protes- 
tations expresses, constatant les vues et motifs ci-dessus exprimés. 

Il ne serait pas besoin, vu le jugement de condamnation una- 
nime de la Diète, d'énumérer ici une à une les objections portées 
contre ce Code prussien « révisé 1 et avec cela contre les horreurs de 
la nouvelle juridiction de la Prusse, si la crainte ci-dessus exprimée 
ne s'était réalisée et que les principes de ce projet ne fussent passés» 
soit ouvertement, soit en cachette, dans les lois prussiennes octroyées 



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— 112 — 

et imputées depuis à noire province, notamment dans l'ordonnance 
royale du 9 février 1849 sur la police des industries, le Gode pénal 
prussien du U avril 1851, la loi rétablissant la cour spéciale pour 
crimes et délits politiques du 25 avril 1853 et le Code de commerce 
prussien du U juin 1861, et qu'ils ne représentassent ainsi le droit 
pénal actuellement en vigueur dans la province. 

Ces objections s'adressaient d'abord contre sa tendance générale 
« de laisser à l'arbitraire des juges une trop grande étendue de pou- 
voir et en plaçant d'autre part ces mêmes juges en conditions qui 
faisaient craindre que la liberté de leurs votes et de leur conscience ne 
fût à l'abri d'enquêtes disciplinaires. » (On se souviendra à cet égard 
de certaines enquêtes pour voles en procédures de presse dont par- 
laient les journaux de l'Allemagne du Sud comme ayant eu lieu, en 
1845, au sein du tribunal de Diisseldorf.) 

En second lieu, elles s'adressaient contre le système des peines. 
Commençant par constater que, si le gouvernement prussien avait 
toujours reproché à notre Code français trop de rigueur, le nouveau 
Code prussien ne péchait pas par trop de clémence, mais le surpas- 
sait encore en rigueurs ; la Diète signale ensuite que ce nouveau 
Code violerait ouvertement le principe de l'égalité par devant juge 
et loi, en admettant pour un seul et même délit des peines différen- 
tes, prononcées selon l'état et les conditions de fortune des coupa- 
bles; qu'il admettait, par exemple là, où, pour les classes laborieu- 
ses il ordonnait la réclusion, pour les classes aisées la détention ou 
même un simple emprisonnement ; puis après avoir relevé le prin- 
cipe si éminemment prussien des demi-peines lors d'une conviction 
incomplète des juges, elle finit par dénoncer l'introduction des 
peines corporelles, peines disparues déjà longtemps avant 1789 de la 
législation rhénane et qui n'y pourraient reprendre place « que si 
l'on voulail arracher violemment du cœur humain le sentiment delà 
dignité d'homme. » 

En troisième lieu, plusieurs changements apportes à la compétence 
des tribunaux, notamment: 

1° La restriction de la compétence des cours d'assises, de la 
cognation desquelles, selon l'expres>ion textuelle de la Diète.on vou- 
lait arracher précisément toutes les -affaires où l'on devait attacher 
un prix à être jugé par ces concitoyens, « pour ne laisser à ces cours 
que le jugement du rebut de la race humaine ; » 

2° La compétence exceptionnelle de certaines cours et tribunaux 
pour le jugement des crimes et délits politiques ; 

3° La faculté accordée au ministre de la justice de nommer et de 
« députer à temps » des juges-suppléants auprès ies tribunaux, « ce 






— "3 — 

qui serait surtout dangereux pourle jugement des délits politiques • 
(on sait que la fameuse décision du (ribunal supérieur établissant la 
responsabilité des discours parlementaires ne fui obtenue qu'à l'aide 
de ces « juges-suppléants député temporairement audit tribunal » ) ; 

4° La faculté donnée aux tribunaux de police correctionnelle de 
prononcer des peines affliclives et infamantes; 

5" La compétence trop étendue (de prononcer des amendes jus- 
qu'à 200 fr. et un emprisonnement de six semaines) des tribunaux 
de simple police, inconvénient plus senti encore « parce que le gou- 
vernement semblait s'en faire un devoir de ne nommer à ces places 
que de jeunes jurisconsultes prussiens manquant à la fois de l'indépen- 
dance et de la maturité de caractère nécessaires à ces fonctions. » 

Suivirent, en quatrième lieu, des objections de toute nature con- 
tre le projet auquel on reprochait, outre certaines dispositions 
draconiques pour la punition des crimes et délits politiques: 

1" De s'écarter des principes universellement reconnus pour la 
prescription (la prescrip;ion prussienne est chose la plus fantas- 
tique du monde : tout écrit ou ordre verbal, donnés secrètement et 
ne voyant jamais le jour, l'interrompt) ; 

2° De violer en plusieurs endroits le principe: tSinelege, nulta 
pœna; » 

3° D'étendre démesurément, et d'une manière aussi inconvenante 
qu'indécente, l'obligation de révéler les crimes et délits (voir encore 
à cet égard le chapitre sur les Affaires religieuses) ; 

4° De consacrer, par plusieurs de ses dispositions, les anciens abus 
des corps de métier, notamment le droit de punition des maîtres 
envers les employés ; 

5° De rendre illusoire l'obligation de tenir les livres de commerce 
et d'ouvrir ainsi la porte à toutes sortes de fourberies; 

6° D'être, en général, peu clair dans ses dispositions sur l'escro- 
querie et l'abus de confiance ; 

7° D'être par trop indulgent pour les délits des fonctionnaires et 
employés, tandis que 

8° Les dispositions pénales contre les ecclésiastiques dépassaient 
toute mesure ; 

9° De prohiber non seulement le droit de pétitionner, mais toute 
discussion d'affaires publiques ; 

10° De mettre, dans ses dispositions sur la punition des injures 
faites aa roi, aux princes et aux fonctionnaires (on punit aussi les 
injures envers des rois, princes et fonctionnaires décédés) « 17m- 
teire tellement aux fers que tout conte historique et toute description 
d'affaires publiques, même des plus loyaux, étaient littéralement im- 



- U4 — 

possibles, et que le silence absolu pourrait seul garantir de peines et 
poursuites judiciaires. » (Faisons remarquer ici que nous parlons 
toujours d'après le texte du rapport.) 

Comme il était à présumer, ces objections s'adressèrent aussi à la 
rédaction du projet, auquel on reprochait en dernier lieu, outre une 
ambiguité bien accusée dans plusieurs de ses dispositions'et dénomi- 
nations, de donner des définitions trop générales pour les actions 
criminelles, ce qui avait surtout lieu, et au point de ne pouvoir pas mé- 
connaître l'intention, dans le chapitre sur tes crimes et délits diiclerqé 
et puis de porter souvent les peines indirectement, par renvoi à 
d'autres lois ou articles, ce qui ne devrait avoir lieu dans un Code 
bien organisé et qui rendrait surtout impossible la lecture et l'in- 
sertion des textes de loi dans les jugements. 

Après avoir renouvelé ici encore une fois les deux protestations 
mises a la tète du procès-verbal, la Diète conclut dans les fermes que 
voici : i 

« Que le projet déposé soit, dans les provinces de la vieille Prusse 
regardé comme un progrès, le peuple rhénan ne peut y voir que le 
coup mortel porté à ses institutions les plus chères, ne peut y voir 
qu'une violation des droits d'homme, qu'une attaque à la civilisa- 
tion, qu'une humiliation à la dignité humaine, et la Diète manquerait 
gravement à ses devoirs et tromperait indignement les vœux de ses 
commettants en ne s'opposant pas de foules ses forces et en ne pro- 
tesfant de la manière la plus solennelle contre son introduction dans 
la province. Elle ne peut donc que prier instamment et unanimement 
Sa Majesté de vouloir bien se désister de ce projet, de le prier de vou- 
loir laisser intacte la législation pénale existante, ou si, comme on le 
prétextait à tort, la sûreté de l'État exigeait impérieusement sa mo- 
dification, de faire composer un nouveau Code pénal qui, conforme 
aux promesses de son prédécesseur, serait au moins basé sur les 
principes de celui français. » 

Que cette attente ne se réalisait pas, le lecteur nous croira sur 
parole. Au lieu de cela, il s'ensuivit une réprimande fulminante de la 
part du roi, qui, dans un message du 30 décembre 1843, reprochait 
à la Diète * de n'avoir fait preuve d'un examen impartial et exempt 
de préjugés, » et déclarait t ne pouvoir adhérer à sa demande et d'au- 
tant moins qu'il s'était posé pour tâche principale de favoriser partout 
et par toutes sortes de moyens les mœurs et sentiments allemands. » 

A ce message, la Diète répondit par une protestation des plus vives 
où elle déclarait formellement : 

« Que, bien que ses membres, pour leurs actions et discours, fus- 
sent soumis aux lois pénales, leurs délibérations étaient inattaquables 



— us — 

dans leurs molifs, motifs dont ils ne devaient compte à personne et. 
pour lesquels ils n'étaient responsables qu'à leur conscience; 

» Qu'on ne devait voir en eux des conseillers soumis ou des servi- 
teurs humbles et obéissants, mais bien un corps d'Etat indépendant, 
légalement constitué et appelé par la Constitution aux travaux de la 
législation ; corps qui était résolu, en tout cas et à tout événement, 
de soutenir et de défendre ce droit de représentation, droit que nos 
pères avaient exercé dans un degré indéfiniment plus étendu; 

» Que la Diète devait demander et qu'elle demandait en effet que le 
roi voulût reconnaître dans ses délibérations unanimes la voix una- 
nime de la province; 

» Que, comment aussi le roi voulait penser des lois françaises et de 
quel œil il voulait les regarder, pes lois étaient devenues la propriété 
de la province, étaient estimées de la science autant que de la magis- 
trature et de tout le peuple rhénan ; 

» Qu'il ne s'agissait d'ailleurs de tâches qu'il s'était proposées, 
mais bien « des promesses » données à plusieurs reprises par son 
prédécesseur, e^ renouvelées solennellement et récemment dans son 
message du 26 mars 1839; et, qu'en définitive, la Diète ne saurait 
jamais croire que le roi dût ainsi manquer à ces promesses et mécon- 
naître les vœux les plus légitimes de la province. » 

A cette protestation cuirassée, la Diète en joignit, d'autres et plus 
tranchantes encore contre les ordonnances royales signalées là-haut 
et dont elle fit l'objet d'un examen spécial. Si le rapport sur le projet 
de Code pénal prussien « révisé » nous a fait voir les beautés du droit 
pénal matériel de la Prusse, cet examen nous montre dans toute leur 
splendeur celle de la procédure prussienne. Mais qu'on entende la 
protestation elle-même qui commence par dire : 

« Ce n'est plus ta procédure française, la procédure publique et 
verbale, mais la procédure prussienne, la procédure secrète et par 
écrit, qui est employée pour les crimes et délits politiques. L'une des 
propriétés de cette procédure, c'est que les jugements et arrêts 
doivent être confirmés par le ministre de la justice. Les suites qui en 
résultent, le cas suivant nous l'apprend : 

« Théodore Brux, marchand horloger à Bruxelles, était prévenu 
d'avoir pris, par ordre du gouvernement belge, des informations sur 
l'organisation politique et militaire de la Prusse. Acquitté en dernière 
instance, par jugement du tribunal d'Aix-la-Chapelle du 16 fé- 
vrier 1833, ce jugement fut envoyé au ministre de la justice pour 
recevoir sa confirmation. Celui-ci rescrivit, en date du i juin même 
année « qu'en vertu de la faculté à lui réservée par la loi, il avait 
envoyé les actes au tribunal de Magdebourg pour en prononcer de 






Ii6 — 



nouveau ; ce jugement du tribunal de Maydebourg, il l'avait confirmé, 
celui du tribunal d'Aix ne pourrait, faute d'approbation ministérielle, 
être considéré comme « une disposition de jugement, » comme une 
« ébauche. • Le ministre charge ensuite le tribunal d'Aix de publier 
le jugement confirmé. Et il s'ensuivit le jugement suivant : 

« Dans la procédure intentée contre le sieur Th. Brux, les actes, 
» par ordre du minisire, ayant été envoyés au tribunal de Magde- 
» bourg, ce tribunal ayant prononcé, et le ministre ayant approuvé 
» son arrêt, le tribunal d'Aix-la-Chapelle, en vertu de ce jugement 
» confirmé du tribunal de Magdebourg, 
i Déclare : 
» Le sieur Brux est condamné, pour crime de lèse-majesté au 
» troisième degré, à dit ans de réclusion. » 
» De par la loi. » 
» Autre propriété que nous présente cette procédure, c'est la 
faculté accordée à ce mèm- ministre, de réprimander le* cours et 
tribunaux pour jugements par eux rendus. — En foi de quoi la Diète 
cite un rescrit ministériel du U avril 1837, dans Jequel il est dit 
textuellement : «Sa Majesté a réprouvé l'arrêt rendu par le sénat accu- 
sateur et m'a chargé de le rectifier à fond, » et ne manque pas 
d'ajouter que, si de telles réprimandes s'adressaient à la cour 
suprême de la province, il n'y avait rien d'étonnant que les tribu- 
naux inférieurs dussent en avaler de plus fortes encore, telles que 
celles-ci, contenues dans un rescrit ministériel du 13 décembre 1834, 
qui leur reproche : 

« Leurs aspirations très-blàmables de contrarier les intentions 
de la police administrative, <> leur reproche » d'interpréter mal les 
ordonnances pénales de la police, de réprouver souvent ces ordon- 
nances pour des motifs frivoles, d'aquitter les contrevenants sous 
prétexte que la contravention ne soit pas punie sous aucune peine, etc. , 
de tels procédés seraient par trop préjudiciables aux intérêts de l'Etat 
pour être plus longtemps tolérés. Si cela ne changeait, il ne manque- 
rait pas d'intervenir promptement et de députer, aux frais des juges, 
un référendaire prussien auprès de tes tribunaux, pour que les juges 
apprissent de celui-ci comment faire et comment envisager les 
choses. » 

Sur ce même ton, un rescrit ministériel du 26 janvier 1833 re- 
proche aux présidents des tribunaux et aux procureurs» du roi «leur 
manque de zèle pour la poursuite des délits politiques, • leur re- 
proche » de ne pas mener assez sévèrement les procédures, d'user 
de trop de modérations envers les inculpés, de n'avoir pas en vue le 
but véritable de ces procédures. 



■Ml 



- 11/ - 

Le 3 août 1835, ainsi que continue la protestation, un petit tumulte 
a lieu à Berlin, et quinze jours après, le 17 du même mois, voilà 
toute la monarchie gratifiée d'une ordonnance royale, lisant au plus 
haut degré la liberté individuelle. Voici ses principales stipu- 
lations : 

1* Tout cri ou sifflement à l'occasion d'un tumulte est puni d'une 
punition corporelle, puis de travaux forcés ou d'emprisonnement 
simple; 

2" Eu cas que le tumulte ait été accompagné de menaces, il sera 
prononcé en tout cas l'application' d'un nombre de coups de fouet 
donnés à rentrée et à la sortie de la prison ; 

2° La relation du fait sera dressée par le commandant de la force 
armée ; toute autre publication sera interdite; 

4" Seront responsables des dégâts causés dans le tumulte, tous les 
assistants qui ne se seraient' éloignés à la première sommation de la 
police ; 

5° L'instruction de ces délits se fera en procédure sommaire. 

Cette procédure, établie par l'ordonnance royale du 30 septembre 
était, en effet, assez sommaire : i La punition corporelle et un empri- 
sonnement de quinze jours prononcés par le commissaire de police; 
pour le reste, un simple interrogatoire par devant le commissaire de 
police ou juge-commissaire, après quoi le tribunal prononce, « sur 
la vue des actes, » et bien entendu à l'exclusion dé tout défenseur 
pour les inculpés dont la peine ne dépasserait un emprisonnement 
d'un an; « voilà tout. > 

Après avoir signalé ici d'autres horreurs encore, introduites par 
des ordonnances royales, parmi lesquelles nous ne voulons citer que 
celles-ci : juridiction exceptionnelle pour délits politiques et pour les 
fonctionnaires, procédure secrète et par écrit pour ces délits, inter- 
jections de fins de non-recevoir dans tous les procès qui pourraient 
en quelque sorte être désagréables aux fonctionnaires, la faculté 
accordée à la police de faire des perquisitions et d'ordonner des 
arrestations t sans que, » ainsi qu'il est dit. dans une de ces ordon- 
nances, « la justice en eut à s'immiscer » et à propos de laquelle et 
pour preuve sur quels bien légers indices ces arrestations avaient eu 
lieu , la Diète cite un cas qui venait de se passer (1843) à Sarreville, 
où un habitant de cette ville, pour prétendu délit politique, fut tenu 
trois mois en prison, pour, rendu en lin à la police judiciaire, être mis 
hors de poursuite après le premier interrogatoire ; après avoir 
signalé, disons-nous, ces horreurs, la protestation conclut ainsi : 

« Abstraction faite de la peine avilissante de punition corporelle' 
abstraction faite des larges conceptions pour la culpabilité, il faut 

8 




f fle». ■■ 






— m$ — 

constater que ces ordonnances vont établir des principes ioouis 
inconnue dans les Etats civilisas. Le drou; de ta défense restreint' 
aboli même pour affaires comportant emprisonnement d'un an ; un« 
procédure exceptionnelle <H sommaire pour délits politiques,' une 
juridiction accordée à la police, un pouvoir illimité accordé à l'admi- 
nistration des juges prononçant sur la mie des actes, l'indépendance 
de la magistrature détruite, ta liberté individuelle anéantie, les sen- 
timents du droit et de l'honneur violemment arrachés ; voilà les 
principes destinés à remplacer les idées de 1789. Certes, l'histoire 
prussienne de tout temps montre beaucoup d'exemples d'empiéte- 
ments de monarques, et même de grands monarques (textuelle- 
ment — allusion et réponse bien visible à l'histoire controuvée du 
Moulin de Sans -Souci) dans l'administration de la justice, mais 
jamais l'arbitraire et le despotisme n'ont été aussi ouvertement pro- 
clamé droit public comme à présent. Quant à notre province en par- 
ticulier, jamais un droit approchant seulement à celui que nous 
venons de peindre n'a existé. • 

Après cet examen des ordonnances dans leurs péchés confie la 
civilisation, la Diète passe à leur examen au point de vue du droit et 
vient à la conclusion « que ces ordonnances constituaient une viola- 
tion manifeste de la Constitution du S juin 1.823, que jamais elles 
n'eussent pu recevoir la sanction royale si, un moment seulement, on 
avait voulu se représenter la situation du droit, créée parcelle Consti- 
tulion, que le ir abolition immédiate se devait donc attendre de tout 
monarque qui ne voudrait se rendre coupable d'un manque de foi 
jurée. » 

Une troisième protestation avait pour objet l'humiliation de h» 
magistrature rhénane. Avant de nous y engager, deux mots seule- 
ment sur l'éducation des jeunes jurisconsultes. 

Celle éducation, qui déjà avait donné lieu à une protestation de 
la Diète en 1831, était de tout temps un des principaux soins du gou- 
vernement. Nous avons vu, dans le chapitre sur V Enseignement 
supérieur, qu'il n'y a pas d'examens ni dans les facultés de droit, ni 
dans les universités en général et que tous les examens, sans excep- 
tion aucune, se font par devant des commissions d'examens compo- 
sées de fonctionnaires. Nous y avons encore vu que les grades con- 
férés dans les universités ne sont que purement honorifiques et ne 
donnent aucun droit pour la vie pratique. C'est ainsi que le grade de 
• docteur en droit » ne donne lieu qu'à la remise d'un simple examen 
préparatoire. Non content de cela, tous les candidats, les docteurs en 
droit y compris, avant d'être admis à ces examens, doivent se pré- 
munir d'une permission préalable, délivrée par les président et pro- 






■HH 



— 119 — 

cureur du tribunal de leur résidence. Les instructions pour la déli- 
vrance de ces permissions sont fort précises : un règlement du 
16 février 1832 recommande à ces présidents et procureurs « d'exa- 
miner soigneusement la conduite des candidats dès leur première 
jeunesse, d'examiner surtout leur conduite dans les écoles moyennes, 
de s'assurer de la déférence du caractère et des sentiments qu'ils y 
ont manifestés. Tout paternellement le règlement ordonne « de ne 
s'arrêter trop aux écarts ordinaires de la jeunesse, mais d'exclure 
d'autant plus rigoureusement tous ceux qui, dans ces écoles ou plus 
tard, se seraient montrés rénitents à l'ordre public, aux autorités 
et aux institutions d'Etat ou qui seulement n'auraient pas été animés 
des meilleurs sentiments patriotiques. 

Dans les universités, tout est arrangé de manière à écarter ou à 
entraver l'étude du droit français. Déjà, une ordonnance royale du 
31 décembre 1836 soumettait les étudiants aux lois et à la procédure 
prussiennes; en même temps, l'étude régulière du droit prussien fut 
prescrite par les « guides d'études » dont nous avons fait la connais- 
sance dans le chapitre sur V Enseignement supérieur; enfin, un 
rescrit du ministre de la justice, du 5 octobre 1839, fit de cette étude 
une condition expresse de l'admission aux examens. 

lien fut de même pour les instructions devenues publiques; dans 
la pratique on était allé beaucoup plus loin et une protestation de 
notre Diète, en 1843, nous apprend que l'enseignement du droit 
français qui, auparavant déjà, avait laissé beaucoup à désirer, avait 
tout à fait cessé, et que l'examen principal devait se passer à Berlin, 
par devant une commission d'examen à laquelle n'assistait qu'un seul 
jurisconsulte rhénnn. Encore cette protestation nous apprend-t-elle 
qu'on ne demandait aux juges et auditeurs prussiens, à leur entrée 
dans la magistrature rfiénane, d'abord « aucunes t et puis, après 
quelque temps de service « quelques connaissances générales » seu- 
lement du droit français, tandis qu'en même temps, on demandait 
aux Rhénans « une connaissance toute spéciale et approfondie du 
droit prussien; » il en résulte de plus que ces intrus prussiens ne 
se rangeaient pas d'après la date de leur entrée dans la magistrature 
rhénane, mais d'après la date de leurs entrée en service dans la 
vieille Prusse, mesure qui a elle seule devait détruire tout avenir 
des Rhénans, si même ils eussent voulu passer par de telles condi- 
tions. 

En continuation de cette protestation, celle de 1845 prenait pour 
objet spécial une ordonnance royale, nouvellement émise (du 29 mai 
1844) sur la discipline des juges et qui comptait parmi les peines 
disciplinaires « la dégradation des juges. » Sans doute le lecteur s'ar- 



^H 






— I20 — 

rélera ici pour demander s'il a bien compris. Mêlas ! il n'a que trop 
compris et il s'agissait effectivement de la peine de « dégradation, » 
d'une peine qui, ainsi que le relevait la protestation, « jusqu'alors 
n'avait été connue que dans l'armée, d'une peine qui permet qu'un 
juge, trouvé indigne de l'administration de la justice dans un poste 
élevé, continue ses fonctions magistrales dans une position inférieure, 
qui permet qu'un conseiller à la Cour d'appel, destitué de ses fonc- 
tions, fonctionne dorénavant comme juge au tribunal de première 
instance, qu'un juge au tribunal de première instance, destitué, fonc- 
tionne par la suite comme juge de paix. » Il va sans dire que celte 
ordonnance n'oublia pas les peines secondaires, telles que déplace- 
ment involontaire et autres et nous pourrions nous reposer à cet 
égard si un cas tout spécial y prévu ne demandait pas une mention 
particulière. Ce cas spécial, c'est le procédé à observer s'il s'agit 
d'éloigner un fonctionnaire auquel on ne sait faire aucun reproche 
sérieux, ou pour parler textuellement avec l'ordonnance royal (du 
-26 août 1826, ordonnance donnée primitivement pour les fonction- 
naires de l'ordre administratif, mais déclaré applicable aux magis- 
trats par celle du 29 mai 1844) « sHl faut éloigner m fonctionnaire 
non pour crime vu délit, non pour incapacité ou inconduite, maisponr 
d'autres défauts qui cependant ne permettent pus de faire une propo- 
sition n destitution. » En ce cas, le fonctionnaire on magistrat est 
simplement uns à la retraite, sans forme de procédure et jusqu'à, 
ainsi que dit textuellement l'ordonnance « sans qu'il y ail besoin 
d'une articulation des faits. • Pour montrer quel prix le gouverne- 
ment attache à cette procédure, l'ordonnance la déclare, applicable 
encore aux fonctionnaires et employés qui n'auraient pas acquis 
encore un droit à la pension et qui, par le seul fait de l'application 
de cette procédure, acquièrent ce droit. Après avoir constaté ici que 
l'ordonnance ne mentionne ni les motifs ni les faits ou articles qui 
donneraient lieu à cette procédure et qui seraient laissés ainsi au bon 
plaisir, des préfets, la Diète conclut enfin que les effets de l'ordon- 
nance ne seraient autres < que de détruire l'indépendance de la 
magistrature non seulement dans le fait, mais dans le principe 
même. > 

Pour nous, constatons que ce procédé fui dernièrement encore 
(1867) mis en pratique contre le dernier Rhénan, resté à l'adminis- 
tration communale, contre le vénérable baron de Loë, sous-préfet 
de Clèves; mais abstenons-nous de tout commentaire d'une ordon- 
nance sur laquelle l'auguste auteur pensait sans doute comme nous 
lous, lorsqu'il disait en terminant : 

« Il ne faut pas que cette ordonnance soit publiée, ni par le Bulletin 



— 121 — 

des lois, ni par les recueils administratifs, ni d'une autre manière ; 
il suffira au contraire parfaitement qu'elle soit envoyée aux préfets 
pour, le cas échéant, être communiquée aux prévenus par le procès- 
verbal qui leur annonce l'ouverture de la procédure. » 

Pour marquer enfin d'un seul trait la situation exacte de la magis- 
trature prussienne, citons simplement un rescril du ministre de la 
justice du 8 m;i".s 1839 qui autorise les juges de paix « de se faire 
payer, par les propriétaires des fonds, une rémunération (à raison de 
30 centimes pur jugement) pour tout jugement qu'ils prononcent en 
matière de police forestière, mais bien entendu pour tout jugement 
portant condamnation seulement. » 

A côté de celte proteslation, une autre, ayant pour objet spécial 
la discipline des membre du barreau, se dirigeait pari irulièrement 
contre une ordonnance royale du 7 juin lSli, dont voici les princi- 
pales dispositions : 

Réunion du Conseil de discipline des avocats à celui des avoués, 
restriction de l'éligibililé à ces derniers, abolition du droit d'appel 
pour les arrêts portant suspension ou cassation, mais, par contre, 
ce droit accordé au ministère public pour les arrêts portant acquit- 
tement ; obligation pour le Conseil de donner suite à tout réquisi- 
toire du procureur du roi, même s'il ne le juge pas fondé ; procédure 
secrèle ; les témoins entendus en absence du prévenu et par-devant 
le juge-commissaire seulement; faculté accordée au ministre de la 
justice de prononcer de son chef toutes les peines jusqu'à la desti- 
tution, celle-ci comprise; en un mot, ainsi que s'exprimait la Diète, 
le contraire de ce qui avait été établi à cet égard par la législation 
française de 1822. 

Qu'on se figure ces mesures disciplinaires contre une profession 
dont les membres, pour la majeure partie descendants de Prussiens, 
sont tenus aux mêmes examens par devant des commissions royales 
d'examen que les juges, et puis sont choisis avec soin et nommes par 
le ministre de la justice, qui doivent, justifier « des mêmes certificats 
de déférence de caractère et de conduite politique » comme eux, et 
qui enfin sont placés en d'excellentes conditions financières (car les 
fonctions d'avoué peuvent être cumulées avec Vavocature et ces deux 
sortes de places sont limitées à un nombre déterminé et asse;- restreint) 
et l'on pourra juger soi-même si la Diète était dans le vrai quand 
elle conclut « que désormais on ne pourrait plus parler d'une liberté 
de défense quelconque. » 

Pour finir enfin une bonne fois avec toutes les questions de disci- 
pline, disons encore que si la procédure disciplinaire est pas trop 
rigoureuse et humiliante pour les fonctionnaires, la procédure juri- 



I 



122 — 






dique intentée contre eux pour crime et délits communs est, ainsi 
que le relevait déjà notre Dièle, par trop indulgente. Rien ne saurait 
mieux peindre les idées prussiennes sur ces crimes et délits que 
deux ordonnances royales (du 8 décembre 1824 et du H juin 1829) 
dont la première porle que le traitement retenu pendant la détention 
préventive d'un fonctionnaire lui soit payé après condamnation, 
« si cette condamnation prononce des peines criminelles, mais non ta 
cassation; » et dont la seconde exempte ceux des fonctionnaires et 
employés dont le traitement est au-dessous de 1,200 francs, de tout* 
retenue pour amendes et dépens résultant d'une condamnation juri- 
dique. Cependant une justice sévère serait justement ici à sa place, 
comme cela prouve l'ordonnance du gouverneur général du 25 juin 
1815 qui • pour mettre fin aux détournements effectués dans les 
hospices militaires » devait punir les employés de ces établissements 
« de coups de verges appliqués publiquement. » 

Ce mépris de la justice est d'ailleurs la conséquence forcée de ce 
principe prussien assez connu « de n'admettre pour les fonction- 
naires d'autre juridiction que celle de leurs supérieurs, « principe qui 
non seulement est appliqué en cas de poursuite d'office, mais encore 
dans les poursuites civiles. En effet, une ordonnance rovale du 
25 avril 1835 soustrayait-elle formellement les fonctionnaires de la 
juridiction ordinaire, en ordonnant que toutes les plaintes intentées 
par des particuliers contre des fonctionnaires pour délit commis dans 
l'exercice de leurs fonctions aussi bien que pour insultesidifjamations 
etvoiesdefait seraient déchues si le fonctionnaire déclarait vouloir ^re 
jugé par ses supérieurs. Il est vrai que cette ordonnance est rempla- 
cée parla loi du 13 février 1854 et qu'aujourd'hui ces plaintes ne 
sont plus déboutées sommairement, mais une à une, par le moyen 
de fins de non-recevoir. 

Ces idées singulières du gouvernement prussien sur la judicature 
percent surtout dans les nombreuses commutations de peines et abo- 
litions de procédure qu'il se permet. C'est ainsi que, précisément 
aux temps de nos persécutions religieuses, dans un temps ou quicon- 
que osait seulement lire à un voisin un mandement ou une allocu- 
tion du pape, devait être transporté immédiatement dans une forte- 
resse, nous le voyons abolir une procédure criminelle intentée cootre 
un jeune scélérat, fils d'un officier général, qui s'était rendu coupable 
de cinq vols qualifiés; c'est ainsi que nous le voyons, il y a quelques 
années, gracier un journaliste ministériel (M. Lindenbcrg) condamné 
sur les diligences d'une partie civile pour diffamations et injures 
graves envers des particuliers ; c'est ainsi que nous le voyons, tout 
récemment encore, rendre noblesse el titres à un percepteur wp- 



— 123 — 

damué pour malversations, tandis qu'un journaliste qui, en relatant 
ce fait, au lieu de dire « que la noblesse avait été rendue au con- 
damné, » avait dit « que le condamné avait été rendu à la noblesse, » 
devait, pour ce calembourg seulement, passer quatre semaines en 
prison. 

En revenant aux travaux de notre Diète, il faut encore signaler 
qu'une proposition du gouvernement tendant à modifier le Code de 
commerce dans le sens qu'il serait permis aux sociétés commerciales, 
aussi bien qu'aux simples commerçants, d'acheter des raisons et de 
se servir de noms empruntés, fut rejelée à l'unanimité, comme lésant 
gravement et la sûreté et la moralité du commerce. Constatons ici que 
ces modifications ainsi rejetées par la Diète furent introduites plus 
tard par le Code de commerce prussien du 24 juin 1861. 

Nous avons vu, dans le chapilre sur le Droit public, qu'une protes- 
tation solennelle contre les violences exercées contre tous ceux qui 
osaient se souvenir que le pasleur du itiocèse était en fers, termi- 
nait dignement les travaux de celte huitième et dernière Diète rhé- 
nane. Nous y avons vu qu'elle ne fut plus convoquée depuis, mais 
qu'à la première nouvelle de la révolution de février ses principaux 
membres se rendirent en députation pour Berlin, qu'ils y atteigni- 
rent le but poposé, qu'une ordonnance royale du lfi avril 18-48 révo- 
quait tous les changements apportés à notre législation française et 
i établit en entier nos Codes. 

Nous y avons également vu que cette condescendance satisfit tel- 
lement notre province que non seulement elle s'abstenait de tout 
mouvement révolutionnaire, mais qu'elle se mit bravement en devoir 
de seconder un gouvernement qui se montrait enfin juste envers les 
aspirations nationales. 

Et quelle en a été sa récompense? 

A l'heure qu'il est, nous voyons notre Diète abolie, notre Cour de 
cassation supprimée, notre magistrature détruite, la province mise en 
l'ers dix fois plus pesants qu'auparavant. 

A l'heure qu'il esl, tout, doute a disparu et il est devenu clair à l'œil 
le moins clairvoyant que cette ordonnance du 15 avril n était qu'une 
leurre, qu'une manoeuvre d'apaisement, n'était, aussi bien que la 
promesse de 1839, autre clwse que le produit de la faiblesse tremblant 
devant le danger. 

A l'heure qu'il est, voilà non seulement rétablies les horreurs des 
ordonnances, mais introduits tous les autres principes prussiens 
dont la résistance de la Diète nous avait préservé jusqu'alors. 

Il est vrai que le mot « dégradation » est évité dans les nouvelles 
productions législatives, que les « rémunérations pour jugements »: 












— 124 — 

sont remplacées par de forts droits casuels (loi du 23 mai 1S59) que 
la punition corporelle n'est plus décernée que par les directeurs de 
prison. 

Jl est encore vrai que nos adversaires nous présentent la nouvelle 
soi-disante représentation prussienne comme étant prévue et approu- 
vée même par notre Diète, comme, étant en quelque sorte son légi- 
time successeur. 
MeiiMHiges que tout cela ! 

Pour s'en convaincre, or. n'a qu'à lire les actes de notre Diète 
m session) où, en effet, cette question fut soulevée et où à la vérité 
< pour parvenir enfin à un contrôle de la comptabilité générale et 
pour obvier à l'inconvénient déjà trop senti que, pour les lois géné- 
rales et même pour celles les plus opposées à l'esprit des provinces 
civilisées de la monarchie, le gouvernement put toujours se fonder 
sur l'adhésion de quelques-unes des Diètes particulières de la vieille 
Prusse» la Diète approuvait une Diète générale mais «seulement 
pour les affaires générales et pour les questions budgétaires et en 
se réservant expressément, el de la manière la plus absolue, ses droits à 
Vè<jard de nos institutions particulières, à l'égard de notre glorieuse 
législation française. 

Encore cette représentation générale devait-elle être une véritable 
représentation du pays, un véritable facteur de législation et non 
une assemblée consultative, composée de fonctionnaires (sur 
382 membres, la Chambre basse de la Prusse compte 349 fonctionnaires 
publics) et à laquelle le roi devait mesurer ses droits parées paroles à 
jamais célèbres dans les annales du parlementarisme : 
• Vous me conseillerez et moi f écoulerai vos conseils ! » 
A l'heure qu'il est, nos Codes pénal et de commerce ont disparu et 
le reste de notre législation, notre Code civil et ceux de procédure 
sont plus que jamais menacés. Et à ces menaces, on ajoute encore 
l'outrage : On parle de remplacer ces Codes par une législation d'une 
soi-disante i Confédération de l'Allemagne du Nord, » d'une Confédé- 
ration que seule la bienveillance du monarque le plus- bienveillant 
pour l'Allemagne qui ait orné le trône de la France, pouvait faire 
entrer en vie, par la législation d'une Confédération qui, d'après ses 
idées magnanimes, devait procurer à un peuple cher à ses souvenirs 
d'enfance l'accomplissement de ses aspirations légitimes, devait le 
conduire à la liberté et à l'unité. 
Et qu'est-ce que nous voyons à présent? 

Au lieu d'éclore en liberté, nous voyons l'Allemagne dans les fers 
de l'esclavage le plus intolérable; au lieu du droit, nous y voyons 
régner la force; au lieu d'une Confédération nous trouvons une 



■ 



— 125 - 

dictature; au lieu de l'unité, nous ne voyons que la pression de 
l'élau. 

Mais nous sommes plus tranquilles que jamais. Le principe de 
cetle Confédération était si éminemment l'idée favorite de Napo- 
léon III, sa puissante volonté l'a appelée en vie, mais le souffle de la 
France régénérée le détruira, c'est-à-dire détruira la carricature qui 
la remplace et ce gouvernement hypocrite et barbare apprendra ce 
qu'il a déjà appris en 1806 : 

«Que s'il est facile d'acquérir un accroissement de domaines et de 
puissance avec l'amitié du grand peuple, son inimitié est plus teirible 
que les tempêtes île l'océan. » 



CONCLUSION 



(ÉCRITE EN 186.S). 



« Rien qu'une main, rien qu'une muin, Français, je suis sauvé ! • 

En poussant ce cri suprême du héros de Pologne, nous savons 
parfaitement que parmi les Français d'aujourd'hui, il y en a qui 
voudraient nous refuser celle main, se retranchant toujours derrière 
cette assertion mensongère, mais devenue leur expression favorite : 
« Le peuple rhénan ne veut pas de nous. » 

Celte excuse est d'abord le gémissement des lâches, engeauce 
auparavant inconnue dans la patrie des braves. 

Ce n'est pas pour eux que nous écrivons. 

Elle est encore le cri de ralliement des consciences vendues, 
de ceux qui vendent le sauir français pour l'or prussien. 

Ce n'est pas à ceux-ci non plus que s'adressent ces lignes. 

Mais il y a des gens bien intentionnés qui, à force de répétitions 
continuelles de celte assertion, et en vue du calme apparent que pré- 
sente la surface, pourraient finir par ajouter quelque croyance à ces 
mensonges intéressés. 

C'est à eux tout particulièrement que s'adressent ces lignes; c'est 
pour eux que nous avons tracé ce triste tableau d'une situation 
désespérée, que nous avons démontré comment nos droits les plus 
sacrés sont foules aux pieds, comment notre conscience doit être 
alarmée, les forces vitales du pays doivent être épuisées; c'est à eux 



w**m m 



— 126 — 

que nous avons exposé les conséquences fâcheuses des principes 
dévastateurs de l'instruction, les brutalités d'une administration 
étrangère, les atrocités d'une presse soldée; c'est pour eux enfin 
que nous avons montré « t'abîme qui,» selon l'expression textuelle 
de notre Diète, « existe entre le gouvernement prussien et le peuple 
rhénan. 1 

Nous eussions dû en dire davantage encore ; mais, conforme à 
noire promesse de ne parler que d'après des pièces officielles et de ne 
raconter que l'héroïque résistance de notre Diète, nous nous sommes 
borné là, persuadé que ce que nous avons dit suffit parfailement 
pour démontrer la situation déplorable de notre pays, suffit pour 
faire connaître ses véritables sentiments, suffit pour démontrer que 
ce calme apparent, le silence qui s'y fait n'est autre que le silence de 
la tombe, que l'ordre qui y règne n'est autre que celui qui règne à 
Varsovie. 

Bien entendu que nous disons « calme apparent, » parce qu'il n'est 
pas calme du tout, car, d'après une œuvre de statistique de publication 
officielle et récente (1867), en trois ans et par un seul et même tribu- 
nal correctionnel, celui d'Aix-la-Chapelle, sont prononcées bii con- 
damnations pour résistance et injures envers les autorités et où ce 
délit, à moins d'admission de circonstances atténuantes, est toujours 
puni d'emprisonnement (art. 102 du Code pénal prussien). 

Maintenant un seul et dernier mot à ceux-ci et à tous ceux qui ont 
encore le cœur français, aux fils de 1789, de Valmy, d'Arcole, de 
Marengo, d'Austerlitz, d'Iéna, de Wagram, de Smolensk, de Dresde, 
de Montmirail, à ceux qui ont encore gardé le souvenir de Waterloo : 
L'heure presse, le moment est solennel. Par le temps qui court, en 
prévision des grandes choses qui vont s'accomplir, on compte avec 
beaucoup de facteurs : armement perfectionné, retardement de nos 
alliés, dispositions des cabinets neutres, hésitation de tel ou tel prince 
secondaire, etc. ,ete.;mais on en oublie un qui est le principal: les dis- 
positions des peuples, et surtout les dispositions et les inquiétudes 
des peuples opprimés, brutalisés, torturés et menacés par la Prusse, 
qui tous, au gré ou contre le gré de leurs souverains, formeraient 
aujourd'hui l'avant-garde de nos armées; on oublie de compter avec 
les voies et moyens prussiens dont nous venons de donner seulement 
un échantillon ; on ne prend surtout pas en considération eelte fa- 
rouche versatilité des peuples torturés, qui peut faire que, gagnés par 
le désespoir, ils se tournent un jour contre ceux, dont la veille ils se 
sont cru délaissés (1). 

(1) Ainsi que nous le disions, cette malencontreuse prophétie fut écrite en 



— 127 — 

Que ceux qui voudraient rire de nos appréhensions daignent seu- 
lement envisager un peu la situation générale du point, de vue et 
telle qu'elle se présente à ces peuples; qu'ils daignent seulement re- 
garder un peu de plus près la tactique des journaux soldés par la 
Prusse et se demander consciencieusement : 

A quoi peuvent servir leurs assurances continuelles du maintien 
de la paix (d'une paix impossible s'il en fût jamais!) si ce n'esta inti- 
mider, à décourager et à désespérer ces peuples? 

Quel but peuvent avoir leurs assertions impudentes sur de préten- 
dues dispositions amicales de l'empereur pour la Prusse, si ce n'est 
autre que celui de l'avilir dans les yeux de sa nation? 

Qu'ils daignent seulement prendre en considération notre situation 
à nous aulres,malheureuxRhénans,et répondre eux-mêmes pour nous 
si le tentateur s'approche avec des insinuations telles que celles-ci : 

Vous avez toujours parlé de la France, de son armée, de l'empe- 
reur! Eh bien, voilà cinquante ans que la France a repris son rang 
dans le concert européen, voilà trente-huit ans que l'armée sait ce 
qu'elle peut, voilà déjà vingt ans que son souverain s'appelle Napo- 
léon! Vous avez toujours parlé d'une revanche à prendre pour Wa- 
terloo : voilà Diippel, voilà Sadowa! Vous avez toujours parle de la 
grande nation; voilà la. grande nation « devenue — c'est un Ao^lnis, 
c'est M. Roebuch qui le dit— un peuple de merciers! » 

La situation est donc grave, assurément, mais heureusement elle 
n'est pas désespérée. Heureusement la grande nation u'est pas encore 
devenue ce que M. Roebuch veut en faire. Rassurons-nous donc, con- 
tinuons donc à faire notre devoir et surtout ne nous décourageons 
pas, car le découragement ne saurait être l'héritage de ceux, qui ont 
pour eux la dernière volonté du martyre de Sainte-Hélène, qui n'a pas 
voulu que son successeur fût un instrument dans les mains des 
tyrans qui oppriment les peuples de l'Europe. » 






■■■ 












ERRATA 



Ai CHAPITRK II DK [.INSTRUCTION PUB1.10.UK, FJA.GH I*. 



V oici quelques demandes et réponses, extraites du Catéchisme dio- 
césain de Cologne (pages 27 et 28). 

D. Que nous apprend l'horrible révolution française? 

D. Que lit-on des prêtres ? R. On les jeta en prison, on les pendit 
simplement au premier poteau de lanterne. 

D. Ëpargnait-on seulement les enfants? R. Non, on les massacra 
par milliers. 

D. Quel était le nombre des victimes? K. On l'estime à plus de 
d«ux millions. — ~ — - 







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